Une proposition de loi visant à "prévenir les ingérences étrangères en France" sera examinée en commission ce mercredi 13 mars à l'Assemblée nationale. Présenté par les députés Renaissance Sacha Houlié, Thomas Gassilloud et Constance Le Grip, prévoit des mesures étoffant l'arsenal législatif et juridique, afin de "protéger" la France et de déployer une "riposte démocratique face aux ingérences étrangères".
Quatre mois après l'avertissement lancé par la délégation parlementaire au renseignement (DPR) sur les fragilités de la France, ainsi que sur une certaine "naïveté" qui a longtemps prévalu en matière d'ingérences étrangères dans l'Hexagone, la majorité présidentielle veut renforcer l'arsenal législatif et juridique, afin de lutter contre ce phénomène.
C'est l'objet de la proposition de loi visant à "prévenir les ingérences étrangères en France", présentée par le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, Sacha Houlié, son homologue de la commission de la défense, Thomas Gassilloud, l'ancienne rapporteure de la commission d'enquête sur les ingérences étrangères, Constance Le Grip, tous les trois députés Renaissance. Le texte sera examiné, ce mercredi 13 mars, par la commission des lois de l'Assemblée nationale.
Constatant que le statut de grande puissance de la France "l’expose à des agressions ou tentatives de déstabilisations protéiformes émanant de l’étranger", les élus écrivent dans l'exposé des motifs de leur proposition de loi que les outils qui existent aujourd'hui pour y faire face "demeurent parfois insuffisants au regard de l’intensification de la menace que font peser les ingérences étrangères sur l’exercice de la souveraineté nationale". Avec ce texte, ils proposent donc des mesures destinées à "protéger notre pays" et à "déployer notre riposte démocratique face aux ingérences étrangères". Dans leur ligne de mire, la Chine, la Turquie, l'Iran, et surtout la Russie, en particulier, mais pas seulement, dans le contexte de la guerre que Moscou mène contre l'Ukraine.
Pour tenter de limiter et de contrer les ingérences étrangères, les élus proposent notamment de recourir à deux dispositifs actuellement utilisés dans le cadre de la lutte antiterroriste, comme le préconisait la DPR. Il s'agit du dispositif de gel des avoirs d'une part, et de l'utilisation des algorithmes d'autre part, à titre expérimental. Cette technique de renseignement, pérennisée en 2021 dans l'arsenal législatif français contre le terrorisme, permet la mise en œuvre d'un traitement automatisé des données de connexion sur Internet, afin d'identifier des suspects.
Les services de renseignement estiment que la technique de l'algorithme permettrait d'améliorer les résultats en matière de lutte contre les ingérences étrangères, en suivant les modes opératoires de certains services étrangers agissant sur le territoire national : déplacements, réservations, habitudes de communication... Dans la version initiale de la proposition de loi, l'expérimentation est prévue pour une durée trois ans, mais les députés devraient débattre de l'opportunité d'étendre sa durée jusqu'à la fin 2027.
Autre disposition du texte : la mise en place d'un registre numérique recensant les "représentants d'intérêts" agissant pour le compte d'une entité étrangère dans le but d'influencer les élections, la fabrique de la loi ou la conduite des politiques publiques. La gestion de cette base de données, publique, serait confiée à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).
Le dispositif serait assorti de sanctions pénales pour les personnes qui tenteraient de camoufler la nature de leurs activités en ne s'inscrivant pas sur ce registre ou qui refuseraient de transmettre à la HATVP les informations requises - identité, personnes approchées, champ d'activités... À l'heure actuelle, le texte retient des peines de deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende. Les auteurs du textes sont néanmoins favorable à porter ces sanctions à 3 ans de prison et 45 000 euros d'amende, tout en adjoignant des mesures d'expulsion des ressortissants n'ayant pas la nationalité française, après leur condamnation.
De même, l'introduction d'exemptions sera proposée aux élus de la commission des lois. Elles pourraient concerner, classiquement, les diplomates, les avocats et les journalistes. La création de ce registre s'inspire de ce qui existe aux Etats-Unis avec le FARA (Foreign Propagandists Registration Act) et au Royaume-Uni, avec le National Security Bill.
Par ailleurs, la proposition de loi prévoit la remise d'un rapport annuel au Parlement sur l'état de la menace que représentent les ingérences étrangères. Les auteurs du texte espèrent qu'un débat puisse être régulièrement organisé à l'Assemblée nationale et au Sénat, au moins tous les deux ans, sur la base de ce rapport, afin de sensibiliser les parlementaires à la menace et à la réalité des ingérences.
A l'approche des élections européennes, l'examen de cette proposition de loi - prévu la semaine du 25 mars dans l'hémicycle de l'Assemblée - n'est pas dénué d'une dimension politique. Dans son rapport dans la cadre de la commission d'enquête sur les ingérences, en juin dernier, Constance Le Grip (Renaissance) avait qualifié le FN, devenu le RN, de "courroie de transmission" de la Russie en France. En réponse, le président de la commission, Jean-Philippe Tanguy (Rassemblement national), à l'origine avec son groupe du lancement de cette instance d'enquête parlementaire, avait dénoncé un "procès politique".
Le 28 février, Politico indiquait que "Marine Le Pen, dans une lettre envoyée le 15 février à Yaël Braun-Pivet, lui a demandé de saisir le Conseil d’Etat pour qu’il donne son avis sur la proposition de loi visant à lutter contre les ingérences venues de l’étranger". Sacha Houlié y avait vu une “manœuvre dilatoire” de la part de la présidente du groupe RN. Une accusation réfutée par un cadre du Rassemblement national : “On n’est pas mal à l’aise, sinon on n’aurait pas fait une commission d’enquête sur le sujet !”, affirmait-il cité par Politico. A gauche, sans remettre en cause l'objectif du texte, certains mettent en garde sur le champ de certaines mesures et sur l'impact éventuel en matière de libertés publiques.
Comme avec le débat et le vote sur l'Ukraine, qui a eu lieu mardi 12 mars à l'Assemblée nationale, les élus de la majorité présidentielle voient dans cette proposition de loi une façon de clarifier la position des uns et des autres vis-à-vis de la Russie en vue des élections européennes. Après son examen à l'Assemblée fin mars, le texte devra poursuivre son parcours législatif au Sénat. Idéalement, ses promoteurs envisagent une adoption définitive de la loi à l'horizon du mois de juin, afin de permettre de déployer les premiers algorithmes dans le cadre des Jeux olympiques de Paris.