Narcotrafic : la proposition de loi adoptée en commission à l'Assemblée

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Narcotrafic : la commission de loi adopte la proposition de loi
Narcotrafic : la commission de loi a adopté la proposition de loi. LCP
par Maxence KagniRaphaël Marchal, le Vendredi 7 mars 2025 à 18:54, mis à jour le Vendredi 7 mars 2025 à 18:57

La commission des lois de l'Assemblée nationale a adopté, ce vendredi 7 mars 2025, la proposition de loi visant à "sortir la France du piège du narcotrafic", qui prévoit notamment la création du parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco). Les députés ont, en revanche, supprimé certaines dispositions votées au Sénat, comme la possibilité pour les enquêteurs d'accéder, sous conditions, à des conversations issues de messageries chiffrées. 

C'est un texte qui doit permettre, selon le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau, de "reprendre le contrôle" face à une "menace existentielle". Ce vendredi 7 mars, la commission des lois de l'Assemblée nationale a adopté, en première lecture, la proposition de loi "visant à sortir la France du piège du narcotrafic".

Les députés ont validé la plupart des mesures phares du texte, comme la création du parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco), ou l'instauration d'un nouveau régime de détention pour les détenus les plus dangereux voulu par le ministre de la Justice, Gérald Darmanin. Plusieurs dispositions, plus controversées, ont en revanche été expurgées, comme la possibilité pour les enquêteurs d'accéder, sous conditions, à des conversations issues de messageries chiffrées.

Prochaine étape pour cette réforme transpartisane, initiée par les sénateurs Etienne Blanc (LR) et Jérôme Durain (PS) : l'examen dans l'hémicycle du Palais-Bourbon la semaine du 17 mars. A l'Assemblée, la proposition de loi est portée par Vincent Caure (Ensemble pour la République), Eric Pauget (Droite républicaine) et Roger Vicot (Socialistes).

Un parquet spécialisé à partir de juillet 2026

Au cours de l'examen en commission, les députés ont approuvé la création du parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco), un parquet spécialisé basé sur le modèle du parquet national antiterroriste. "Le Pnaco n'aura pas de compétence exclusive", a expliqué Gérald Darmanin, qui a ajouté que ce nouveau parquet s'occupera des "affaires du haut du spectre", c'est-à-dire des personnes présentant les signes de dangerosité les plus élevés.

Le Pnaco pourra notamment "coordonner les juridictions inter-régionales spécialisées" (JIRS), mais aussi "élaborer une doctrine de renseignement criminel", ou encore représenter l'action publique devant l'ensemble des juridictions du premier degré.

La commission des lois a adopté un amendement visant à s'assurer que le nouveau parquet anti-criminalité sera basé à Paris, tandis qu'un autre prévoit que les dispositions relatives au Pnaco s'appliqueront à partir du 1er juillet 2026. Les députés ont, par ailleurs, voté en faveur de la proposition de loi organique fixant le statut du procureur qui sera en charge de ce nouveau parquet, présentée en même temps que le texte visant à renforcer la lutte contre le narcotrafic.

Un nouveau régime de détention

La commission des lois a également validé un amendement du gouvernement, défendu par Gérald Darmanin. Celui-ci vise à instaurer un nouveau régime de détention pour les détenus les plus dangereux. Une "révolution" qui permet notamment de ne plus "distinguer les détenus qui sont en détention provisoire des gens condamnés pour peine".

Ce nouveau régime contiendra trois spécificités : 

  • une "diminution extrêmement forte" de la capacité des détenus à téléphoner,
  • un "régime d'isolement" (parloirs par hygiaphone, limitation de la vie privée et familiale),
  • un recours par défaut à la visioconférence.

"Ce sera un acte administratif que prendra le ministre sur proposition des services du ministère de l'Intérieur et de la Justice, qui sera motivé, susceptible de recours devant le juge administratif", a précisé Gérald Darmanin. La durée de ce régime pour le détenu sera de "quatre ans renouvelables". Le garde des Sceaux a expliqué avoir saisi le Conseil d'Etat et s'est engagé à adapter ce nouveau régime en fonction de l'avis que rendra la plus haute juridiction administrative mi-mars.

La gauche a dénoncé ce dispositif, Pouria Amirshahi (Ecologiste et Social) dénonçant une "vision un peu sadique de la peine", tandis que Danièle Obono (La France insoumise) et Elsa Faucillon (Gauche démocrate et républicaine) ont évoqué un dispositif qui risque d'entraver la "réinsertion" des détenus. "Nous avons l'habitude de voir que la gauche se préoccupe davantage des droits des coupables plutôt que ceux des victimes", a réagi Sophie Ricourt Vaginay (Union des droites pour la République).

Gérald Darmanin a choisi Vendin-le-Vieil et Condé-sur-Sarthe

Le ministre de la Justice a mis fin au suspense qui durait depuis quelques semaines en révélant non pas un, comme initialement attendu, mais deux établissements pénitentiaires qui accueilleront les 200 narcotrafiquants et détenus les plus dangereux du pays. Au 31 juillet, la prison de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais) fera office de pionnière. Celle de Condé-sur-Sarthe (Orne), où est actuellement emprisonné l'ex-fugitif Mohamed Amra, accueillera à compter de la mi-octobre ses prisonniers du "haut du spectre"  A plus long terme, entre 600 et 800 détenus doivent être concernés et incarcérés dans ces quartiers de haute sécurité et soumis à un régime de détention particulièrement strict. 

Les députés ont également adopté un amendement de l'un des rapporteurs, Vincent Caure (Ensemble pour la République), qui "renverse" les règles en vigueur s'agissant de l'usage de la visioconférence : celui-ci fait du "recours à un moyen de télécommunication audiovisuel le principe durant la phase de l'information judiciaire" pour certains crimes les plus graves. Le but est d'éviter de "mettre en danger les personnes assurant le transport" de certains prévenus, mis en examen ou condamnés particulièrement dangereux.

Le juge pourra toutefois décider de déroger à cette nouvelle règle "s'il estime que l'audition physique est nécessaire", a complété Vincent Caure. Là aussi, la gauche a dénoncé le dispositif, estimant notamment qu'il portait atteinte à la présomption d'innocence.

Retrait de la procédure d'injonction pour "richesse inexpliquée"

Les députés ont, en revanche, supprimé du texte la procédure d'injonction pour "richesse inexpliquée", qui devait obliger les personnes suspectées de trafic de stupéfiants, ou de complicité, à s'expliquer sur l'écart manifeste entre leurs revenus et leur train de vie.

Autre rapporteur du texte, Eric Pauget (Droite républicaine), a jugé qu'elle portait une atteinte "trop disproportionnée à la présomption d'innocence". De surcroît, le risque d'inconstitutionnalité était trop grand, a-t-il souligné. "Une telle mesure viendrait heurter de plein fouet la présomption d'innocence", a aussi relevé Naïma Moutchou (Horizons), rappelant qu'il existe déjà un délit de non-justification des ressources, davantage encadré.

Des techniques spéciales d'enquêtes limitées

Les élus de la commission des lois se sont également penchés sur les techniques spéciales d'enquête supplémentaires prévues par la version adoptée au Sénat. La plus critiquée d'entre elles - qui vise à permettre aux enquêteurs d'accéder, sous conditions, à des conversations issues de messageries chiffrées - n'a pas été conservée dans la copie de la commission faisant l'unanimité, ou presque, contre elle malgré la défense assurée par le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau.

Plusieurs députés ont souligné sa "dangerosité" et son caractère intrusif, pointant l'opposition des experts du numérique. "C'est assez hallucinant qu'un tel article ait été introduit par le biais d'un amendement en séance au Sénat, alors que la question (...) mériterait un projet de loi à lui seul", a pointé le troisième rapporteur de la proposition de loi, Roger Vicot (Socialistes). 

Les députés ont, par ailleurs, limité l'expérimentation de l'utilisation de la technique de l'algorithme - une sorte d'intelligence artificielle qui repère un canevas numérique laissant suspecter une activité criminelle - au seul "haut du spectre" de la criminalité organisée. 

La procédure du "dossier-coffre" supprimée

La commission des lois a enfin supprimé l'instauration du "dossier-coffre", un procès-verbal distinct destiné à ce que les avocats de la défense n'aient pas accès aux techniques d'enquête utilisées. Le but : éviter de livrer des informations qui pourraient profiter aux criminels. Une disposition qui, selon les élus de gauche, restreint trop fortement les droits de la défense.

"Le but du dossier-coffre, c'est d'empêcher les narcotrafiquants et leurs réseaux de lire certaines informations qu'ils tirent des compte rendus aux procès-verbaux, et qui peuvent mettre en danger les enquêteurs", a répondu Vincent Caure (Ensemble pour la République). Le rapporteur du texte a proposé de limiter l'utilisation de cette procédure aux seuls cas de nature à mettre "gravement en danger" une personne. A ce stade, l'article comportant le "dossier-coffre" a été supprimé. Cette mesure pourra cependant éventuellement être réintroduite lors des débats dans l'hémicycle. 

Une crainte exprimée par Sandra Regol (Ecologiste et social), qui s'est félicitée en commission d'avoir "réussi à faire tomber les pires dispositions" du texte. "Est-ce que cela restera un travail transpartisan ou est-ce qu'on va comme d'habitude vers un passage au bulldozer ?", a-t-elle demandé, s'inquiétant de l'attitude du "socle commun" (coalition présidentielle et droite) lors de l'examen en séance.

Emeline K/Bidi (Gauche démocrate et républicaine) a, elle aussi, expliqué que son groupe, qui s'est abstenu sur le texte ce vendredi, avait désormais "beaucoup moins" de "réserves et de craintes" sur la proposition de loi. Tout l'enjeu sera, selon la députée, de faire en sorte que "tout ce qui a été supprimé et modifié en commission ne soit pas réintroduit en séance".