"Un cap supplémentaire a été franchi" dans la violence lors des manifestations contre la réforme des retraites, ainsi que lors du rassemblement interdit contre les méga-bassines à Sainte-Soline, conclut la commission d'enquête sur les "groupuscules violents", qui a présenté son rapport, ce mardi 14 novembre. Florent Boudié (Renaissance) et Patrick Hetzel (Les Républicains) alertent sur "l’émergence et l’enracinement de nouvelles radicalités et d’individus ayant basculé dans l’extrémisme".
À l'issue de six mois de travaux, ponctués d'une quarantaine d'auditions et de deux déplacements, la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur "la structuration, le financement, les moyens et les modalités d’action des groupuscules auteurs de violences" commises en marge de manifestations et de rassemblements entre le 16 mars et le 3 mai 2023 a rendu publiques ses conclusions, ce mardi 14 novembre. Au cœur des travaux de la commission : les violences commises en marge de certaines manifestations du printemps derniers contre la réforme des retraites, ainsi que lors du rassemblement interdit contre les méga-bassines à Sainte-Soline (Deux-Sèvres).
Classiquement, le rapport de l'instance se partage entre constats et préconisations. Le premier volet confirme les inquiétudes déjà exprimées par le président de la commission, Patrick Hetzel (Les Républicains), et par le rapporteur, Florent Boudié (Renaissance) : à savoir celles d'une "montée des radicalités" et de l’existence d’une "pluralité d’individus et de groupes violents sur le territoire national", liés par une désinhibition à commettre des actes violents.
Il y a un "dévoiement du concept de désobéissance civile", dans le but de commettre des dégradations, a notamment pointé Patrick Hetzek lors de la présentation du rapport à la presse. Florent Boudié a pour sa part constaté l'absence de "lien formel" entre ces groupuscules et les structures partisanes traditionnelles, comme les partis politiques ou les organisations syndicales ; mais le député de la majorité présidentielle s'inquiète d'un "glissement, d'une forme de légitimation de la violence". "Absence de lien ne veut pas dire absence de passerelles", a-t-il précisé. En outre, la base militante de certaines structures peut se "reconnaître" dans un mode d'action violent.
De même, s'il s'inscrit en faux contre l'existence d'un "écoterrorisme", expression employée par le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, le rapporteur de la commission d'enquête évoque un "risque", identifié par les services de renseignement, que certains individus issus de la mouvance écologiste basculent dans une violence radicale légitimée, selon eux, par l'urgence climatique. Cette émergence de "nouvelles radicalités" s'est illustrée de manière particulièrement prégnante à Sainte-Soline, indiquent les deux élus.
Comme ils avaient déjà pu le faire lors de leur déplacement dans les Deux-Sèvres, en septembre dernier, Florent Boudié et Patrick Hetzel ont attribué la "responsabilité écrasante" des débordements commis en marge du rassemblement interdit de Sainte-Soline aux organisateurs de l'événement.
Absence de déclaration, absence de contestation administrative de l'interdiction, absence de dialogue, volonté délibérée d'une confrontation physique avec les gendarmes mobiles prouvée par la topographie des lieux... Autant d'éléments accablants pour les Soulèvements de la Terre, Bassines, non merci ! et la Confédération paysanne, selon les députés.
Passé ce constat, la commission d'enquête délivre ses recommandations. 36 au total, dont certaines demandent des ajustements législatifs qui seront regroupés au sein d'une proposition de loi transpartisane qui doit être déposée prochainement par Patrick Hetzel et Florent Boudié.
La plupart de ces préconisations relèvent de l'adaptation du cadre des opérations de maintien de l'ordre, dans le but de garantir le "bon déroulé des manifestations". Certaines d'entre elles sont classiques : moyens de communication renforcés avec les cortèges et les manifestants, notamment via l'utilisation de dispositifs sonores, coopération renforcée avec les organisateurs, formation approfondie au maintien de l'ordre des unités non spécialisées, évaluation des armes utilisées lors des opérations de maintien de l'ordre, port systématique des caméras piétons...
Plus originale est la proposition de Florent Boudié de créer un statut d'observateur indépendant qui serait chargé d'analyser de manière impartiale les évènements ayant lieu lors des manifestations et rassemblements. Ces observateurs pourraient relever d'ONG locales, de "défenseurs des droits de l’homme", ainsi que d'organisations internationales ou intergouvernementales. Dans le rapport, Patrick Hetzel fait toutefois part de sa réserve quant à cette proposition, jugeant qu'elle entraînerait "l’idée d’une défiance ex ante" à l'égard des forces de l'ordre.
Par ailleurs, comme ils l'avaient déjà confié à LCP cet été, les deux élus proposent de d'utiliser davantage les canons à eau, qui permettrait d'introduire une "réponse graduée" avant l'engagement de nouveaux moyens. En revanche, à rebours de bon nombre de propositions récentes, la commission d'enquête conseille de suspendre le recours aux produits de marquage codés, qui doivent permettre de retrouver des individus qui commettent des dégradations, et conseille de mettre en place une "expérimentation strictement encadrée".
Dans leur rapport, les députés n'omettent pas de se pencher sur le lien de confiance entre police et population, "qui semble s’être distendu dans certaines catégories de la population et sur certains territoires de la République". "Si nous voulons que la tension baisse, il faut jouer le jeu de la transparence", a plaidé Florent Boudié lors de la conférence de presse de mardi.
De fait, la commission d'enquête pilotée par le tandem Boudié-Hetzel délivre plusieurs propositions ambitieuses, voire audacieuses, en la matière. L'instance préconise ainsi d'"étayer l’indépendance" de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) et de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN), en supprimant la tutelle administrative des directions générales de la police et de la gendarmerie nationales. "Il pourrait même être envisagé un contrôle externe de l’action des forces de l’ordre sous la forme d’une autorité publique indépendante", indique prudemment le rapport.
Dans un esprit similaire, la commission d'enquête propose de renforcer le rôle du Défenseur des droits, en permettant à cette autorité administrative de saisir directement les inspections générales à des fins d’enquêtes administratives. Elle invite également l'exécutif à mettre en place, au plus vite, le "collège de déontologie" prévu par la loi de programmation et de fonctionnement du ministère de l'Intérieur (Lopmi).
Les propositions d'évolution de l'arsenal préventif et répressif des violences commises en manifestations occupent la dernière partie du rapport, mais non des moindres. Le document préconise plusieurs évolutions législatives, notamment concernant les interdictions de paraître en manifestation. Il en va ainsi de l'extension du champ de cette peine complémentaire d’interdiction de manifester à la participation à un attroupement après les sommations réalisées par les forces de l'ordre. Ou de la proposition d'intégrer l’interdiction de manifester dans le champ des obligations dont la violation peut justifier la rétention de la personne concernée, pour une durée de vingt-quatre heures.
En outre, les députés proposent d'expérimenter une "obligation de pointage" au commissariat, ou en gendarmerie, des personnes condamnées à une telle interdiction. Enfin, ils jugent nécessaire de faciliter la dissolution d'associations ou groupements de fait qui provoquent à la violence, en introduisant une nuance de provocation "indirecte". Cela permettrait, selon eux, de lutter contre les stratégies de groupuscules "visant à dissimuler ou atténuer consciemment la radicalité de leurs propos, en jouant d’ambiguïtés et de sous-entendus", notamment sur Internet. Cette dernière recommandation résonne avec l'actualité, la dissolution des Soulèvements de la Terre ayant été annulée, il y a quelques jours, par le Conseil d’Etat qui a conclu à l'absence de "provocation à la violence" identifiée.