Aide médicale d'État : Un dispositif "utile" et "globalement maitrisé", qui "mérite d'être adapté", juge la mission Stefanini / Évin

Actualité
Image
injection PxHere 04/12/2023
(© PxHere)
par Raphaël Marchal, le Lundi 4 décembre 2023 à 16:35

Patrick Stefanini et Claude Évin ont rendu au gouvernement leur rapport sur l'aide médicale d'État (AME), ce lundi 4 décembre. L'ancien préfet et élu LR et l'ex-ministre socialiste jugent le dispositif "adapté", mais pointent des pistes d'évolution dans un contexte de hausse du nombre de bénéficiaires. Le rapport devrait nourrir les débats sur l'AME, alors que le projet de loi sur l'immigration atterrira lundi prochain dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale.

C'est un outil de plus qui servira dans les débats du projet de loi immigration, adopté dans la soirée de vendredi par la commission des lois de l'Assemblée nationale. Patrick Stefanini et Claude Évin ont remis ce lundi leurs conclusions sur l'aide médicale d'État (AME) au gouvernement, qui les avait missionnés en octobre dernier. Les préconisations de l'ancien préfet et figure des LR et de l'ex-ministre socialiste tombent dans un contexte particulier : les députés viennent de rétablir l'AME, que les sénateurs avaient supprimée au profit d'une aide médicale d'urgence (AMU) moins-disante, en ajoutant un article au projet de loi immigration.

L'AME vise à garantir une protection santé aux étrangers en situation irrégulière présents sur le territoire français, sous conditions de ressources. Pour des raisons humanitaires, mais également de santé collective, comme l'a rappelé le rapporteur général du projet de loi, Florent Boudié (Renaissance), lors des débats en commission. Ce dispositif est dans le viseur de la droite, qui plaide pour un mécanisme plus resserré.

De fait, il n'est pas question d'intégrer au texte sur l'immigration une évolution de l'AME, a rappelé le gouvernement dans un communiqué publié ce lundi. Cette modification serait en effet probablement considérée comme un "cavalier législatif" par le Conseil constitutionnel, et censurée à ce titre, L'exécutif s'est dit néanmoins prêt à une "évolution réglementaire ou législative dans un texte spécifique", en prenant en compte les conclusions de la mission.

"L'utilité sanitaire" de l'AME

Dans leur rapport, Patrick Stefanini et Claude Évin pointent "l'utilité sanitaire" de l'AME, jugeant le dispositif "encadré sur le plan réglementaire, mis en œuvre et contrôlé de manière professionnelle par les services de l’assurance maladie et qui ne génère pas de consommations de soins faisant apparaître des atypismes, abus ou fraudes structurelles".

Les deux hommes jugent plutôt sévèrement le dispositif de substitution proposé par le Sénat. Selon eux, la mise en œuvre d'une aide médicale d'urgence présenterait un risque important de "complexification générale", notamment du fait de ses critères d'éligibilité précis. Au-delà, la mise en place d'une AMU recèlerait "un risque important de renoncement aux soins", avec des conséquences sur la santé publique et une pression accentuée sur les établissements de santé... Le tout "sans perspective de gains budgétaires", qui représente pourtant l'un des points centraux de l'argumentaire de la droite.

Selon la mission, l'AME n'apparaît en outre "pas comme un facteur d’attractivité pour les candidats à l’immigration". Toutefois, elle pourrait contribuer au "maintien en situation de clandestinité d’étrangers", écrivent les deux co-rapporteurs, qui évoquent des avantages "collatéraux" comme la tarification sociale dans les transports ou pour les cantines scolaires.

Un sujet sensible

Conscients de la "sensibilité" du sujet, Claude Évin et Patrick Stefanini jugent néanmoins nécessaire d'adapter le dispositif de l'AME. "Chaque mesure qui pourra réduire les risques d’une utilisation abusive ou inappropriée de l’AME contribuera à préserver" la "confiance" dans son fonctionnement, relèvent-ils.

Ils soulignent ainsi des "points de fragilités" sur les "capacités réelles à contrôler des informations déclaratives ou des justificatifs aisément falsifiables" par certains bénéficiaires, et préconisent à ce titre de réviser les outils de contrôle à disposition des Caisses primaires d'assurance maladie (CPAM). La mission propose également que la présence physique du demandeur soit exigée dans les locaux de la CPAM pour toute demande.

Autre mesure se rattachant davantage à un volet "répressif" : la suppression du bénéfice de l'AME pour les étrangers touchés par une mesure d'éloignement du territoire et qui constituent une "menace pour l'ordre public". À l'heure actuelle, l’édiction par une autorité administrative ou judiciaire d’une telle mesure est sans effet sur l’éligibilité à l’AME. Or, "la solidarité nationale ne peut pas jouer au bénéfice" de tels individus, assurent les rapporteurs.

Limiter certains bénéfice de l'AME

Claude Évin et Patrick Stefanini posent également la question de l'émancipation des majeurs "ayants-droits" - les enfants des bénéficiaires -, en réservant cette qualité aux seuls enfants mineurs d'un assuré. Dans la même veine, ils jugent nécessaire de s’interroger sur la notion de "personne à charge" d’un étranger en situation irrégulière, et de prendre en compte les revenus de l'ensemble du foyer pour accorder l'AME.

Un autre point concerne les mineurs non accompagnés, qui bénéficient de facilités administratives. Claude Évin et Patrick Stefanini proposent que les dossiers de demande d'une AME soient ré-instruits pour les personnes qui sont finalement reconnues comme des majeurs, en "appliquant l’intégralité des exigences" prévues dans la procédure pour les majeurs.

Un meilleur suivi

Plus généralement, la mission appelle à renforcer le suivi analytique des bénéficiaires, aussi bien à l'échelle nationale que départementale, et à envisager de porter la durée de validité d'une admission à l'AME à 2 ans - contre 1 an à l'heure actuelle, tout en renforçant en parallèle la procédure de contrôle, et ce sans consommer de ressources supplémentaires.

Par ailleurs, ils proposent d'élargir la liste de prestations du panier de soins qui ne seraient plus délivrées de manière automatique, mais seulement après un accord avec l'Assurance maladie. Parmi les pistes envisagées, certains actes de masso-kinésithérapie, l'appareillage auditif et optique et la pose de prothèses dentaires. Sur certains points, les co-rapporteurs marquent leur divergence, comme sur la vérification préalable à des soins lourds et coûteux, qu'ils ne soient pas disponibles dans le pays d'origine.

Enfin, Claude Évin et Patrick Stefanini préconisent de "réduire les ruptures de droits" et d'"améliorer l’inclusion dans les parcours de soins", alors qu'environ 50 % des potentiels bénéficiaires de l'AME n'en feraient pas la demande. "Les phénomènes de rupture de droits et de non-recours sont d’une ampleur qui justifie d’envisager toutes les initiatives possibles pour les réduire", notent-ils, prônant notamment l'alignement du régime des demandeurs d'asile sur l'AME.

Une hausse du nombre de bénéficiaires... et donc du coût

Le rapport dresse également un état du paysage de l'AME. Ainsi, entre la fin 2015 et la mi-2023, le nombre de bénéficiaires de l’AME a cru de près de 123 000 personnes, soit une progression de 39 % sur 7 ans et demi, pour atteindre un effectif moyen de 400 327 personnes en 2022. Cette augmentation, plus marquée à compter de 2019, est liée à la hausse du nombre de sans-papiers sur le territoire, et non à un dérapage du système, pointe la mission, qui souligne une accélération inégalement répartie sur le territoire et dans les différentes classes d'âge des bénéficiaires. Cette croissance est ainsi très marquée dans les outre-mer, et particulièrement prégnante pour les mineurs et pour les plus de 60 ans.

flourish

En outre, la consommation trimestrielle moyenne par personne "est restée stable en dépit de l'augmentation du coût des soins", passant de 642 euros en 2009 à 604 euros en 2022, observent les auteurs du rapport. Le coût du dispositif pour les finances de l'État est lui passé de 540 millions à 968 millions d'euros sur la même période. Il devrait approcher les 1,2 milliard d'euros en 2023, avec près de 466 000 bénéficiaires attendus.

Claude Évin et Patrick Stefanini seront entendus ce mercredi par les rapporteurs du projet de loi immigration. L'examen du texte reprendra lundi prochain, dans l'hémicycle. Nul doute que le sujet de l'AME y sera à nouveau évoqué.