Respect de la dignité humaine en prison : la commission des lois donne son feu vert au texte

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Détenu prison Poissy
par Soizic BONVARLET, le Mercredi 10 mars 2021 à 11:31, mis à jour le Mercredi 10 mars 2021 à 16:18

La commission des lois a adopté la proposition de loi, votée au Sénat lundi 8 mars, "tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention". Le texte sera examiné le 19 mars dans l’hémicycle.

Permettre aux détenus de saisir l'autorité judiciaire s’ils estiment que les conditions dans lesquelles ils purgent leur peine ne sont pas conformes au respect de la dignité humaine : telle est la disposition au coeur du texte voté ce matin en commission des lois.

La proposition de loi fait suite à plusieurs alertes et injonctions formulées par différentes institutions. Notamment la Cour européenne des droits de l'homme qui, dans un arrêt en date du 30 janvier 2020, a condamné la France pour violation des articles 3 et 13 de sa convention, relatifs à l’interdiction de "traitements inhumains ou dégradants", et au droit au "recours effectif". En conséquence, le Conseil constitutionnel avait, le 2 octobre dernier, considéré qu'il incombait au législateur de garantir aux personnes placées en détention la possibilité de saisir les juges en cas de conditions de détention qu'ils estimeraient contraires à la dignité de la personne.

Un texte qui fait suite à un amendement gouvernemental retoqué

Confronté à ces mises en cause et à cette obligation d'agir, le gouvernement avait introduit la mesure dans le projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée, examiné l'an dernier. Mais l'amendement gouvernemental avait été déclaré irrecevable, car considéré comme trop éloigné du champ législatif du texte. La proposition de loi portée au Sénat par François-Noël Buffet (Les Républicains) et à l'Assemblée nationale par Caroline Abadie (La République en Marche) est donc la concrétisation de cet amendement mort-né.

Elle prévoit que possibilité soit faite pour les personnes en détention provisoire de saisir par une requête le juge des libertés et de la détention, et pour les détenus définitivement condamnés, le juge d’application des peines. Une fois le juge compétent saisi, si celui-ci confirme les conditions indignes de détention, l'administration pénitentiaire dispose d’un délai compris entre dix jours et un mois pour y mettre fin. Si tel n'est pas le cas, le juge peut transférer la personne dans un autre établissement, procéder à une mise en liberté (avec contrôle judiciaire, sous le régime de l'assignation à résidence ou via la surveillance électronique), ou encore, à un aménagement de peine.

Plusieurs parlementaires, à l'instar de Stéphane Mazars (LaREM), ont pointé le risque d'embolie, face au potentiel afflux de recours. Laurence Vichnievsky (MoDem) a souligné la nécessité de mettre en place des moyens à la hauteur de l'ambition, après que Cécile Untermaier (Socialistes et apparentés) ait indiqué que le juge des libertés et de la détention était déjà, de fait, "le couteau suisse de la juridiction judiciaire".

Pour l'opposition, "un expédient, faute de mieux"

Si la rapporteure a réitéré le constat selon lequel "la surpopulation carcérale est devenue chronique dans notre pays", elle a tenu à indiquer qu'il ne s'agissait "ni de l’objet, ni de l’objectif" de la proposition de loi, évoquant "un texte circonscrit" à la question du recours pour les prisonniers dont les conditions de vie ne seraient pas jugées acceptables au regard des normes de la dignité humaine.

ce nouveau dispositif ne dispense pas la France de poursuivre son programme de construction et de rénovation de places de prison, afin qu’il ne soit pas un pansement sur une jambe de bois. Antoine savignat

Les députés de l'opposition ont pourtant tenu à inscrire les débats dans une perspective plus large. Alors que le président de la République s'était engagé à faire construire 15 000 places de prison, Philippe Gosselin (LR) a considéré que cet engagement ne serait pas tenu et que la proposition de loi constituait "un expédient, faute de mieux". Il a notamment souhaité rappeler la réalité des maisons d'arrêt françaises, décrivant "des dortoirs de six à huit détenus, des sanitaires extrêmement limités, avec parfois, un lit à l'étage sous le plafond qui a l'oeil sur la douche qui n'est pas fermée - voyez l'intimité ! -, et je ne parle pas des sujets de salubrité et de rats, qui existent ici et là".

Un autre député Les Républicains, Antoine Savignat, est allé dans le même sens, déclarant : "ce nouveau dispositif ne dispense pas la France de poursuivre son programme de construction et de rénovation de places de prison afin qu’il ne soit pas un pansement sur une jambe de bois".

Alors qu'environ 63 000 personnes sont actuellement incarcérées, le député de La France insoumise Ugo Bernalicis a déploré le fait qu'entre juillet et février dernier, le nombre de d'individus écroués ait augmenté de 5000, "alors qu'on nous avait promis que le nombre de détenus allait baisser", et que bon nombre de prisons françaises affichent un taux d'occupation de 100%, pouvant aller jusqu'à 180%.

Si Caroline Abadie n'a pas contesté l'état des lieux dressé par ses collègues, elle a assumé "un dispositif qui n’est pas là pour réguler la population carcérale". Et bien que la commission des lois se soit accordée sur le fait que ce texte ne saurait constituer un remède-miracle, elle s'est prononcée à l'unanimité en faveur de la proposition de loi.