En commission des lois, les députés ont réécrit et voté une proposition de loi sénatoriale en reprenant les amendements du gouvernement pour mieux protéger les enfants. Un principe de non-consentement sexuel est fixé à 15 ans et un autre seuil est établi à 18 ans en cas de relation incestueuse.
En trois amendements, le gouvernement a acté une petite révolution dans le code pénal attendue de pied ferme pour mieux protéger les enfants victimes de violences sexuelles. Alors que la parole s'est libérée et que le sujet a pris de l'ampleur dans le débat public, plusieurs propositions de loi ont été présentées ces dernières semaines pour légiférer en la matière. Le gouvernement a finalement choisi la proposition de loi "visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels", initié par la sénatrice Annick Billon (Union centriste), pour concrétiser plusieurs annonces égrenées depuis le début de l'année.
Si un texte socialiste voté le 18 février proposait des avancées similaires, la version sénatoriale avait l'avantage d'avoir déjà été étudiée en janvier par la Chambre haute avant d'arriver mercredi en commission des lois, à l'Assemblée nationale. Lors du vote du texte, les sénateurs avaient fixé un seuil de non-consentement des relations sexuelles entre les mineurs de 13 ans et les adultes. Dans un premier amendement, le gouvernement a proposé avec succès aux députés de rehausser ce seuil à 15 ans.
Concrètement, en-dessous de cet âge, deux nouvelles infractions pour "agression sexuelle" et "viol" sur mineurs (en cas de pénétration ou d'actes bucco-génitaux) sont ajoutées au code pénal. Ces infractions seront respectivement punies de 10 et 20 ans de prison sans avoir besoin de prouver qu'il y a eu "violence, contrainte, menace ou surprise", soit la qualification ordinaire des violences sexuelles dans le droit actuel.
Ces dispositions ne s'appliquent toutefois que quand "la différence d'âge entre l'auteur et le mineur est d'au moins cinq ans". Cette rédaction, surnommée "clause Roméo et Juliette", vise à ne pas "criminaliser les amours adolescentes" librement consenties, a expliqué le garde des Sceaux.
Je ne veux pas être le censeur de la sexualité de nos adolescents. Éric Dupond-Moretti, le 3 mars 2021
Le texte laisse donc libres les relations sexuelles entre un mineur de 13 ans et un jeune majeur de 18 ans, ou de 14 ans et 19 ans. "Bien évidemment, cela ne signifie pas que [le majeur] ne pourra pas être condamné pour viol ou agression sexuelle, dès lors que les conditions habituelles du viol ou de l'agression sexuelles seront réunies", a pris la peine de préciser le ministre.
Le même amendement instaure un deuxième seuil d'âge, à 18 ans, en cas d'inceste. Tout acte sexuel commis "par un ascendant" sur un mineur pourra être puni par les mêmes peines. Des sous-amendement proposés par plusieurs groupes politiques ont ajoutés le beau-père ou la belle-mère de la victime ("concubin", "conjoint") s'ils ont "une autorité de droit ou de fait" sur cette dernière.
Le gouvernement a également fait adopter un deuxième amendement instituant un mécanisme de "prescription glissante", pour les viols commis sur des mineurs. Le délai de prescription - actuellement de 30 ans à compter de la majorité de la victime - serait prolongé en cas de nouveau viol sur un autre mineur, jusqu'à la prescription du dernier crime :
La prescription du premier crime est prolongée jusqu'à la date de prescription du nouveau crime, c'est simplement ce que propose le gouvernement. Éric Dupond-Moretti, le 3 mars 2021
Très attendus, ces nouveaux mécanismes devront cependant passer l'épreuve de la constitutionnalité. "Ce texte est une avancée historique mais il faut qu'il tienne la route car s'il devait être censuré nous serions dans une situation extrêmement compliquée face aux victimes", a résumé Alexandra Louis (LaREM). Selon la rapporteure du texte, "tout ne se joue pas aujourd'hui en commission, le sujet est trop complexe pour cela".
Elle a ainsi exprimé ses doutes sur la rédaction du troisième amendement du gouvernement, qui redéfinit le champ des atteintes sexuels sur mineurs. Ce délit, qui punit actuellement les relations consenties entre adultes et mineurs de moins de 15 ans, doit être réécrit en raison du nouveau seuil de non-consentement. De plus, "c'est une procédure parfois instrumentalisée par les parents de l'adolescent", a argué Éric Dupond-Moretti.
Mais la proposition de rebaptiser ce délit en "abus sexuels", une notion juridique "anglicisée", a aussi été contestée par Alexandra Louis. Le ministre a renvoyé à la séance cette discussion sémantique et juridique, le gouvernement souhaitant "modifier une dénomination qui n’a jamais été comprise par l’opinion publique". Le texte sera examiné en séance publique à partir du lundi 15 mars.