Uber files : pas de "deal" entre Emmanuel Macron et Uber, selon Bernard Cazeneuve et Manuel Valls

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par Maxence Kagni, le Jeudi 11 mai 2023 à 19:21, mis à jour le Vendredi 2 juin 2023 à 15:23

Auditionnés par la commission d'enquête "relative aux révélations des Uber Files", les deux anciens Premiers ministres ont jugé que les rencontres répétées entre Emmanuel Macron et les représentants d'Uber entre 2014 et 2016 n'avaient rien d'anormal. Ils écartent l'hypothèse d'un "deal secret" entre l'ancien ministre de l'Economie et la société américaine en 2015.

Emmanuel Macron était, en 2015, "un ministre parmi d'autres". Auditionnés, jeudi 11 mai, par la commission d'enquête "relative aux révélations des Uber Files : l’ubérisation, son lobbying et ses conséquences", les anciens Premiers ministres Manuel Valls (mars 2014-décembre 2016) et Bernard Cazeneuve (décembre 2016-mai 2017) ont livré leur témoignage sur cette époque. Ils ont remis en perspective les informations qui ont conduit le groupe "La France insoumise" de l'Assemblée nationale à demander la création de cette commission d'enquête. 

Dans un article publié dans Le Monde en juillet 2022, le journaliste Damien Leloup écrit que, lors de son passage au ministère de l'Economie (août 2014-août 2016), Emmanuel Macron aurait "œuvré en coulisse" pour la société Uber et passé un "deal secret" avec l'entreprise américaine : en échange de l'arrêt d'UberPop, un service de mise en relation entre particuliers plusieurs fois jugé "illégal", il aurait fait "miroiter [à Uber] une simplification drastique des conditions nécessaires pour obtenir une licence de VTC".

Le travail du journaliste du Monde se base sur l'analyse de documents internes à l'entreprise américaine, transmis par le lanceur d'alerte Mark MacGann. Ces "Uber files" mettent notamment en lumière "17 échanges significatifs" entre Emmanuel Macron ou des membres de son cabinet et les représentants d'Uber.

"Cela ne me choque pas"

Lors de leur audition, Bernard Cazeneuve et Manuel Valls ont largement relativisé la portée des révélations du Consortium international des journalistes d’investigation. "Si le fait de rencontrer un acteur économique (...) est considéré comme une faute morale, je souhaite bien du courage à ceux qui seront amenés à exercer les responsabilités de l’État dans les années qui viennent", a analysé Bernard Cazeneuve, qui était, à l'époque des faits, ministre de l'Intérieur. 

"Moi, je n'étais pas au courant de ces échanges qui ont été révélés [par la presse], mais que le ministre de l’Économie ait des relations, des rapports avec des entreprises de cette économie émergente (...), cela ne me choque pas", a de son côté expliqué Manuel Valls.

"Même s'il avait voulu faire tous les deals du monde, il n'aurait pas pu le faire seul. Bernard Cazeneuve

Selon les anciens Premiers ministres de François Hollande, Emmanuel Macron ne pouvait agir seul sur un dossier aussi important que celui du conflit entre les taxis et les VTC : "Une mécanique interministérielle se met en place, qui conduit le Premier ministre, sur l'ensemble des sujets dont le Parlement aura à connaître, à arrêter la position que le ministre prendra au banc du gouvernement", a indiqué Bernard Cazeneuve.

Emmanuel Macron qui était "un ministre parmi d'autres", "n'aurait pas pu échapper à [cette] logique". "Même s'il avait voulu faire tous les deals du monde, il n'aurait pas pu le faire seul et il aurait eu en face de lui des gens qui s'y seraient opposés", a ajouté Bernard Cazeneuve. Selon lui, "la rencontre entre [Emmanuel Macron] et les gens d'Uber" n'a pas été "de nature à infléchir la position de l’État concernant les obligations qui étaient les siennes".

"Logiquement, c'était au cabinet du Premier ministre et à ce dernier de faire les arbitrages", a confirmé Manuel Valls. "Je n'ai jamais eu connaissance d'un deal en 2015, je ne l'aurais pas accepté", a-t-il expliqué. Les deux anciens Premiers ministres ajoutent qu'il n'était pas question d'être conciliants avec l'entreprise américaine et ses méthodes "cyniques" : "La suppression d'UberPop était inconditionnelle (...) les tribunaux français étaient saisis", a précisé Bernard Cazeneuve. 

L'arrêté pour mettre fin à UberPop était pour nous une priorité. Manuel Valls

"Mon analyse c'est que la multiplication des actions conduites par l'administration pour faire respecter les dispositions législatives a abouti à la suppression d'Uberpop", a jugé Bernard Cazeneuve. "Il n'y a pas de négociations à avoir avec ceux qui enfreignent la loi", a encore déclaré l'ancien Premier ministre, qui en a profité pour fustiger les nouveaux acteurs de l'économie numérique dont il "détest[e] les pratiques". 

"Sensibilité beaucoup plus libérale"

Les deux anciens Premiers ministres sont également revenus sur les divergences politiques qu'ils avaient avec Emmanuel Macron sur la question des taxis et des VTC : "Oui, nous avions un débat sur ce sujet, un débat parfois vif", a expliqué Bernard Cazeneuve, qui a utilisé à plusieurs reprises le terme de "frontalité" avec un ministre à la "sensibilité beaucoup plus libérale que la [sienne]".

"Je n'ai jamais fait mienne la thèse d'un nouveau monde merveilleux face à un ancien monde qui serait ringard", a de son côté déclaré Manuel Valls, selon qui "le monde d'Uber" n'est pas "le monde idéal". L'ancien Premier ministre a notamment critiqué la "précarité offerte aux jeunes de banlieue" : "Nous avions un débat avec le ministre de l'Economie qui considérait que ce secteur était extrêmement porteur d'emploi notamment pour des jeunes non-qualifiés."

Pour autant, explique Manuel Valls, si Emmanuel Macron défendait "une plus grande libéralisation du secteur", le ministre de l'Economie de l'époque "était dans son droit et dans sa position" et "respect[ait] les arbitrages". "Jamais il ne m'a demandé de remettre en cause les choix de l'administration, des enquêtes ou de laisser faire ce qui était des actes illégaux", a souligné l'ancien Premier ministre.