Les chaînes de télévision doivent-elles diffuser les condamnations de leurs collaborateurs ou invités quand ils ont été reconnus coupables d'avoir incité à la haine ? Si la proposition du groupe Agir ensemble n'a pas été votée, mercredi soir, elle a été l'occasion d'un long débat sur le polémiste Éric Zemmour.
Combattre la haine en ligne, c'est l'un des buts poursuivis par le projet de loi "confortant le respect des principes de la République". Mais pourquoi ne pas le faire aussi à la télévision ? C'est tout le sens de l'amendement porté par M'jid El Guerrab (Agir ensemble) mercredi soir dans l'hémicycle.
Pour le député, il faut donner au juge le pouvoir de prononcer des peines complémentaires de "diffusion à la télévision de la condamnation de la personne ayant été condamnée pour des faits de provocation à la commission d’un crime ou d’un délit".
Diffusion de la condamnation à la TV d'un chroniqueur ou d'un invité ayant incité à la haine : @mjidelguerrab propose, sans le nommer, un amendement @ZemmourEric au #PJLPrincipesRépublicains. #CNews #DirectAN #PJLSéparatisme pic.twitter.com/sKAxg9rApC
— LCP (@LCP) February 10, 2021
Concrètement, la justice pourrait obliger la diffusion de la condamnation "sur les chaînes de télévision qui emploieront ou inviteront une personne condamnée jusqu’à 2 mois après [sa] condamnation", comme cela peut déjà être décidé à destination de la presse papier.
"Philosophiquement, j'adhère à votre amendement", a d'abord salué la rapporteure Laetitia Avia. Mais l'élue La République en marche a ensuite fait valoir que, sans concertation avec "tous les acteurs de l'audiovisuel", elle ne pouvait se déclarer favorable à "une décision aussi lourde".
Ce déclin poli de la proposition est confirmé par le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, qui se demande avec une pointe d'ironie quelle personnalité du paysage audiovisuel pourrait bien être la cible d'une telle publicité : "J'ai eu beau chercher celui que vous visiez, franchement je n'ai pas trouvé !"
Le débat aurait pu s'arrêter là, mais la gauche de l'hémicycle a aussi décidé de s'emparer du sujet. D'abord avec le PS, par la voix de Boris Vallaud, qui votera l'amendement, rejoint par La France insoumise. "Je souscris à cet amendement Zemmour", renchérit Sébastien Jumel au nom des communistes. Le député lâchant au passage le nom que tous les députés avaient sur les lèvres. Éric Zemmour, journaliste-polémiste qui officie sur CNews, a en effet été condamné à plusieurs reprises pour injures ou provocation à la haine raciale, en visant régulièrement les immigrés ou les musulmans, hors du cadre de la loi.
Face à l'union de la gauche et voyant le débat monter d'un cran, des élus de droite sont montés au créneau, afin de dénoncer un amendement qui viserait à "museler Éric Zemmour", selon Guillaume Larrivé (LR) :
Diffusion télévisuelle de la condamnation pour incitation à la haine d'un collaborateur : "Dans cet hémicycle on ne vote pas de loi ad hominem", proteste @GLarrive, qui accuse les défenseurs de l'amendement de vouloir "museler Éric Zemmour". #DirectAN #PJLPrincipesRépublicains pic.twitter.com/ygCrK91ktE
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L'élu LR a même dénoncé un amendement "ad hominem", alors que son collègue Éric Ciotti s'est indigné d'une "ignominie démocratique" si l'amendement était voté, prenant la défense d'un "journaliste qui a des convictions".
"Il n'attendait que cela ! Il est aujourd'hui martyr !", s'est désolé Éric Dupond-Moretti, voyant désormais le nom du principal intéressé être débattu sur tous les bancs de l'hémicycle
"Est-ce qu'on va faire une loi pour lui ? Il en serait mille fois trop heureux !", avertit @E_DupondM. Il regrette que l'amendement Zemmour soit "un immense cadeau" au principal intéressé. #DirectAN #PJLPrincipesRépublicains #PJLSéparatisme pic.twitter.com/2gXUmRS5mT
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Face aux critiques, le président des députés Agir ensemble, Olivier Becht, a essayé de convaincre les députés des deux autres groupes de la majorité (MoDem et LaREM) de le rejoindre dans ce combat, qui touche en réalité bien plus que la seule personne d'Éric Zemmour (et ses employeurs) : "La loi s'applique à tous (...) et, hélas, il n'est pas la seule personne à être concernée", a-t-il rappelé. "La seule chose que nous souhaitons, c'est de créer un parallélisme entre la presse écrite et les médias audiovisuels", a-t-il encore essayé de convaincre. Sans succès, puisque l'amendement a été largement rejeté.