Marie Guévenoux (Renaissance) et Ugo Bernalicis (La France insoumise) ont présenté les conclusions de leur mission parlementaire sur la réforme de la police judiciaire. Parmi leurs recommandations communes, les deux élus prônent le renforcement des moyens dévolus aux services de police judiciaire.
À l'issue de quatre mois de travaux, Marie Guévenoux (Renaissance) et Ugo Bernalicis (La France insoumise) ont présenté, mardi 7 février, les conclusions de la "mission d'information sur la réforme de la police judiciaire" aux députés de la commission des lois.
Au total, les deux élus formulent 42 recommandations, dont la moitié sont partagées. Elles gardent quoi qu'il en soit le même objectif : renforcer une filière judiciaire en déshérence, et conforter des enquêteurs de la police judiciaire qui se sentent menacés par la réforme de la police nationale.
Cette dernière vise à décloisonner l'activité des différentes directions de la police, en les regroupant sous l'autorité opérationnelle d'un seul directeur au niveau départemental, dépendant du préfet. Mais les enquêteurs rattachés à la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), affectés à la grande criminalité, craignent que le regroupement de l'ensemble des effectifs de police au sein d'une grande filière incite les directeurs à les utiliser pour traiter la délinquance du quotidien, afin de résorber des stocks importants en sécurité publique.
Le constat des deux députés est globalement partagé, mais leur vision, elle, diffère sur certains points. Jugeant que la réforme peut être bénéfique pour la filière judiciaire, et, plus globalement, pour améliorer la fluidité de grandes directions qui travaillent "en silo", Marie Guévenoux se propose néanmoins de l'encadrer en apportant des propositions "réalistes".
Par le biais de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'Intérieur (Lopmi), l'exécutif s'était déjà engagé à sanctuariser les activités des services de la "PJ", rappelle l'élue de la majorité. Alors que la réforme doit être aboutie d'ici à la fin de l'année 2023, Marie Guévenoux conseille une entrée en vigueur progressive, en terminant par les directions départementales.
Elle souhaite également apporter des garanties budgétaires à la future direction nationale de la police judiciaire. Dans le même esprit, Marie Guévenoux préconise de consacrer "au moins un tiers des moyens prévus pour la police nationale dans la Lopmi au renforcement de la filière police judiciaire", ce qui représenterait un montant de 460 millions d’euros entre 2022 et 2027 et le recrutement de 1 300 nouveaux agents.
En commission, la députée de l'Essonne a répondu à l'une des grandes craintes exprimées par les effectifs de la DCPJ. "Il n'est pas question de revenir sur la compétence supra-départementale de la police judiciaire", a-t-elle expliqué, une nécessité pour répondre aux activités de grande criminalité qui ne s'arrêtent pas aux frontières administratives.
Enfin, Marie Guévenoux insiste sur les garanties apportées à l'autorité judiciaire, qui doit être étroitement associée à la mise en place de la réforme. Sur le long terme, elle prône des visites régulières des procureurs dans les services, ainsi qu'une double notation des directeurs départementaux par le préfet et par le procureur territorialement compétents.
De son côté, Ugo Bernalicis est moins convaincu par l'efficacité de la réforme. "La départementalisation ne va pas régler les problèmes de la police judiciaire", a-t-il indiqué devant la commission des lois. Il plaide pour ralentir l'entrée en vigueur de la réforme, en la repoussant après les Jeux olympiques de Paris en 2024, afin d'éviter toute déconvenue éventuelle, alors que la sécurité sera l'un des enjeux de cette manifestation sportive mondiale.
Plus largement, et craignant par dessus tout une perte d'autonomie de la police judiciaire dans les enquêtes au profit du préfet, il met en avant une "réforme alternative". Le député du Nord prévoit, à moyen terme, une filière judiciaire distincte du reste de l'activité policière, pour la rattacher, à long terme, à l'autorité judiciaire. "Il est urgent de faire en sorte que la police judiciaire reste à part du reste de la police. Il faut néanmoins travailler sur la coordination entre les services."
Les procureurs ont le sentiment d'être dépossédés de la politique pénale, que c'est le ministère de l'Intérieur qui la conduit. Ugo Bernalicis, député LFI
S'ils partagent de nombreuses directions données au rapport, Ugo Bernalicis appelle souvent à aller plus loin, que ce soit en termes de formation - avec la création d'une académie d'enquête et un module de formation spécifique à la procédure judiciaire pour l'ensemble des gardiens de la paix -, de moyens - avec l'augmentation d'au moins 50 % des OPJ dans les services d'enquête, dans le cadre d'un plan de recrutement de 15 000 agents - ou de coordination avec l'autorité judiciaire.
Sur certains points, et notamment sur les difficultés qui touchent les services judiciaires, les députés se rapprochent, avec la volonté de redonner ses lettres de noblesse à un métier qui n'attire plus au sein de l'institution. Outre un choc de simplification de la procédure pénale - véritable serpent de mer - les deux élus prônent une révision des conditions de travail et de la gestion RH des enquêteurs, et la reconnaissance de la difficulté de leur poste.
Afin d'encourager les vocations, ils recommandent tous deux d'augmenter le montant de la prime OPJ, qui atteint 1 500 euros par an - Ugo Bernalicis allant même jusqu'à souhaiter qu'elle soit doublée. Et de revenir sur un autre problème inhérent à la filière : son taux d'encadrement par les officiers, notoirement insuffisant, qu'ils préconisent de fixer à 30 % à moyen terme.
Plus largement, reconnaissant tous deux, à minima, un manque de "concertation" dans la présentation initiale de la réforme, ce qui a contribué à la frustration des services, les deux élus préconisent d'assurer le suivi de sa mise en œuvre, en créant des indicateurs dédiés. Enfin, ils jugent nécessaire de prévoir la création d'une mission d'information chargée d'évaluer le fonctionnement des nouvelles directions départementales, deux ans après leur entrée en fonction.
Outre l'Assemblée nationale, le Sénat et les inspections des ministères de l'Intérieur et de la Justice ont également planché sur le sujet et apporté leur contribution à la réflexion sur la mise en oeuvre de cette réforme particulièrement sensible et surveillée.