Désigné dans le livre "Les Fossoyeurs" comme un des artisans clés du "système Orpea", Jean-Claude Brdenk s'est défendu devant les députés. Sans les convaincre, l'ancien dirigeant en charge du développement se dit "personnellement attaqué" et réfute toute course au profit au détriment de la santé des résidents.
L'indignation plutôt que le mea culpa. C'est la ligne de défense retenue par Jean-Claude Brdenk devant la commission des affaires sociales. L'ancien directeur général délégué à l'exploitation et au développement des Ehpad privés Orpea a toutefois marqué d'emblée sa différence par rapport aux actuels responsables actuels du groupe : "Je dirigeais les établissements, pas le siège."
Une nuance pas anodine compte tenu des révélations sur le système Orpea tel que décrit par le journaliste Victor Castanet dans "Les Fossoyeurs". Un livre-enquête qui détaille, témoignages et documents à l'appui, l'ensemble des stratégies mises en œuvre par le groupe français pour maximiser les rendements, au détriment du bien-être des résidents.
Jean-Claude Brdenk, vingt-trois ans de carrière dans une entreprise qu'il a quittée le 31 décembre 2020, y est désigné comme le "cost-killer" en chef, aussi surnommé "le bulldozer", "capable de pousser des colères foudroyantes chaque mois" auprès de ses directeurs régionaux. Un portrait que l'intéressé défend formellement :
"Les Fossoyeurs" : "J'ai été personnellement attaqué dans le livre !"
— LCP (@LCP) February 15, 2022
> Jean-Claude Brdenk, ancien directeur général délégué à l’exploitation et au développement de #Orpea, se défend et "se réserve une action judiciaire" contre l'enquête journalistique. #DirectAN pic.twitter.com/pMzwoWdOJk
Pointé du doigt également pour avoir dit que "gérer des personnes âgées en maison de retraite, c'est exactement comme vendre des baskets", Jean-Claude Brdenk estime que "quarante-quatre points" le concernant dans le livre sont "totalement faux". Il y voit de la "diffamation" et "de la caricature", se réservant la possibilité de poursuivre l'auteur en justice.
Parmi les éléments qu'il conteste, il a assuré aux députés qu'il n'y avait pas de "faux contrats courts" utilisés dans les établissements Orpea, même s'il a reconnu l'usage de "faux motifs", se retranchant derrière une pratique répandue dans les secteurs soumis à un fort turn-over ou à une tension sur les recrutements, comme la restauration.
Le livre fait aussi état du renvoi "en quelques mois" de pas moins de "vingt-sept directeurs d'établissements". Mensonge selon celui qui assure que le groupe a procédé au maximum, en 2013, à la rupture de contrat avec "sept directeurs".
Selon lui, le coût journalier pour nourrir les résidents, établi autour de 4,73 euros hors taxes, était dans la norme, tout comme les changements des "protections" - autrement dit les couches - reprenant des chiffres déjà donnés par les dirigeants actuels du groupe. Bref, les "obligations de moyens" étaient respectées au niveau de chaque établissement, a-t-il fait valoir.
Il a affirmé en outre que Les Bords de Seine (Neuilly-sur-Seine), Ehpad le plus cher de France aux pratiques particulièrement décriées dans le livre, n'aurait pas généré de maltraitance :
Contrôles des Ehpad privés : "La France n'a pas à rougir de ses contrôles, ce n'est pas une réunion sympathique, fait valoir Jean-Claude Brdenk. À Neuilly, il n'y a pas eu de faits de maltraitance. (...) Je vous invite à faire preuve d'un peu de discernement." #Orpea #DirectAN pic.twitter.com/hsOpkIRZoA
— LCP (@LCP) February 15, 2022
L'ancien dirigeant, embauché en début d'année par Bastide, principal fournisseur d'Orpea en matériel médical, a également estimé que "5 à 7% de rentabilité ne sont pas des résultats colossaux", alors que le cours boursier du groupe a tutoyé les sommets ces dernières années, jusqu'à la sortie du livre.
Interrogé sur l'existence d'un système de marge arrière, Jean-Claude Brdenk a botté en touche. "Quand la question est embarrassante, vous nous expliquez que vous ne vous occupiez pas de ça", a regretté Christine Pirès-Beaune (Socialistes et apparentés). Victor Castanet avance qu'Orpea impose à ses fournisseurs un système de rétrocommissions, ce qui permet au groupe de conserver une partie des financements publics normalement dévolus à l'acquisition des protections. "Une employée Orpea était payée pour ça, 122 fournisseurs, 10 millions d'euros, c'est marqué M. le directeur ! C'est un des leviers principaux de votre système", a protesté Didier Martin (La République en marche).
Alors que son ancien collègue Yves Le Masne, ex-directeur général démis de ses fonctions juste après la publication du livre, est visé par une enquête pour délit d'initié pour avoir vendu ses actions trois semaines après avoir appris l'existence du travail de Victor Castanet, Jean-Claude Brdenk affirme avoir gardé l'essentiel de ses parts. Il a aussi dévoilé sa rémunération aux députés, qui se situe parmi les toutes meilleures rémunérations en France selon le classement annuel des cadres publié par Challenges.
Jean-Claude Brdenk, ancien directeur général délégué du groupe #Orpea, dévoile son salaire à six chiffres et son indemnité de départ votée en 2021, de "2,5 millions d'euros brut".
— LCP (@LCP) February 15, 2022
> Cela correspond "aux bonnes pratiques des entreprises cotées en Bourse". #Orpea #DirectAN pic.twitter.com/k4fL2IKe0O
"À vous entendre, vous n'êtes responsable de rien", a déploré la socialiste Marie-Noëlle Battistel (Socialistes et apparentés), résumant l'esprit général des députés à l'issue de l'audition. "En fait, tout ce qui est écrit dans le livre est sorti de l'imagination de Victor Castanet. Si c'est le cas, il serait urgent pour vous de le traîner en justice, mais vous hésitez encore", a-t-elle ajouté. À voir si Yves Le Masne sera lui aussi tenté par la voie judiciaire, alors qu'il a demandé un report de son audition devant les députés, plaidant "une hospitalisation" suite à sa mise à l'écart du groupe.