Uber files : Danielle Simonnet (LFI) présente son rapport à la commission d'enquête

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Danielle Simonnet, le 25 mai 2023, à l'Assemblée nationale. LCP
Danielle Simonnet, le 25 mai 2023, à l'Assemblée nationale. LCP
par Maxence Kagni, le Mardi 11 juillet 2023 à 09:15, mis à jour le Mardi 11 juillet 2023 à 16:35

Les députés de la commission d'enquête sur les "Uber files", créée en février dernier à l'initiative de La France insoumise, ont adopté le rapport rédigé par Danielle Simonnet (LFI) par 12 voix pour et 11 abstentions. Le rapport qui contient, selon la députée, des "éléments assez fracassants" sera rendu public le 18 juillet. 

Ce mardi à 13h30, la commission d'enquête Uber Files s'est réunie pour la dernière fois. Les députés ont examiné - à huis clos, comme le veut la règle - le rapport de plus de 300 pages (sans les annexes) rédigé par Danielle Simonnet (La France insoumise), fruit de quatre mois de travail et de 67 auditions. Adopté par 12 voix pour et 11 abstentions, le rapport sera rendu public à l'issue du délai légal prévu par le règlement de l'Assemblée nationale, mardi 18 juillet.

Présidée par Benjamin Haddad (Renaissance), la commission d'enquête sur les "révélations des Uber Files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences", dont les travaux ont débuté en février 2023, a été lancée à l'initiative de la France insoumise. Les élus LFI, et plus singulièrement la députée de Paris Danielle Simonnet, ont décidé d'approfondir le travail déjà réalisé par le collectif international des journalistes d’investigation (ICIJ). Ces derniers ont épluché près de 124 000 documents internes à Uber et publié à partir de juillet 2022 une série d'articles dont certains dénoncent le rôle présumé d'Emmanuel Macron dans l'installation d'Uber en France lorsqu'il était ministre de l’Économie (août 2014-août 2016).

Danielle Simonnet, qui a pu consulter les Uber files, promet des "éléments assez fracassants" : "Nous avons eu accès à des documents que les journalistes n'avaient pas", explique à LCP la députée LFI, qui évoque notamment des échanges de SMS. L'élue indique qu'elle a pu étudier des notes d'Uber, mais aussi des documents de certains ministères, comme celui du Travail, après avoir mené des enquêtes sur pièces et sur place. "On a eu une matière riche pour enquêter sur la période 2014-2017, mais aussi analyser l'évolution entre 2017 et aujourd'hui", commente Danielle Simonnet, qui attend, comme c'est la règle, de pouvoir en dire plus lors de la conférence de presse qu'elle organisera le mardi 18 juillet.

Une première tentative avortée

La création de cette commission d'enquête n'a pas été une formalité. En juillet 2022, quelques jours après la publication des articles du Monde sur les Uber files, Danielle Simonnet met en cause Emmanuel Macron lors de la séance des questions au gouvernement. "Un ministre de la République aurait servi les intérêts d'une plateforme américaine contre l'avis de son gouvernement et de notre administration", commente la députée de Paris, qui "exige une commission d'enquête parlementaire".

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En novembre 2022, l'élue LFI propose donc de créer une commission chargée d'enquêter sur "les révélations des Uber files" et le "rôle du président de la République dans l'implantation d'Uber en France". "L’enquête Uber Files révèle qu’au moins 17 échanges significatifs ont eu lieu entre les équipes d’Emmanuel Macron et celles d’Uber dans les 18 mois qui ont suivi son arrivée au ministère, sans faire l’objet de publicité", explique ce 16 novembre Danielle Simonnet, qui reconnaît que rien n'est illégal mais que cela "pose question".

La proposition de La France insoumise fait face aux fortes réticences des députés de la majorité qui accusent LFI de contrevenir à la séparation des pouvoirs et jugent la demande inconstitutionnelle. "Le principe d'irresponsabilité du chef de l’État empêche qu'une commission d'enquête puisse mettre en cause cette responsabilité, même de manière indirecte", rappelle alors le président de la commission des lois, Sacha Houlié (Renaissance).

Les députés de la majorité reçoivent le soutien des élus Les Républicains, qui estiment que la tentative des Insoumis consiste à "faire plier le règlement et l'usage de notre Assemblée" tout en "cassant la confiance que nous avons dans les institutions".

Lors des débats, le député Renaissance Benjamin Haddad prend la parole pour esquisser la ligne des soutiens d'Emmanuel Macron : "Vous remettez en cause la responsabilité d'un ministre de l’Économie qui était dans son rôle, discutant avec des entreprises souhaitant s'implanter en France, avec tous les acteurs d'un secteur en mutation profonde." Une prise de position similaire à celle de l'actuel chef de l'Etat, qui avait ironisé en juillet 2022 sur les révélations et assumé son action : "J'ai vu des chefs d'entreprise étrangers, l'horreur..."  A ce stade, la proposition de Danielle Simonnet est rejetée.

Les députés LFI reviennent à la charge dès le mois de janvier 2023, en utilisant leur droit de tirage, c'est-à-dire leur droit annuel de créer une commission d'enquête. Pour passer le filtre de la recevabilité, Danielle Simonnet élargit le champ d'action de la commission et en modifie l'intitulé, insistant notamment sur "les conséquences sociales, économiques et environnementales de l'ubérisation".

"Il n'est plus fait référence directement à la présidence de la République", note alors Benjamin Haddad, ce qui évite de contrevenir à la séparation des pouvoirs. La commission est finalement nommée "commission d'enquête relative aux révélations des Uber Files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences". Cette extension est plutôt bien vue par Danielle Simonnet, satisfaite de pouvoir s'attaquer au "faux statut d'indépendant" des travailleurs des plateformes. La députée LFI estime cependant que cette redéfinition du champ d'action de la commission a parfois permis au président de la commission de la transformer en "colloque permanent".

"Deal"... ou pas ? 

Les premières réunions débutent le 9 février, avec l'audition en table ronde des syndicats et organisations professionnelles de taxis, mais aussi celle des journalistes du Monde à l'origine de la partie française des Uber Files. L'occasion pour ces derniers de revenir sur le "deal secret" qu'aurait conclu Uber et Emmanuel Macron fin 2014-début 2015 : alors ministre de l’Économie, celui-ci aurait "fait miroiter" à l'entreprise américaine une "simplification drastique des conditions nécessaires pour obtenir une licence de VTC" contre la suspension du service UberPop, qui avait été jugé "illégal" à plusieurs reprises. 

L'article du Monde évoque également la modification d'un arrêté pris en octobre 2015 par le préfet de police de Marseille, Laurent Nunez. Le premier arrêté pris par celui-ci à l'époque "interdis[ait] de facto Uber dans une large partie des Bouches-du-Rhône". Le Monde affirme qu'Emmanuel Macron, sollicité par le lobbyiste d'Uber, aurait alors promis par SMS de "regarder cela personnellement". Trois jours plus tard, toujours selon l'article, l'arrêté aurait été modifié dans un sens moins contraignant. Une accusation formellement rejetée par Laurent Nunez le 4 mai 2023, qui a expliqué au contraire que son second arrêté était "beaucoup plus restrictif".

L'ancien lobbyiste d'Uber et lanceur d'alerte Mark McGann a lui aussi été auditionné, dénonçant un "accès incroyablement facile à des dirigeants politiques de premier plan" en France et évoquant une "défaillance systémique". Emmanuel Macron lui aurait à l'époque "fait comprendre" que si Uber arrêtait le service UberPop, "il allait obtenir (...) le type de formation minimale, que [demandait Uber], dans ses discussions interministérielles".

Mark McGann, qui qualifie Emmanuel Macron de "modernisateur", a toutefois ajouté qu'il n'y avait "pas eu de corruption, rien de néfaste, rien de sournois", reconnaissant toutefois un manque de "transparence". La commission d'enquête a également auditionné Manuel Valls et Bernard Cazeneuve. Les anciens Premiers ministres socialistes ont non seulement affirmé ne pas avoir eu connaissance d'un éventuel "deal" entre Emmanuel Macron et l'entreprise américaine, mais aussi expliqué en substance qu'un tel accord n'aurait pas été possible

L'importance des révélations contenues dans les Uber files a, par ailleurs, été relativisée par le président de la commission d'enquête Benjamin Haddad. Le député Renaissance s'est notamment appuyé sur les propos de Grégoire Kopp, ancien conseiller d'Alain Vidalies (secrétaire d’État chargé des Transports d'août 2014 à mai 2017) et ancien chargé de communication de la société Uber France, pour évoquer la "culture d'exagération interne" de l'entreprise américaine. Selon lui, les employés d'Uber auraient peut-être surévalué dans leurs échanges internes leurs succès auprès des pouvoirs publics français pour faire face à la "pression de la part des opérationnels, notamment des États-Unis, sur les équipes de communication et de lobbying à Paris".

Des divergences sur les auditions

Au cours des travaux de la commission, les objectifs de la rapporteure, Danielle Simonnet, et ceux du président, Benjamin Haddad, ont parfois paru divergents. Comme ce jeudi 25 mai, lors de l'audition de représentants d'Uber. "Quels étaient les noms du cabinet d'Emmanuel Macron avec lesquels vous étiez en contact pendant toute cette période-là ?", demande alors Danielle Simonnet. Sa question est aussitôt complétée par Benjamin Haddad : "Pour éviter toute forme de détournement à des fins de politique intérieure actuelle, est-ce qu'à ce moment-là je peux vous demander les noms des ministres, secrétaires d’État et membres de tous les cabinets avec lesquels vous étiez en contact à cette époque ?"

Derrière cet échange ce cache en réalité un désaccord sur l'organisation des travaux. Le matin même, le bureau de la commission d'enquête s'était réuni pour acter la fin des auditions alors que Danielle Simonnet espérait encore entendre le secrétaire général de l'Elysée, Alexis Kohler, et surtout Emmanuel Lacresse, "ex-membre du cabinet d'Emmanuel Macron [à Bercy] en charge du dossier dans son cabinet", devenu depuis député. "Pas un seul membre du cabinet d'Emmanuel Macron quand il était ministre de l’Économie n'a été auditionné du fait du refus [de Benjamin Haddad]", regrette aujourd'hui la députée insoumise.

L'élue y voit une "volonté d'empêcher la commission d'enquête de faire ce pour quoi elle a été créée". Dans un communiqué de presse publié le 25 mai, Danielle Simonnet avait estimé que cette "manœuvre" du président de la commission d'enquête visait "à protéger Macron et ses proches". Danielle Simonnet voulait également auditionner l'ancien Président François Hollande ainsi que les députés Philippe Vigier (Démocrate) et Aurélien Taché (ex-LREM, aujourd'hui Ecologiste).

La création de l'Arpe scrutée

Le destin des travailleurs des plateformes de plateforme a également été au centre des travaux de la commission. L'Autorité des relations sociales des plateformes d'emplois (Arpe), créée en 2021 à l'initiative du gouvernement, a permis la conclusion en janvier d'un accord entre les plateformes et les syndicats de chauffeurs français sur un tarif minimal de la course et d'un autre accord, conclu avec les livreurs à deux roues, signé en avril. Cette nouvelle étape a été saluée par le PDG d'Uber, Dara Khosrowshahi, lors de son audition en mai.

En mars, le secrétaire général du syndicat des chauffeurs privés Sayah Baaroun avait pour sa part mis en cause ce qu'il considère être "un leurre". "Ils ont réussi à négocier un tarif minimum qui est en-dessous du tarif minimum actuel", a expliqué devant la commission le syndicaliste.

La création de l'Arpe a, en outre, été critiquée en raison du choix de nommer à sa tête Bruno Mettling, qui a reconnu avoir été, par le passé, rémunéré pour des missions de conseil auprès d'Uber. "Ça a vraiment confirmé mes pensées de l'époque, c'est que derrière, il y a toujours Uber", avait dénoncé en mars, lors de son passage à l'Assemblée nationale, le secrétaire général du syndicat FO-CAPA-VTC Helmi Mamlouk.

En mai 2022, le cabinet d'Elisabeth Borne, alors ministre du Travail, avait affirmé auprès de l'AFP que Bruno Mettling avait toujours été "transparent" sur ses missions pour Uber et qu'il avait "largement prouvé son impartialité", ce qui en faisait une personne "absolument légitime" pour le poste. 

Auditionnée le 25 mai, la Première ministre a pris la défense du dialogue social au sein de l'Arpe mais aussi de son président Bruno Mettling : "Quand on voit qu'on a eu 5 accords entre les travailleurs des plateformes et les plateformes en 7 mois, je pense qu'on peut être assez fiers de ce qu'on a fait en France", a expliqué Elisabeth Borne. Devant la commission, la Première ministre avait d'ailleurs parue agacée par les interventions de Danielle Simonnet : "C'est assez original, je viens d'entendre un long exposé de votre part sur votre point de vue sur les plateformes, enfin, si ça vous intéresse d'avoir mon point de vue je peux aussi exposer le mien...", avait-elle ironisé.

Directive européenne

Lors de l'audition du ministre du Travail, Olivier Dussopt, le 25 mai, Danielle Simonnet a, par ailleurs, affirmé que "la France cherche à torpiller la directive européenne présomption de salariat". Le Parlement européen s'est en effet prononcé en février dernier sur une présomption de salariat pour les travailleurs des plateformes, mais les États membres ne sont pas encore parvenus à une position commune sur ce sujet. La députée LFI estime que le gouvernement français tente de réduire les ambitions du texte : "Vous souhaitez que les pays qui ont notamment un dialogue social puissent déroger à l'application de cette directive."

Ces propos recoupent ceux du lanceur d'alerte Mark MacGann, qui considère que la France est le "fer de lance de ceux qui cherchent à vider de son sens" la directive. "Je suis consterné que ce soit le gouvernement français qui soutienne cette dilution de la présomption de salariat, et qui pilote les autres États membres", a regretté l'ancien cadre d'Uber.

Des critiques rejetées par Olivier Dussopt : "Tout l'enjeu pour la France est de pouvoir concilier ce cadre européen en construction avec le dispositif que nous avons bâti", a notamment expliqué l'actuel ministre du Travail. Après l'échec de la proposition de "compromis" du gouvernement tchèque, la France "continue à faire des propositions constructives et nous souhaitons qu'un texte puisse aboutir" a promis la Première ministre, Elisabeth Borne.