L’Assemblée nationale a rejeté, jeudi 7 octobre, la proposition de loi d’Aurélien Pradié (LR) "visant à plus de justice et d'autonomie en faveur des personnes en situation de handicap". Présentée dans le cadre de la journée d’initiative parlementaire réservée au groupe Les Républicains, elle contenait notamment la mesure d’individualisation du calcul de l’allocation aux adultes handicapés (AAH).
Le vote bloqué, dont le gouvernement s’était saisi en juin dernier pour se prémunir d'une éventuelle adoption, contre sa volonté, de la proposition de loi portée par Jeanine Dubié (Libertés et Territoires) relative à la déconjugalisation de l’AAH, avait provoqué l’indignation des oppositions et de plusieurs associations. Quatre mois plus tard, grâce à une majorité mieux mobilisée et mieux préparée, la secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées, Sophie Cluzel, n’a pas eu besoin de recourir à ce type de procédure pour obtenir le rejet la proposition de loi LR.
Les oppositions étaient elles aussi en ordre de bataille, pour soutenir d'une seule voix la proposition de loi, cette fois portée par Aurélien Pradié. Stéphane Peu (Gauche démocrate et républicaine), a d'ailleurs prévenu le gouvernement qu'en cas de rejet du texte, les députés communistes reprendraient à leur compte la mesure d'individualisation de l'AAH à l'occasion de leur propre journée d'initiative parlementaire. Il s'agirait en fait de poursuivre la navette de la proposition de loi débattue en deuxième lecture à l'Assemblée en juin dernier, et qui sera examinée au Sénat le 12 octobre prochain avec de grandes chances d'être adoptée. "On ne vous lâchera pas", a martelé Stéphane Peu, propos repris quelques instants plus tard par Aurélien Pradié.
Ce dernier n'a dès le début de la séance pas mâché ses mots en direction du gouvernement et de la majorité. Le député du Lot est notamment revenu sur les conditions de l'examen de la précédente proposition de loi relative à l'AAH. "Le dernier débat sur ce sujet a tourné au psychodrame, à grand renfort de vote bloqué et de passage en force brutal comme jamais de ce gouvernement. Personne ne l'a oublié ici. Personne ne l'a oublié parmi les Français", a-t-il ainsi déclaré, avant de poursuivre : "Rarement un pouvoir politique aura été aussi technocratique et désincarné dans son approche des grands sujets sociaux".
Créée en 1975, l’AAH a pour objet de compenser l’incapacité de travailler. D’un montant maximal de 904 euros mensuels, elle est versée sur critères médicaux et sociaux. Pour les défenseurs de l'individualisation, dont fait partie Aurélien Pradié, la fin de la prise en compte des revenus du partenaire est indispensable afin de permettre l’autonomie et l’indépendance financière des personnes concernées. Une mesure qui, pour le gouvernement, irait contre la logique redistributive et remettrait en cause tout notre système fiscal. Lors des débats, la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées a défendu une autre solution qualifiée de "plus juste, redistributive et opérationnelle". "Le projet de loi de finances pour 2022 porte un nouveau mode de calcul pour l'AAH, mis en oeuvre dès le 1er janvier 2022. Le remplacement de l'abattement de 20% sur le revenu du conjoint par un abattement forfaitaire de 5 000 euros, permettra à 120 000 personnes de bénéficier d'une augmentation mensuelle de 110 euros en moyenne, pouvant aller jusqu'à 186 euros", a expliqué Sophie Cluzel. "C'est un investissement supplémentaire de l'Etat pour plus de justice sociale de 185 millions d'euros, qui permettront à 60% de bénéficiaires en couple, de conserver l'allocation à taux plein".
Au-delà du débat sur l'AAH, qui avait déjà cristallisé les tensions au sein de l'hémicycle en juin dernier, la proposition de loi d'Aurélien Pradié visait à réformer la prestation de compensation du handicap (PCH), aide financière versée par le département, prenant en charge les dépenses liées à la perte d'autonomie.
Le président de la République s'étant prononcé pour l'extension de la PCH lors de la dernière conférence nationale sur le handicap, en 2020, Aurélien Pradié a voulu y voir "un terrain de rassemblement". Le député du Lot souhaitait en particulier étendre la PCH au handicap psychique, et à la prise en charge de l'assistance à la vie sociale et citoyenne. Mais, au-delà du fond, c'est la méthode qui a été critiquée par la majorité. Agnès Firmin Le Bodo (Agir Ensemble), pourtant favorable à la déconjugalisation de l'AAH, a exprimé l'opposition de son groupe à la mesure, faute de concertation des départements, et considérant, à l'instar du gouvernement, que le cadre réglementaire suffisait à permettre l'évolution de la PCH.
Une affirmation qui n'a pas convaincu Aurélien Pradié. "Cela relève scrupuleusement de la loi", a-t-il ainsi déclaré. "Vous ne pouvez ouvrir un droit supplémentaire sans recourir à la loi". Sophie Cluzel a répondu à son tour, mettant en avant les travaux menés par les services de l'Etat en collaboration avec quatre associations représentatives (Unafam, Unapei, Autisme France et TDAH France), qui aboutiront à l'expérimentation, dans trois départements précurseurs, de l'extension de la PCH aux personnes atteintes de déficience mentale, avant une généralisation par décret en février prochain.
Aussi, sur les articles concernant la PCH comme pour ceux relatifs à l'AAH, la majorité, en la personne de Christine Cloarec-Le Nabour (La République en marche), a méthodiquement défendu un par un ses amendements de suppression. La députée d'Ille-et-Vilaine avait un peu avant justifié la volonté d'en découdre avec le texte d'Aurélien Pradié, pour sa dimension "incantatoire" et inopérante selon elle, défendant à cette même occasion le bilan du quinquennat en matière de handicap. "Ce qui est honteux, c'est d'utiliser le handicap à des fins politiques, c'est de voir les oppositions réunies aujourd'hui pour un coup de com' sur le dos des personnes concernées, c'est une sale méthode !", s'est elle aussi indignée, renvoyant aux oppositions les mots employés par Aurélien Pradié.
Face au détricotage de son texte, rejeté de fait dans son ensemble par les amendements de suppression de La République en marche adoptés sur chaque article, le rapporteur a dénoncé un "sabotage" et une "méthode invraisemblable", avant de remercier les groupes d'opposition pour leur soutien. Le sujet n'a cependant pas fini de faire débat à l'Assemblée puisque comme l'a annoncé Stéphane Peu, le groupe GDR le remettra à l'ordre du jour de l'Assemblée lors de sa niche parlementaire prévue en décembre.