La question s'est posée ces derniers mois : le gouvernement disposait-il encore de la possibilité d'utiliser le 49.3 sur un autre texte que les projets de loi budgétaires sur lesquels il est de droit ? La nomination d'un nouveau Premier ministre pourrait notamment avoir l'avantage pour l'exécutif de remettre les compteurs à zéro en la matière. Explications.
La nomination d'un nouveau Premier ministre garantit-elle la possibilité pour l'exécutif de recourir à un nouveau 49.3 - en plus de ceux autorisés autant que de besoin sur les textes budgétaires - d'ici à la fin de la session ordinaire, en juin prochain ? L'arrivée de Gabriel Attal à Matignon pourrait ainsi enlever une épine dans le pied du camp présidentiel au cours des mois à venir, en cas de blocage sur un projet de loi à l'Assemblée nationale.
Pour rappel, depuis la révision constitutionnelle de 2008, le recours au 49.3, n'est permis que sur un texte par session. En plus des projets de loi de finances et de financement de la Sécurité sociale sur lesquels le 49.3 est de droit si l'exécutif l'estime nécessaire. En septembre dernier, une session extraordinaire avait été convoquée, afin de faire adopter sans vote le projet de loi de programmation des finances publiques pour la période 2023-2027 en nouvelle lecture. Avant d'utiliser à nouveau le 49.3 sur le même texte, quelques semaines plus tard, pour la lecture définitive, au cours de la session ordinaire cette fois. La stratégie de l'exécutif étant, avis juridiques à l'appui, d'arguer que cette utilisation faite sur un même texte avec un premier déclenchement en session extraordinaire ne consommait pas la possibilité d'utiliser le 49.3 sur un autre texte au cours de la session ordinaire. Une stratégie élaborée ainsi car, contrairement à ce que son nom pourrait laisser supposer, le projet de loi de programmation n'est pas considéré comme un texte budgétaire.
Échaudé par la manœuvre, le Rassemblement national avait néanmoins déposé un recours auprès du Conseil constitutionnel, contestant l'usage du 49.3 sur un même texte au cours de deux sessions différentes. C'est d'ailleurs uniquement sur ce dernier point que le Conseil a tranché en faveur du gouvernement, sans lever le flou sur la possibilité pour l'exécutif de recourir à nouveau à la disposition constitutionnelle sur un autre texte au cours de la même session ordinaire. Le cas échéant, un recours serait sans nul doute venu de l'opposition pour demander à l'institution de la rue Montpensier de statuer.
L'arrivée d'un nouveau Premier ministre change-t-elle la donne, en remettant les compteur à zéro ? C'est en tout cas ce que jugeait le député Jean-Luc Warsmann, alors président UMP de la commission des lois, dans son rapport sur le projet de loi relatif à la révision constitutionnelle de 2008. "Dans le cas d’un changement de Premier ministre au cours d’une même session, il conviendra de lire la présente disposition comme permettant au nouveau gouvernement de recourir de nouveau à la faculté de recourir à l’article 49, alinéa 3, même si son prédécesseur l’a déjà utilisé, au cours de la même session", écrivait l'élu qui siège aujourd'hui au sein du groupe LIOT.
"Il serait difficilement admissible que les choix opérés par le premier limitent ceux du second", plaidait-t-il. Interrogé par le HuffPost, Jean-Jacques Urvoas se range derrière l'avis de son ex-confrère du Palais-Bourbon. "Il n’y a 'aucun doute" quant à la licéité de l'utilisation éventuelle du 49.3 par Gabriel Attal au cours de la session ordinaire, juge l'ancien ministre de la Justice et ex-président PS de la commission des lois.
"Les travaux préparatoires de Jean-Luc Warsmann ne sont pas une interprétation authentique, dotés d'une portée normative. Il serait problématique d'en tirer un argument péremptoire", tempère Mathieu Carpentier, contacté par LCP. C'est ce professeur de droit public à l'Université Toulouse-Capitole qui a exhumé sur X le passage du rapport de 2008 il y a quelques jours, alors même qu'Élisabeth Borne était encore en poste à Matignon. "Les conclusions de M. Warsmann restent néanmoins un argument précieux pour le débat", estime-t-il.
Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale sur le vote d'un texte. Article 49 alinéa 3 de la Constitution
Deux interprétations du terme "Premier ministre" contenu dans la Constitution peuvent cependant être envisagées : s'il correspond à la fonction, et dans ce cas, peu importe qui occupe le poste ; ou s'il fait au contraire référence à la personne qui occupe la fonction à un moment donné. En retenant cette seconde option, Gabriel Attal serait apte à recourir à un nouveau 49.3. "Ces deux interprétations peuvent se défendre", indique à LCP Anne-Charlène Bezzina, maître de conférences en droit public à l’Université de Rouen. Tout en rappelant que seule une décision du Conseil constitutionnel saisi sur un cas concret permettrait de trancher, elle penche vers l'interprétation retenue par Jean-Luc Warsmann qui semble traduire l'esprit du législateur de l'époque. "A fortiori, un changement de gouvernement change quand même la donne", analyse-t-elle.
"Si le Conseil constitutionnel était saisi, il devrait vraisemblablement pencher vers la thèse Warsmann, puisqu'il a tendance à laisser large bride au gouvernement", estime Mathieu Carpentier. Reste à savoir si l'exécutif aura besoin de tester cette possibilité qui permettrait d'établir une jurisprudence en la matière.