Inéligibilité pour incitation à la haine : Dupond-Moretti craint "une instrumentalisation"

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Fabien Roussel (AFP)
par Jason Wiels, le Vendredi 3 décembre 2021 à 09:02, mis à jour le Vendredi 3 décembre 2021 à 09:34

Une proposition de résolution communiste pour inciter à la pleine application des peines complémentaires d'inéligibilité en cas d'incitation à la haine ou à la discrimination a été rejetée dans l'Hémicycle. Le garde des Sceaux redoute une "instrumentalisation en particulier par ceux qu'elle viserait" dans un "contexte de campagne électorale".

Son nom n'a pas été cité une seule fois, mais Éric Zemmour était présent dans tous les esprits, jeudi 2 décembre, lors de la discussion d'une proposition de résolution "pour lutter contre la banalisation des discours de haine dans le débat public". Car le désormais candidat à l'élection présidentielle a déjà été condamné plusieurs fois pour provocation à la haine raciale, en 2011 et 2019. Un délit qui peut être sanctionné par une peine allant jusqu'à un an d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende. Le juge peut en outre prononcer une peine complémentaire d'inéligibilité, jusqu'à 5 ans, tout en restant libre de cette appréciation.

Fabien Roussel (Gauche démocrate et républicaine), auteur du texte et candidat communiste à l'élection présidentielle, a proposé de "garantir un débat public sans propos xénophobe" en systématisant ces peines d'inéligibilité. Sans portée législative, sa résolution visait à "inviter" le ministre de la Justice et, à travers lui, les magistrats, à davantage "examiner la possibilité de retenir la peine complémentaire d’inéligibilité" en cas de condamnation pour provocation à la haine - ce que prévoit déjà la loi du 29 juillet 1881. En particulier si, précise le député, "le délit s’avérait particulièrement odieux ou répété".

Un contexte inopportun ?

"Les héritiers de Pétain, de Maurras ou de Renaud Camus menacent la paix garantie par la République", a approuvé Lamia el Aaraje (Socialistes et apparentés), tout comme Jean-Luc Mélenchon (La France Insoumise). Au-delà de la gauche, Yannick Favennec-Bécot (UDI et indépendants) a aussi apporté son soutien à cette initiative :

Les instructions de politique pénale du gouvernement doivent être claires. Yannick Favennec (UDI et Indépendants)

"Je suis révoltée par l'omniprésence dans les médias et maintenant dans la campagne présidentielle, d'une personne condamnée pour incitation à la haine et à la discrimination", a déclaré Laetitia Avia au nom de La République en marche, dans une référence à peine voilée à Éric Zemmour. Cependant, la députée a estimé que l'arsenal juridique était aujourd'hui "suffisant" et a dit préférer que ce genre de débats se règle d'abord "par les urnes".

Surtout, le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, directement concerné par le texte, a fait savoir son désaccord avec le fond de la proposition, tout comme avec le moment qui a été choisi pour en débattre :

Craignant une "instrumentalisation" - pour ne pas dire victimisation - en pleine campagne électorale, l'ancien avocat a estimé qu'il fallait laisser les juges "pleinement libres" de leurs décisions, bien que sa fonction l'autorise à donner des instructions de politique pénale. La proposition de résolution a été rejetée par 32 voix contre 22.