La commission d’enquête "sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française" a adopté le rapport issu de ses travaux mercredi 12 janvier, bien que son président, Philippe Benassaya (Les Républicains), n'ait pas pris part au vote. Elle avait été mise en place en juillet dernier, alors que La Cour européenne des droits de l'homme venait de condamner la France pour "conditions de détention inhumaines et dégradantes".
À l’issue de six mois d’auditions, la commission d’enquête sur la politique pénitentiaire à l'initiative de Philippe Benassaya (Les Républicains), a remis mercredi 12 janvier ses conclusions, au travers notamment de 55 propositions formulées par la rapporteure Caroline Abadie (La République en marche). Ses travaux avaient eu pour point d'orgue l’audition du ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, le 8 décembre dernier.
Après s’être dit "interpellé" par l’intitulé de la commission d’enquête, "un peu à charge", le garde des Sceaux avait défendu bec et ongles le volontarisme du quinquennat en matière de programmation immobilière de la Justice, vantant la création de "15 000 places de prison net", mais aussi au regard de la prise en charge de la radicalisation en milieu carcéral, et de l’incitation au travail. "Je veux qu'on multiplie les opportunités de travail pour les détenus", avait ainsi déclaré Éric Dupond-Moretti. "Le budget 2022 prévoit 35 millions pour développer le travail en détention" avait-il aussi rappelé avant de revendiquer, non sans ironie, sa volonté de "faire venir les patrons en prison".
Cette politique, qui se veut ambitieuse, ne suffit pourtant pas à masquer les difficultés liées à la prison dans notre pays. La France fait partie des états européens dont les prisons sont les plus encombrées (70 651 détenus pour 61 080 places opérationnelles au 1er janvier 2020). Le 30 janvier 2020, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), a condamné la France au motif de ses conditions de détention "inhumaines" et de l’absence de voie de recours efficace pour les détenus.
Au regard de ces alertes, une large partie du rapport est consacrée aux pistes d'amélioration des conditions de vie en milieu carcéral. Ainsi, sur l'encellulement individuel, qui est loin d'être toujours appliqué dans les prisons faute de places, le rapport prône qu'il puisse être garanti lorsqu'il est souhaité par la personne incarcérée, tout en préconisant d"oser repenser l’absolu de l’encellulement individuel pour concevoir ce principe de manière plurielle et pragmatique". La rapporteure considère ainsi que dans certains cas, l’encellulement collectif, à savoir en cellule double et en favorisant le maintien de la dignité des personnes, peut avoir des vertus en termes de socialisation et de santé physique et mentale des détenus.
Le défaut de soins ayant été l'un des poins récurrents soulevés par les personnels pénitentiaires auditionnés par la commission d'enquête, le rapport indique la nécessité de "rendre plus attractive et plus facile la pratique médicale en détention", en "mettant en place des dispositifs incitatifs à destination des praticiens se trouvant à proximité des établissements pénitentiaires, en particulier les psychiatres, les chirurgiens-dentistes et les kinésithérapeutes". Il propose également d'"effectuer des évaluations régulières de l’état physique et mental des personnes placées en longue détention pour adapter les conditions de détention à l’état réel du détenu".
Caroline Abadie souhaite également systématiser la réalisation pour chaque personne incarcérée d'un bilan somatique et psychiatrique global à son arrivée en prison, ainsi que les partenariats entre établissements pénitentiaires et intervenants spécialistes des addictions, du handicap et de la dépendance, afin notamment de "mieux prendre en compte le vieillissement de la population carcérale".
Mais pour régler le problème chronique de la surpopulation carcérale, en grande partie responsable des conditions de vie dégradées des détenus, la piste majeure formulée par le rapport reste la généralisation des alternatives à la prison. Si en un an, entre janvier 2020 et janvier 2021, le taux d’occupation global est passé de 117% à 103%, et de 70 739 à 62 673 personnes écrouées selon les données du ministère de la Justice, force est de constater que la prison française reste saturée.
Aucun programme immobilier n’a réussi à résorber la surpopulation carcérale. Rapport issu de la commission d'enquête
Et si la rapporteure se félicite de l'engagement de l'Exécutif de créer 15 000 places d'ici 2027, elle note qu'"aucun programme immobilier n’a réussi à résorber la surpopulation carcérale". Caroline Abadie considère qu'en la matière les pouvoirs publics ne peuvent faire l'économie d'une réflexion globale et approfondie autour de la réponse pénale.
Le rapport prône ainsi le développement du recours à l’assignation à résidence sous surveillance électronique plutôt que la détention provisoire, et indique la nécessité de sensibiliser davantage "les professionnels de la justice, notamment les avocats et les magistrats, sur les peines alternatives à la détention".
Sur la question des places, le président de la commission d'enquête regrette que le rapport ne formule "pas de proposition sur le bâtimentaire". Philippe Benassaya estime en effet qu'à ce jour, l'Exécutif n'a pas tenu ses engagements en matière de construction, avec "seulement 1900 places opérantes sur le quinquennat". "2027 ça fait 10 ans, pas un mandat", ajoute le député des Yvelines, pour qui cet aspect, sans constituer de solution-miracle à tous les problèmes de la prison française, ne peut être balayé d'un revers de la main.
Pour que, dans l'intérêt des détenus et de la société, la prison ne constitue pas qu'une rupture brutale dans les parcours, Caroline Abadie souhaite "systématiser et développer les bilans de compétence afin de déterminer un programme de formation ou une orientation vers un travail". Il s'agirait également de "retisser le lien entre la vie économique et la prison à travers la conception d’un plan national de développement des activités de travail en détention".
Parmi les axes du rapport figure également la volonté de changer l'image de la prison, "en créant une journée porte ouverte annuelle dans les établissements pénitentiaires, afin de permettre au grand public de découvrir le fonctionnement carcéral".
Si le rapport de la commission d'enquête a été adopté à la majorité de ses membres (8 votes pour, 4 contre, un "ne participe pas au vote"), et que son président insiste sur des travaux "très intéressants", menés en bonne intelligence avec la majorité, il se dit "un peu frustré". Un sentiment mitigé, qui a guidé sa décision de ne pas prendre part au vote, quand les autres membres Les Républicains de la commission d'enquête ont statué contre.
"J’aurais corsé les propositions", confie Philippe Benassaya à propos du rapport, "un peu intellectuel", rédigé par Caroline Abadie. Il se félicite cependant d'avoir été entendu sur deux aspects majeurs selon lui : la revalorisation des carrières des surveillants pénitentiaires, ainsi que la prise en compte approfondie de l'expertise des élus locaux en matière de politique carcérale.