Le président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, Didier Migaud, auditionné à l'Assemblée nationale, mercredi 28 juin, estime nécessaire de poursuivre le mouvement engagé depuis dix ans en matière de transparence. "Globalement, l'immense majorité des responsables publics exercent leur mission avec probité. Des manquements existent, mais ils restent marginaux", a souligné Didier Migaud.
Faut-il renforcer les prérogatives de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) ? Près de dix ans après la création de l'autorité administrative, son président plaide pour des évolutions, selon lui, "nécessaires". Ce mercredi 28 juin, Didier Migaud en a fait part devant les députés de la commission des lois auxquels il a présenté le rapport annuel de l'instance.
Créée en 2013 dans le sillage de l'affaire Cahuzac, la HATVP est chargée de contrôler la situation patrimoniale des responsables publics et de prévenir d'éventuels conflits d'intérêts : parlementaires, ministres, élus locaux... Saluant le chemin parcouru, Didier Migaud juge cependant que l'autorité pourrait bénéficier de plus de compétences, comme il l'avait déjà défendu il y a un an. Il a notamment réitéré sa proposition de doter l'instance d'un pouvoir de sanction administrative.
"Il ne s'agit pas de substituer à la justice, mais une amende administrative nous paraît parfois plus appropriée qu'une poursuite au niveau pénal", a-t-il expliqué. Cette sanction pourrait être prononcée à l'encontre d'un déclarant qui ne remplit pas ses obligations déclaratives en matière de patrimoine ou d'intérêts. "Ce serait beaucoup plus rapide et incitatif", a-t-il commenté.
Autre modification prônée par le président de la HATVP : faire évoluer le fonctionnement du registre des représentants d'intérêts - qui liste les activités de lobbying -, afin de corriger des "aberrations". À l'heure actuelle les grosses entités n'ont, par exemple, pratiquement rien à déclarer, dès lors qu'elles sont systématiquement invitées par les pouvoirs publics. "Une fédération de la boucherie départementale a plus d'obligations à remplir qu'une grosse entreprise française", a indiqué Didier Migaud.
Le haut fonctionnaire et ancien député a, par ailleurs, appelé à raccourcir le délai dans lequel les ministres sont tenus de déposer leurs déclarations d'intérêts et de patrimoine. Les nouveaux ministres ont aujourd'hui deux mois, suite à leur nomination, pour faire connaître leurs éventuels conflits d'intérêts, notamment au regard de leurs fonctions passées. Didier Migaud plaide pour que ce délai soit fixé à une semaine, d'autant qu'après le dépôt des déclarations, la HATVP a besoin de quelques mois pour vérifier la situation de l'ensemble des membres du gouvernement. "Pendant ce temps, un ministre peut se trouver en situation de conflits d'intérêts, voire même de prise illégale d'intérêts." En outre, il a appelé à élargir le champ des personnes concernées par le filtre de la HATVP, dans le cadre d'une demande de reconversion.
Des évolutions qui pourraient, selon lui, contribuer à renforcer la confiance des citoyens dans leurs représentants. À rebours de la vision qui consisterait à dire que la HATVP nourrit une forme de suspicion à l'égard des responsables publics, en cas d'opposition à une reconversion, ou en cas de transmission d'un dossier à la justice. "Ce n'est pas en cassant le thermomètre qu'on fait baisser la fièvre", a commenté le président de l'autorité administrative.
Sans surprise, l'année 2022, marquée par les élections présidentielle et législatives, a été particulièrement dense pour l'autorité administrative. Quelque 5 245 élus et agents publics ont déposé 10 659 déclarations de patrimoine et d'intérêts. Au total, 41 dossiers, concernant principalement des élus locaux, ont été transmis au procureur de la République pour non-dépôt de déclaration.
Et sur les 4 170 déclarations contrôlées à ce stade, dix dossiers ont été transmis à la justice. En outre, 7 contrôles de déclarations d’intérêts sur 10 ont conduit la Haute Autorité à demander des mesures de prévention d’une situation de conflit d’intérêts. "Ce n'est pas anormal", a souligné Didier Migaud, relevant que de nombreux élus locaux continuent à exercer une activité professionnelle en parallèle de leur mandat.
L'année 2022 a, par ailleurs, été marquée par un nombre de saisines "record" en matière de contrôle des "mobilités professionnelles" entre les secteurs public et privé. Au total, tous mouvements confondus, 581 avis ont été rendus, positifs à une écrasante majorité : 69 % d'avis de compatibilité avec réserves, 27,2 % compatibilité, et 3,8 % d'incompatibilité. Concernant les seuls mouvements vers le privé, près de 80 % de compatibilité avec réserves ont été prononcés, et une incompatibiltié a été relevée dans 6,3 % des cas. Quatre dossiers ont été transmis à la justice.
"Globalement, l'immense majorité des responsables publics exercent leur mission avec probité. Des manquements existent, mais ils restent marginaux", a souligné Didier Migaud. Avant de constater "un fort décalage entre le sentiment de défiance qui existe envers les responsables et les résultats des contrôles menés". "Les deux tiers des Français jugent que leurs élus sont malhonnêtes, ce qui est préoccupant", a-t-il remarqué. Avant d'inviter les parlementaires à davantage évoquer le sujet des atteintes à la probité. "Vous n'en parlez jamais. Sauf pour mettre en place des dispositifs après des scandales. Cela pourrait contribuer à renforcer la confiance."
Le cas de Cédric O
Didier Migaud est revenu au cours de son audition sur les réserves de la HATVP quant à la reconversion de Cédric O. L'ancien secrétaire d'État chargé du Numérique souhaitait devenir administrateur du groupe informatique Atos, mais l'autorité administrative s'y est opposée en novembre dernier, afin d'éviter tout conflit d'intérêts.
"Je pense que nous l'avons protégé. Peut-être à l'insu de son plein gré", a ironisé le président de la HATVP. Avant de rappeler que le rôle de l'autorité administrative consistait à apprécier le risque pénal, mais aussi le risque déontologique.