La délégation parlementaire au renseignement alerte sur une forme de "naïveté" et sur les "vulnérabilités" de la France face aux ingérences de pays comme la Chine et la Russie, dans son rapport rendu public ce jeudi 2 novembre. Les députés et sénateurs de la délégation préconisent un projet de loi dédié pour mieux contrer cette "menace durable".
S'armer face à "une forme de naïveté et de déni" qui prévaut encore trop souvent face aux ingérences étrangères. Dans son rapport rendu public ce jeudi 2 novembre, la délégation parlementaire au renseignement (DPR), organe composé de quatre députés et d'autant de sénateurs, s'est largement concentrée sur le phénomène des ingérences étrangères, menace "devenue protéiforme, omniprésente et durable". Face à cette menace, l'instance alerte sur une certaine "naïveté" des élus, des hauts fonctionnaires, ainsi que des milieux économiques et académiques. Elle appelle donc à s'armer davantage contre les "vulnérabilités" identifiées.
"C'est un travail sérieux, loin du travail fantoche voulu par le Rassemblement national", a égratigné ce jeudi le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, Sacha Houlié (Renaissance), en référence à la commission d'enquête demandée par le groupe RN. Au cours de la présentation du rapport de la DPR, le député a listé les principaux pays qui se livrent à des ingérences en France. Sans surprise, la Russie "reste la principale menace", a-t-il indiqué. Espionnage, infiltration, manipulation de grande ampleur, déstabilisation des processus électoraux... L'Etat russe est particulièrement actif, qui plus est sur le théâtre africain, où il exploite le passé colonial français comme un "handicap".
La DPR met également en lumière la stratégie chinoise, bien différente avec son "front uni". "Chacun de ses ressortissants est potentiellement un espion", a pointé Sacha Houlié, décrivant les tentatives de "prédation économique" mises en œuvre. L'Iran, avec sa stratégie des otages, et la Turquie, figurent également au tableau.
Nous sommes seuls dans le domaine des ingérences étrangères. Sacha Houlié (Renaissance), président de la commission des lois et membre de la délégation parlementaire au renseignement.
Mais pas que : contrairement à la lutte contre le terrorisme, où la France peut compter sur ses alliés traditionnels, le domaine des ingérences étrangères est singulier. "Nos alliés ne sont pas toujours nos amis en matière d'espionnage et d'ingérences économiques", a résumé le président de la commission des lois, qui a cité le cas des Etats-Unis, de l'Australie ou encore d'Israël. "Nous sommes seuls dans ce domaine."
Pour pallier les "vulnérabilités" françaises, la DPR formule 18 recommandations, dont quatre sont classifiées secret défense, comme une partie du rapport. La plupart d'entre elles pourraient être contenues dans un projet de loi dédié à la lutte contre les ingérences étrangères, estiment les parlementaires.
Pour revenir sur un niveau de "naïveté" encore trop prégnant au sein de la société, et au premier chef des responsables politiques, la DPR préconise de renforcer la sensibilisation des élus locaux, qui reste "très imparfaite". "Or les collectivités territoriales sont susceptibles d’accueillir des investissements étrangers pouvant constituer le support d’une éventuelle ingérence", relève l'instance, qui propose de systématiser une session de formation aux risques d'ingérences au lendemain d'une élection locale.
Les parlementaires proposent également d'instaurer un dispositif similaire à celui existant pour les lobbies, mais spécifique aux ingérences étrangères. Il s'agirait de rendre obligatoire l’enregistrement des acteurs influant sur la vie publique française pour le compte d’une puissance étrangère, et de les soumettre à une série d’obligations déontologiques. En parallèle, afin de donner tout son sens à la mesure, un régime de sanctions pénales serait instauré en cas de non-respect de cette obligation. Ce qui permettrait de judiciariser les cas révélés aujourd'hui, a expliqué Sacha Houlié.
Une fragilité demeure, en outre, concernant les TPE/PME, moins protégées que les plus grandes entreprises, mais également au sein du monde académique, où l'insuffisance chronique des ressources budgétaires représente une porte d'entrée de choix pour les puissances étrangères. Enfin, malgré une amélioration au fil des ans, la sécurité des systèmes d'information, publics comme privés, "se révèle encore, à bien des égards, perfectible au vu de l’utilisation fréquente de systèmes obsolètes" ou de recours à des protocoles de communication non sécurisés.
Afin de limiter la vulnérabilité sur le financement des entreprises, la DPR préconise de pérenniser à 10 % (au lieu de 25 %) le seuil de déclenchement de la procédure de contrôle des investissements étrangers en France non européens. Ce seuil avait été fixé à 10 % au printemps 2020, dans le cadre de la crise sanitaire, pour des questions de souveraineté. Le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, a déjà fait savoir qu'il était favorable à sa pérennisation.
Enfin, la DPR propose d'utiliser deux mesures présentes dans la boîte à outils de la lutte antiterroriste pour combattre le phénomène des ingérences étrangères. Il s'agit d'étendre le dispositif de gel des avoirs d'une part, et de permettre l'utilisation des algorithmes d'autre part. Cette technique de renseignement controversée, pérennisée en 2021 dans l'arsenal législatif français, permet la mise en œuvre d'un traitement automatisé des données de connexion et de navigation sur Internet. La délégation propose de l'élargir à la lutte contre les ingérences étrangères, à titre expérimental, pour une durée de trois ans.