Narcotrafic : l'Assemblée refuse l'accès aux messageries chiffrées, contre l'avis de Bruno Retailleau

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Bruno Retailleau LCP 20/03/2025
Le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau, le 20 mars 2025 (© LCP)
par Raphaël Marchal, le Vendredi 21 mars 2025 à 00:35, mis à jour le Vendredi 21 mars 2025 à 18:25

Les députés se sont largement opposés, dans la nuit de jeudi 20 à vendredi 21 mars, à une technique de renseignement proposée dans le cadre de la proposition de loi visant à "sortir la France du piège du narcotrafic" : l'accès des services de renseignement aux messageries chiffrées. Et ce malgré le soutien appuyé à cette mesure du ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau.

Les députés ont dit non. L'Assemblée nationale s'est opposée, dans la nuit de jeudi 20 à vendredi 21 mars, à une mesure consistant à permettre aux autorités d'accéder aux messageries chiffrées. Cette disposition de la proposition de loi visant à "sortir la France du piège du narcotrafic" avait été supprimée en commission il y a deux semaines, faisant quasiment l'unanimité contre elle ; mais plusieurs élus proposaient de la réintégrer lors de l'examen du texte dans l'hémicycle, dans une version remaniée.

Nous allons désarmer nos services. Bruno Retailleau, ministre de l'Intérieur

"Les messageries cryptées sont le moyen de communication des trafiquants de drogue. Est-ce qu'on assiste, impuissant à cet état de fait ?", a questionné Olivier Marleix (Droite républicaine). "Il y a une forme de naïveté confondante d'une partie de cet hémicycle", a renchéri Mathieu Lefèvre (Ensemble pour la République), soulignant la "différence de traitement" entre les obligations imposée aux opérateurs de téléphonie français et aux plateformes étrangères. Selon Paul Midy (Ensemble pour la République), la nouvelle rédaction de l'article proposée aux députés ne contenait "ni atteinte au chiffrement, ni backdoor", en se proposant de cibler les seules conversations qui font l'objet d'une autorisation d'interception par les services de renseignement. Tout en concédant qu'il n'avait aucune certitude quant à la faisabilité technique d'une telle mesure.

"On n'est plus du tout sur un rétablissement", a assuré le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau. Et de poursuivre : "Ce n'est pas par plaisir que je viens me battre et expliquer devant vous la nécessité pour nos forces de disposer de ces moyens", indiquant qu'un accès aux messageries chiffrées permettrait également de "lutter contre le terrorisme". "La cavale d'Amra a duré neuf mois ; avec cette technique, elle aurait duré deux fois moins", a encore affirmé le ministre, s'appuyant une fois encore sur l'exemple de l'évasion du narcotrafiquant lors d'une extraction judiciaire. Avant de promettre, en réponse aux craintes largement exprimées par les acteurs de la technologie, que la nouvelle rédaction "préservait le chiffrement de bout en bout" et ne contenait pas de "porte dérobée". "Les plateformes vont conserver de bout en bout la maîtrise de la technologie."

Un front largement uni

Cet argumentaire n'a pas convaincu une large partie de l'hémicycle, certains élus en profitant pour critiquer, au-delà de la mesure, Bruno Retrailleau lui-même. "Dans tous les cas, vous entraînerez une dégradation du chiffrement. ce sont des amendements d'affichage qui démontrent que vous ne connaissez rien à la cybersécurité", lui a lancé Aurélien Lopez-Liguori (Rassemblement national). "Vous êtes ridicule. Rendez nous monsieur Darmanin, au moins il connaît ses sujets", a raillé Antoine Léaument (La France insoumise).

"Tous les opérateurs nous le disent : nous ne sommes pas en capacité technique de le faire", a souligné Arthur Delaporte (Socialistes), avant de juger qu'ouvrir une telle porte risquerait de "mettre en danger nos opérateurs de défense". "Ce n'est pas seulement mettre en danger l'intimité, les discussions de nos concitoyens, c'est aussi mettre en danger l'intégrité de la France et sa sécurité", a ajouté Sandra Regol (Ecologiste et social). Plusieurs députés de l'opposition ont également critiqué le choix du ministre de ne pas avoir déposé un tel amendement au nom du gouvernement, préférant passer par des "porte-flingues".

Au cours du débat, des doutes ont été exprimés jusque sur les bancs de la coalition présidentielle. "Ce ne sont pas simplement les opérateurs qui sont contre. Mais l'ensemble des spécialistes, l'ensemble des cryptographes, ainsi que les entreprises de cybersécurité", a pointé Philippe Latombe (Les Démocrates), relayant les craintes du secteur, tandis qu'Eric Bothorel (Ensemble pour la République), spécialiste de ces sujets, a insisté sur l'inutilité d'une telle mesure, les narcotrafiquants trouvant nécessairement un moyen de s'y adapter.

Finalement, après une ultime péripérie résultant d'une panne du système de vote électronique de l'hémicycle, qui a nécessité un long appel nominal, le couperet est tombé : l'accès aux messageries chiffrées a été rejeté par 119 voix "contre" et 24 "pour".

Plus tôt dans l'après-midi, les députés ont, en revanche, approuvé l'utilisation de deux autres techniques de renseignement en matière de lutte contre la criminalité organisée : la surveillance algorithmique et la prolongation de l'expérimentation des interceptions satellitaires. Ils poursuivront vendredi 21 mars l'examen de la proposition de loi et débattront notamment d'une autre disposition controversée : le "dossier-coffre", qui vise à protéger une procédure contre les fuites d'informations.