Orpea : la "descente aux enfers" d'ex-résidents racontée par leurs enfants

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Assemblée nationale, le 17/02/2022
par Maxence Kagni, le Jeudi 17 février 2022 à 10:34, mis à jour le Vendredi 18 février 2022 à 14:52

La commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a auditionné, jeudi  17 février, trois enfants d'ex-résidents d'Ehpad Orpea. Les députés ont été confrontés à des témoignages forts, faisant état de cas graves de maltraitance.

La commission des affaires sociales de l'Assemblée a été confrontée, jeudi matin, au récit de trois "descentes aux enfers". Pendant plus d'une heure, les députés ont écouté le témoignage des enfants d'ex-résidents d'Ehpad : Lionel Sajovic, Sophie Mayer et Isabelle Schwartz ont détaillé le "calvaire" vécu par leurs parents au sein des établissements du groupe Orpea, mis en cause par le livre Les Fossoyeurs, du journaliste Victor Castanet. Malnutrition, fractures, dents cassées... La violence des faits qu'ils ont décrits a parfois laissé les députés sans voix : "Je dois dire que c'est assez difficile de prendre la parole après des témoignages comme ceux que vous nous avez apportés", a ainsi déclaré Agnès Firmin Le Bodo (Agir ensemble).

"Elle a beaucoup saigné"

La première à prendre la parole a été Isabelle Schwartz : sa mère a résidé dans l'Ehpad Orpea Le Corbusier, à Boulogne-Billancourt, du 9 mars 2020 au 3 juillet 2020. "A son entrée, elle présentait de très légers troubles cognitifs et un début d'Alzheimer", explique Mme Schwartz. Un jour, une personne l'avertit par téléphone que sa mère est tombée, la veille : "Elle a beaucoup saigné, la moquette est tachée (...) mais quand on est arrivé, elle ne saignait plus", lui aurait-on expliqué. Isabelle Schwartz affirme qu'"aucune prise en charge" n'a eu lieu et qu'elle n'a eu "aucune explication concernant cet accident". Autre problème, qui fait écho aux accusations de malnutrition relayées ces dernières semaines : à chacune de ses visites, Isabelle Schwartz s'est rendue compte que sa mère "dévorait goulûment le gâteau [qu'elle] lui amenait". 

"On ne lui lavait pas les dents, elle ne buvait pas assez, d'où l'apparition de caries rapides provoquant des fractures des dents", a aussi expliqué Isabelle Schwartz, qui est chirurgien-dentiste de profession. Tout cela avant l'accident fatal : "On a laissé ma mère pendant des heures sans soins d'urgence" alors qu'un examen à l'hôpital démontrera qu'elle souffrait de multiples fractures, dont une du sternum et des côtes droites et gauches. Sa mère est décédée une année après être sortie de l'Ehpad, des suites, selon elle, de "l'accélération de son Alzheimer, qui fut la résultante de toutes ses fractures, maltraitances et souffrances qu'elle a subies à Orpea".

"Ivre de douleur"

Sophie Mayer a partagé un récit assez semblable : sa mère a résidé dans une maison de retraite du groupe Orpea qui, dans un premier temps, lui a "vendu du rêve". Mais un soir, une personne l'informe que sa mère est tombée. Une fois à l'hôpital, Sophie Mayer trouve sa mère "ivre de douleur" : elle a une jambe fracturée. Après l'opération, les médecins se rendent compte que son autre jambe est également brisée et l'opèrent à nouveau. "Elle fait, à la suite de cela, un mini AVC", explique Mme Mayer, qui assure que sa mère est "restée 48 heures [avec] les deux jambes brisées".

Le médecin refuse de la renvoyer à l'Ehpad, il soupçonne des maltraitances : "Elle était couverte d'escarres, elle avait une infection urinaire épouvantable due au manque de changement de protection." Et il lui explique qu'après un tel choc, son espérance de vie est "réduite à environ six mois, au mieux". Sa mère a donc "passé ses dernières semaines, à la maison, dans des souffrances" que Sophie Mayer "ne souhaite pas à [ses] pires ennemis".

"Je ne veux pas que mes enfants me mettent dans un mouroir, parce que ce terme est bien en dessous de la vérité", a quant à lui affirmé Lionel Sajovic. Son père a lui aussi vécu dans un Ehpad Orpea : "Ca s'est bien passé les premiers jours", avant une dégradation rapide. "On a trouvé très souvent mon papa dans un état lamentable (...). Le médecin ne venait jamais le visiter (...) on l'a retrouvé plusieurs fois les ongles longs, cassés et pas coupés (...) pendant cinq jours, six jours, il traînait avec les mêmes pantalons souillés d'urine."

Lionel Sajovic promet que son père "avait toute sa tête". Pourtant, l'Ehpad lui propose de le placer en "unité protégée", "l'unité où on place les gens victimes de troubles cognitifs" : "On a accepté et là ça a été la descente aux enfers." Photo à l'appui, M. Sajovic affirme avoir découvert que son père avait été "battu" et retrouvé "dans une mare de sang, couvert d'ecchymoses". De plus, sans savoir si cela était volontaire, son père a, à plusieurs reprises, "trouvé des gens qui dormaient dans son lit, à sa place". "Il a été drogué", ajoute encore M. Sajovic, affirmant que son "père a été dans un état léthargique" plusieurs fois.

Un jour, pendant le confinement, une aide-soignante a appelé sa soeur, "probablement parce qu'elle ne savait pas quoi faire et qu'il n'y avait pas de médecin" : "Mon papa ne pouvait plus parler, on entendait 'un chien' haleter." Alerté, Lionel Sajovic s'est "introduit dans l'Ehpad" : "J'ai vu mon père agonisant", a-t-il expliqué, persuadé que celui-ci n'avait pas le Covid puisqu'il "respirait parfaitement". "Il est décédé 24 heures plus tard, on n'a jamais eu d'excuses ou de condoléances", a conclut Lionel Sajovic, qui explique n'avoir pas récupéré le dossier médical de son père.

"Affreuse odeur d'urine"

Les témoignages recueillis jeudi matin par les députés présentent de nombreuses similitudes. Tous les enfants jugent que le séjour en Ehpad est responsable de la dégradation rapide de l'état de leur parent. Devant les députés, Sophie Mayer a pointé les "détails communs" dans leurs récits, comme l"affreuse odeur d'urine, ces histoires de protection, cette malnutrition, le fait de ne pas aider quelqu'un à couper sa viande". Autre point commun, le mode de défense utilisé par Orpea : "On ne vous répond jamais", a regretté Sophie Mayer, qui explique ne pas avoir pas porté plainte, par volonté de "ne pas se battre contre une machine", persuadée que ça n'allait "servir à rien".

Pour seules explications, elle indique s'être retrouvée "face à un tribunal" composé de sept membres d'Orpea, qui ont nié toute responsabilité. "Ils m'ont montré un cahier [d'incidents] qui, j'en suis sûre, a été falsifié." "On a été, nous aussi, face à un tribunal, une dizaine de personnes face à vous qui vous expliquent que tout va bien", a également expliqué Lionel Sajovic. Sophie Mayer a ajouté s'être entendue dire que sa mère "ne se plaignait pas" car "de toute façon les personnes âgées ne ressentent pas la douleur". Un récit corroboré par Isabelle Schwartz, à laquelle il a été dit que les personnes âgées "ressentent la douleur différemment".

A la fin de leurs récits, Sophie Mayer et Lionel Sajovic se sont rendus compte que leur parent, placés dans des établissements différents, ont eu affaire a une seule et même directrice. "Nous ne nous connaissons absolument pas, nous ne nous sommes jamais vus, ni rencontrés, ni [au téléphone], ni physiquement, c'est la première fois que nous nous voyons et nous avons exactement le même témoignage", a conclut Isabelle Schwartz.

"Je vous avoue qu'à un moment, je me suis dit 'c'est pas possible', on est dans un film", a réagi Alain Ramadier (Les Républicains), partageant ainsi la sidération ressentie par l'ensemble de ses collègues. "D'une manière ou d'une autre, le groupe [Orpea] mais aussi la représentation nationale vous doit réparation", a estimé Annie Vidal (La République en marche). Le groupe Orpea, auditionné le 2 février 2022, a qualifié les révélations du livre "Les Fossoyeurs" d'"allégations". Face aux accusations, le nouveau PDG du groupe Philippe Charrier a promis qu'il serait "le premier à venir présenter des excuses s'il y avait des cas avérés" de maltraitance dans les Ehpad Orpea.

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