Auditionnées par les députés, plusieurs organisations syndicales ont dénoncé les méthodes managériales d'Orpea. La CGT affirme que le groupe a essayé d'"acheter" son silence en 2010, pour une somme de quatre millions d'euros.
La commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale continue son cycle d'auditions, après les révélations du livre "Les Fossoyeurs" de Victor Castanet, qui dénonce les méthodes du groupe Orpea. Mercredi 23 février, c'était le tour des organisations syndicales : ses représentants ont tous décrit un dialogue social empêché par un "syndicat maison", des "conditions de travail atroces" et une "maltraitance systémique, institutionnelle".
"La management par la terreur est à l’œuvre à tous les étages dans le groupe Orpea", a expliqué Loïc Le Noc. Le représentant de la CFDT a notamment raconté l'histoire d'une salariée en CDD "convoquée" par un directeur afin qu'elle puisse faire une "attestation à charge contre une salarié en CDI". La salariée a refusé de faire ce "faux témoignage" : désormais, "elle n'a plus de travail".
Orpea ne dispose que d'un seul CSE, "une instance unique, nationale, centralisée, de 35 membres" pour 220 établissements et 13.000 salariés, a dénoncé Dominique Chave (CGT). "Les instances représentatives du personnel sont depuis plus de dix ans sous le contrôle d'un syndicat maison, Arc-en-ciel, monté de toutes pièces par la direction", a-t-il expliqué. Le syndicaliste dénonce le déroulement des dernières élections professionnelles de 2019 lors desquelles les "deux grosses centrales syndicales que sont la CFDT et FO" ont été "évincées".
"Nous avons été victimes d'une escroquerie en bande organisée lors de ces élections", a expliqué Loïc Le Noc (CFDT). "Nos professions de foi ont disparu des enveloppes à destination des électeurs et bon nombre de salariés devant voter par correspondance en ont été privés par diverses manœuvres", a déclaré le syndicaliste. Début février, la CGT, FO et la CFDT ont annoncé leur volonté de porter plainte pour "discrimination syndicale" et "entrave à l'activité syndicale".
Dominique Chave est également revenu sur un fait datant de 2010, qui fait écho à la tentative de corruption dont aurait fait l'objet le journaliste Victor Castanet. Le syndicaliste affirme que "la CGT a[vait] été infiltrée par cinq salariés embauchés par le groupe Orpea". La centrale syndicale a porté plainte : "Le groupe Orpea a voulu nous acheter en nous proposant la modique somme de quatre millions d'euros."
Plusieurs syndicalistes ont demandé la suppression des Ehpad privés à but lucratif. "Il y a urgence d'en finir avec ce système commercial", a déclaré devant les députés Mireille Stivala (CGT). De son côté, Anissa Amini (Sud Santé Sociaux) a demandé "l'interdiction de faire du profit sur l'accompagnement et la prise en charge des personnes âgées dépendantes et vulnérables". "Il faut changer de paradigme", a confirmé Gilles Gadier, le secrétaire fédéral de la branche santé de Force ouvrière.
Mireille Stivala (CGT) a également dénoncé la "complaisance de certains élus" tandis que Guillaume Gobet (CGT) a mis en cause la "promiscuité" entre les grands groupes et "les pouvoirs publics". Pour illustrer son propos, ce dernier a évoqué les "transferts de directeurs d'ARS qui viennent dans nos services et vice versa". Plusieurs personnes auditionnées depuis le 2 février ont critiqué le rôle joué par les agences régionales de santé et par les pouvoirs publics.
C'est notamment le cas de Pascal Champvert : auditionné mardi 22 février, le président de l'Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA) a clairement mis en cause l'Etat et les départements, accusés de faire subir des pressions managériales aux "directeurs du public et de l'associatif". "Ce n'est pas propre au privé commercial (...) c'est la même chose dans le public", a lui aussi déclaré Pascal Meyvaert, le vice-président de la Fédération française des associations de médecins coordonnateurs en Ehpad, auditionné mercredi 23 février.
"J'ai l'impression d'entendre les mêmes problématiques depuis maintenant presque vingt ans", a également expliqué mardi Pascal Meyvaert. "C'est la énième mission [parlementaire], les constats sont déjà largement connus", s'est lui aussi étonné le syndicaliste Yann Le Baron (UNSA). "Les solutions, ça fait des années qu'on vous les donne", a ajouté Audrey Padelli (Sud Santé Sociaux), qui a demandé des "plans d'embauche massifs", une "réelle revalorisation salariale" et la "reconnaissance de la pénibilité du métier".
Face à l'agacement palpable des syndicalistes, la députée Christine Pires Beaune (Socialistes et apparentés) a reconnu un "manque de courage politique depuis des années et des années" alors qu'il faudrait, selon elle, débloquer "9 milliards" d'euros. "La fameuse loi autonomie et dépendance avait été promise par Nicolas Sarkozy, puis par François Hollande, puis par Emmanuel Macron, nous arrivons à la fin du mandat et elle n'est toujours pas là."
L'ancienne directrice d'Ehpad Jeanine Dubié (Libertés et territoires) a elle aussi fait son mea culpa : "Je termine dix ans de mandat et je peux vous dire que je ne suis pas fière." Ces critiques ont été tempérées par Charlotte Parmentier-Lecocq (La République en marche) : "Il y a déjà des choses qui ont été engagées en termes de rémunération, d'augmentation des effectifs, nous sommes conscients qu'il faut recruter davantage et c'est ce que nous souhaitons faire."
A l'instar de nombreux députés, mais aussi des avocats de familles de résidents, les syndicalistes ont demandé la création d'une commission d'enquête à l'Assemblée nationale. Déjà auditionnés le 2 février, les dirigeants d'Orpea ont qualifié les révélations de Victor Castanet d'"allégations". Mis en cause mercredi par certains syndicalistes, comme Anisse Amini (SUD Santé Sociaux), les dirigeants de Korian ont pour leur part été entendus le 16 février : ils ont martelé que la "culture" de leur entreprise n'avait "rien à voir" avec les faits dénoncés par Victor Castanet.