Les députés de la commission des lois ont achevé l'examen des articles destinés à limiter l'irresponsabilité pénale en cas de prise de stupéfiants. C'est l'un des principaux volets du projet de loi sur la responsabilité pénale et la sécurité intérieure. Lors de son audition, le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, a justifié les évolutions décidées suite au meurtre de Sarah Halimi et à la décision de justice rendue dans cette affaire.
Jusqu'où et comment limiter l'irresponsabilité pénale en cas de prise de stupéfiants ou d'ivresse ? Les députés de la commission des lois étaient partagés, ce mardi, au moment d'aborder l'examen du projet de loi "relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure". Ce texte, décidé suite au meurtre de Sarah Halimi et à la décision de justice rendue dans cette affaire, répond à une "commande" du président de la République, comme l'a assumé le ministre de la Justice. Éric Dupond-Moretti a toutefois et à plusieurs reprises refusé de parler d'une loi qui serait de circonstance, ou prise dans la précipitation, mettant en avant les nombreuses consultations menées sur le sujet.
Pour rappel, le meurtrier de Sarah Halimi, retraitée juive assassinée à son domicile, avait été reconnue pénalement irresponsable par la justice. La consommation de cannabis lui aurait procuré une "bouffée délirante aiguë". Toutefois, comme la Cour de cassation l'a reconnu dans une décision rendue en avril, la loi ne permet pas de différencier ce qui est à l'origine de l'abolition du discernement d'une personne. Le projet de loi vise à remédier à cette impasse.
Le garde des Sceaux a tenté de balayer les réticences affichées par certains élus, tout en détricotant les mesures du texte afin de ne pas entretenir certaines confusions. L'article premier, qui introduit une exception à l'irresponsabilité pénale, ne concerne pas l'affaire Sarah Halimi, a-t-il ainsi martelé. Il prévoit qu'une personne qui absorberait volontairement des psychotropes en vue de commettre une infraction ne puisse être reconnue comme irresponsable. L'exemple d'un terroriste qui aurait ingéré du captagon et tente d'échapper à une condamnation par ce biais-là a été évoqué. Il s'agit d'une codification d'une pratique déjà installée dans les faits.
En revanche, l'articles 2 répond directement à l'émotion induite par le meurtre de Sarah Halimi. Il prévoit la création de deux nouvelles infractions, sanctionnant une consommation volontaire d'alcool ou de stupéfiants ayant causé une abolition du discernement, période au cours de laquelle une personne a commis un meurtre ou des violences sur quelqu'un, faits pour lesquels elle a été reconnue pénalement irresponsable.
Lors de la discussion générale, plusieurs députés ont fait part de leurs doutes quant à l'applicabilité des mesures prévues par le texte. C'est le cas de Cécile Untermaier (PS), de Paul Molac (Libertés et territoires) ou encore d'Éric Diard (Les Républicains). Ce dernier s'est étonné que l'article 2 puisse instaurer un "régime d'excuse atténuante de la consommation d'alcool ou de stupéfiants" lorsqu'il en est résulté une abolition du discernement, un homicide volontaire étant passible de 30 ans de prison contre 10 pour la version prévue par le texte. Répondant à cette critique, Éric Dupond-Moretti a rappelé qu'à l'heure actuelle, rien n'était prévu pour ce cas de figure et qu'il était normal que les peines soient moindres dans le cas où une irresponsabilité pénale avait été retenue en premier lieu.
Des débats ont émergé pour savoir si évolution similaire pouvait concerner une personne malade qui déciderait d'arrêter de prendre des médicaments. Cette question a même provoqué une fracture au sein de la majorité, car un amendement allant dans ce sens a été déposé par Stéphane Mazars, et soutenu par Alice Thourot. Il visait à sanctionner le comportement d'un individu, qui, "en toute connaissance de cause, va prendre le risque de se comporter de manière associale, voire bestiale".
"Ce n'est pas un sujet évident", a reconnu la rapporteure qui a toutefois clairement différencié le fait de s'intoxiquer volontairement avec de l'alcool et des stupéfiants, à celui d'arrêter d'ingurgiter une molécule. Selon elle, la rupture thérapeutique peut en outre être "un signe de la maladie". Par dessus-tout, elle a rappelé qu'il était nécessaire de ne pas juger les fous. "Cela remettrait en cause ce principe fondamental de notre droit pénal", a tranché à son tour Coralie Dubost.
Les députés ont également examiné l'article 4, qui renforce les peines prévues en cas d'agression commise à l'encontre des policiers, gendarmes, policiers municipaux, militaires déployés dans le cadre de l'opération Sentinelle et agents pénitentiaires. Cette mesure, prise dans la lignée de la loi relative à la sécurité globale, a été vivement critiquée par Ugo Bernalicis. "On n'est pas obligé de céder sous le coup de l'émotion policière systématiquement", a-t-il lancé, dénonçant un énième cadeau offert aux syndicats de police, sous la pression. "Il ne s'agit pas de surenchère pénale, mais d'une volonté de regarder les choses telles qu'elles sont", a rétorqué le rapporteur, Jean-Michel Mis (LaREM), rappelant la hausse des agressions commises à l'encontre des fonctionnaires de police en mission.
On n'est pas obligé de céder sous l'émotion policière systématiquement. Ugo Bernalicis, député LFI
Plusieurs élus ont demandé à ce que cette nouvelle infraction soit également appliquée à d'autres corps : . Finalement, seuls les agents des douanes et les sapeurs-pompiers seront également concernés, et pas les élus, comme le proposait Dimitri Houbron (Agir ensemble). D'autres dispositions spécifiques aux forces de l'ordre, concernant la captation d'images et les refus d'obtempérer, ont été temporairement réservées. Elles seront examinées demain, après l'audition de Marlène Schiappa, la ministre déléguée de la place Beauvau.
De nombreuses mesures diverses, contenues en fin de texte, ont également été adoptées durant la nuit. Ont notamment été votées la mise en place d'une amende forfaitaire pour les vols à l'étalage de moins de 300 euros, ainsi que l'obligation, sous condition, pour des mineurs isolés délinquants d'être soumis à une prise d'empreintes digitales et palmaires ou à être pris en photographie, l'objectif étant de favoriser leur identification.