En cas de désaccord entre l'Assemblée nationale et le Sénat sur un texte de loi, le gouvernement peut convoquer une "commission mixte paritaire" (CMP), afin que députés et sénateurs tentent de trouver un compromis. Sans véritable majorité au Palais-Bourbon, cette instance va devenir plus stratégique que jamais. D'autant que la fragmentation des forces politiques à l'Assemblée va entraîner une composition des CMP à géométrie variable, plus ou moins favorable au gouvernement.
C'est une information passée inaperçue, ou presque, mais d'une importance stratégique. Depuis quelques jours, la composition des commissions mixtes paritaires qui seront amenées à se réunir au cours de l'actuelle législature est connue pour ce qui concerne l'Assemblée nationale. Le principe de la commission mixte paritaire (CMP), composée de sept députés et de sept sénateurs, est de tenter de parvenir à un compromis sur un texte lorsque celui-ci a été voté dans des versions différentes par les deux Chambres du Parlement. Qu'il s'agisse d'un projet de loi ou d'une proposition de loi, le Premier ministre a la possibilité de provoquer la réunion de cette instance.
En cas d'accord en CMP, le texte de compromis est soumis au Sénat et à l'Assemblée nationale en vue de son adoption définitive. Si la CMP échoue à trouver un accord, une nouvelle lecture du projet de loi a lieu au Palais-Bourbon et au Palais du Luxembourg et si le désaccord persiste le dernier mot revient à l'Assemblée nationale. Au-delà des débats qui ont lieu en première lecture dans chacune des Chambres et des versions des projets de loi qui en sont issues, cette procédure de conciliation - qui a lieu à huis clos pour en garantir la sérénité, le compte rendu étant en revanche rendu public - permet le plus souvent de parvenir à un accord. Jusqu'à cette législature, la validation par une majorité de députés et de sénateurs relevait ensuite de la formalité.
Désormais, alors qu'il n'y a pas de véritable majorité à l'Assemblée nationale depuis les dernières élections législatives, cette dernière étape pourrait s'avérer plus compliquée, obligeant le gouvernement à recourir au 49.3 - au risque d'une motion de censure - pour faire valider un accord qui aurait été conclu en CMP par l'Assemblée. Malgré un vote final plus incertain qu'auparavant, cette instance sera néanmoins plus stratégique que jamais, car un accord est souvent plus facile à trouver dans ce cadre que lors d'une discussion séparées dans chaque hémicycle du Parlement. Et parce que cela permet au gouvernement d'éviter une lecture supplémentaire dans chaque Chambre. Un atout précieux, surtout lorsqu'il s'agit de textes aussi importants que difficiles à faire adopter.
La composition des commissions mixtes paritaires est donc particulièrement importante, sachant que les sept députés et les sept sénateurs qui font partie d'une CMP sont mandatés par l'Assemblée et le Sénat proportionnellement à la représentation des différents groupes politiques au sein de chacune des Chambres.
Ainsi, du côté du Sénat, le gouvernement Barnier savait déjà pouvoir théoriquement compter l'appui de cinq titulaires sur sept : quatre sénateurs de la majorité de droite et du centre et un sénateur du parti présidentiel, tandis que les deux autres titulaires sont des sénateurs socialistes. Du côté de l'Assemblée, la répartition était à refaire pour tenir compte des forces en présence depuis les élections législatives anticipées. C'est chose faite depuis la Conférence des présidents du mardi 15 octobre.
Et compte tenu du résultat de ces élections : une représentation nationale sans véritable majorité et fragmentée en onze groupes, il a été décidé que l'un des sept sièges de titulaires fera l'objet d'un roulement entre trois groupes. Concrètement, en tant que groupe qui compte aujourd'hui le plus grand nombre de députés, le Rassemblement national aura deux titulaires au sein des CMP. Le groupe du parti présidentiel, Ensemble pour la République, aura quant à lui un titulaire, tout comme le groupe de La France insoumise, le groupe Socialistes, ainsi que le groupe Droite républicaine. La dernière place de titulaire étant alternativement attribuée aux groupe Ecologiste et social, Horizons et Les Démocrates, dans cet ordre de départ pour enclencher le roulement qui a été établi en fonction du nombre de députés par groupe.
Pour récapituler, du fait de ce "tourniquet", le socle gouvernemental pourra espérer compter sur une majorité en CMP deux fois sur trois (avec huit membres, contre six pour les oppositions), mais devra composer avec une situation d'égalité une fois sur trois (sept contre sept). Or, en cas d'égalité au sein d'une commission mixte paritaire, celle-ci ne peut pas être conclusive, c'est-à-dire aboutir à un accord. Sous cette législature, la convocation de cette instance sur un texte aura donc aussi une dimension tactique, avec des CMP que le gouvernement aura parfois intérêt à convoquer ne serait-ce que pour la configuration lui soit favorable sur les projets de loi essentiels, par exemple, le budget.
Volonté d'aboutir ou considération tactique, ce qui n'est pas incompatible, une commission mixte paritaire a d'ailleurs déjà été convoquée sur une proposition de loi qui avait entamé son parcours législatif lors de la précédente législature. Il s'agit de la proposition transpartisane visant "à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l’échelle locale" sur laquelle une CMP aura lieu lundi prochain, 28 octobre, ce dont s'est félicité Iñaki Echaniz (Socialistes). Ce jour-là, le siège tournant sera occupé par un député du groupe Ecologiste et social. Ce qui donnera une configuration plus favorable au gouvernement pour les deux réunions suivantes. Autre élément à prendre en compte : lorsqu'il s'agit d'une proposition de loi, la présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, et le président du Sénat, Gérard Larcher, peuvent aussi convoquer, conjointement, une commission mixte paritaire.
Dans le contexte politique actuel, cette composition à géométrie variable devrait mettre les CMP - qui ont longtemps eu l'habitude de travailler dans la sérénité du huis clos, plus favorable à l'élaboration de compromis que les séances publiques - sous les feux des projecteurs. Même si sous la précédente législature déjà, certaines commissions mixte paritaire, sur la réforme des retraites et sur le projet de loi immigration, ont déjà fait la une de l'actualité.