Intelligence artificielle : face à la "révolution", le défi de la régulation sans entraver l'innovation

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intelligence artificielle illustration public domain pictures 15/02/2024
Illustration (© Public Domain Pictures)
par Raphaël Marchal, le Vendredi 16 février 2024 à 12:30, mis à jour le Vendredi 16 février 2024 à 12:57

Dans un rapport d'information rendu public cette semaine, Philippe Pradal (Horizons) et Stéphane Rambaud (Rassemblement national) mettent en garde contre les risques d'utilisation de l'intelligence artificielle générative à des fins délictuelles, ainsi que contre les risques d'atteinte aux données personnelles. Les deux députés prônent pour une régulation adaptée, sans pénaliser une innovation prometteuse.

Comment réguler et sécuriser une innovation technologique très prometteuse, déjà existante et accessible au grand public, sans pénaliser les initiatives françaises et européennes ? C'est la recherche d'un équilibre fragile qui a guidé les travaux de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur "les défis de l’intelligence artificielle générative en matière de protection des données personnelles et d’utilisation du contenu généré". Un champ d'investigation qui correspond aux compétences de la commission des lois, à l'origine de cette mission d'information qui a rendu ses conclusions mercredi 14 février. 

Le défi de la régulation à venir sera de parvenir à encadrer les usages de l’IAG [...] sans entraver l’innovation et l’émergence de nouveaux acteurs, français ou européen. (Extrait du Rapport)

Dans leur rapport, construit après avoir mené une cinquantaine d'auditions et un déplacement à Bruxelles, Philippe Pradal (Horizons) et Stéphane Rambaud (Rassemblement national) s'accordent sur l'impact qu'a, d'ores et déjà, l'intelligence artificielle générative (IAG) pour la société, friande de ChatGPT (OpenAI), Gemini (Google) ou encore Character AI.

"C'est une véritable révolution à la hauteur de ce qu'a été l'automobile ou l'informatique", a souligné Stéphane Rambaud devant la commission des lois. Accroissement de la productivité et de la créativité, gain de temps, éducation... Les bénéfices potentiels sont nombreux. Et les deux députés recommandent notamment au service public de saisir cette opportunité pour déléguer certaines tâches, à condition de développer un modèle vertueux.

Des risques individuels et sociétaux

Dans le même temps, les IAG présentent de nombreux risques notamment en matière d'atteinte à la vie privée. Notamment parce qu'à ce stade, les principales technologies, d'origine extra-communautaires, sont soumises à une moindre régulation. "Les intelligences artificielles génératives ont été entraînées sur nos données, sans notre accord. Elles portent une conception du monde qui n'est pas la nôtre", a indiqué Philippe Pradal. Des biais, volontaires ou involontaires, peuvent, en outre, être intégrés lors de la conception. En aval, l’utilisation intensive des IAG par certains, incités à fournir des informations pour obtenir de meilleurs résultats, implique un risque croissant de non confidentialité ou de fuites de données.

Plus alarmant encore, l'usage détourné des IAG à des fins délictuelles, qui pourraient se multiplier à l'avenir : usurpations d'identités, arnaques, "deepfakes" (ou "hypertrucages" en version française), fausses informations à grande échelle... Les députés préconisent de renforcer l'arsenal répressif français pour répondre aux nouvelles menaces liées à l'IA. "Il est nécessaire de créer des infractions spécifiques contre les deepfakes", a notamment estimé Philippe Pradal, jugeant également indispensable qu'un utilisateur sache toujours si ce qu'il regarde est, ou pas, un contenu généré par une IAG, via un marquage spécifique quand tel est le cas.

Un "Airbus de l'IAG" au niveau européen...

Ce défi de la régulation se double cependant d'un autre défi : comment ne pas pénaliser les initiatives françaises et européennes, alors même qu'elles accusent déjà un retard conséquent sur leurs concurrents internationaux, a fortiori américains ? En la matière les auteurs du rapport prônent une régulation au niveau de l'Union européenne, à mi-chemin entre le modèle libéral anglo-saxon et le modèle dirigiste chinois dirigiste, en prenant garde à ne pas handicaper les projets européens. 

Les co-rapporteurs saluent à ce titre la direction prise avec l'AI Act, la législation européenne en matière d'intelligence artificielle. Ils proposent également de lancer un projet européen de type "Airbus de l'IAG", afin de rattraper le retard déjà accumulé, en incitant les Etats membres à faire en sorte que des entreprises engagent des financements pour développer les innovations dans ce secteur. 

...Et un cadre national

Les réflexions au niveau européen n'exonèrent pas la France de mettre en place un cadre national propice à la régulation et au développement de l'IAG, jugent cependant Philippe Pradal (Horizons) et Stéphane Rambaud (RN). "Il faut des cerveaux, des ordinateurs puissants et une énergie accessible, des données, un cadre politique stable... De ce fait, la France apparaît comme bien placée", explique Philippe Pradal.

A condition de faire un peu le ménage dans une gouvernance un peu "nébuleuse" à l'heure actuelle. À ce titre, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) semble la plus à même de devenir le régulateur compétent en matière d'IAG, ce qui nécessitera de faire évoluer son périmètre, considèrent les élus, qui proposent de la transformer en une "Haute Autorité chargée de la protection des données et du contrôle de l'IA générative". "Elle serait dotée d’un grand nombre d’experts et techniciens en mesure de contrôler des algorithmes complexes", avancent-ils. 

L'urgence est d'autant plus grande que des IA sont déjà utilisées dans certains domaines régaliens (justice, gendarmerie...). "Faute de solution souveraine, nous utilisons des solutions sur étagère, développées par les Gafam, et nous risquons d'être dépendants", alerte Stéphane Rambaud. De son côté, Philippe Pradal fait part de son inquiétude, après avoir appris que pour gérer une partie du système d'information consacré aux pièces de son parc nucléaire, EDF avait décidé de faire appel à Amazon Web Services (AWS), une filiale du géant américain du commerce.

Sous réserve que l'équilibre fragile entre régulation du secteur et soutien à des acteurs respectueux en matière de conception et de données soit tenu, l'avenir de l'intelligence artificielle générative en France pourrait se révéler radieux, concluent les auteurs.