Sous l'impulsion de l'ancienne ministre Olivia Grégoire (Ensemble pour la République), les députés de la commission des affaires économiques ont pérennisé le dispositif permettant d'utiliser les titres-restaurant pour acheter des produits alimentaires non directement consommables. Ce vote, qui a eu lieu lors de l'examen d'un texte qui prévoyait de prolonger cette possibilité pour un an, a mécontenté la rapporteure, Anne-Laure Blin (Droite républicaine), qui estime que la pérennisation risque d'entraîner la "mort du ticket-restaurant".
Après le budget, le "socle commun" à l'épreuve... du ticket-restaurant. Ce mercredi 13 novembre, la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale a adopté une proposition de loi visant à "prolonger la dérogation d’usage des titres-restaurant pour tout produit alimentaire" (19 voix pour, 18 contre). Sauf que le texte, présenté par Anne-Laure Blin (Droite républicaine), a été substantiellement modifié par un amendement de l'ancienne ministre chargée de la Consommation, Olivia Grégoire (Ensemble pour la République).
Dans leur proposition de loi, les députés Anne-Laure Blin, Jean-Pierre Taite et Pierre Cordier, qui siègent au sein du groupe de Laurent Wauquiez, proposaient de prolonger d'un an, c'est-à-dire jusqu'au 31 décembre 2025, la possibilité d'utiliser les tickets-restaurants pour acheter des produits alimentaires non directement consommables comme les pâtes, le riz ou encore la farine.
Mais l'amendement adopté par la commission des affaires économique pérennise le dispositif, sans limite de temps. Un vote qui a provoqué la colère d'Anne-Laure Blin, qui a notamment estimé que ce choix sonnerait "la mort du ticket-restaurant". "Vous créez un véritable déséquilibre et vous allez susciter un émoi incommensurable à l'endroit des restaurateurs", a déploré l'élue du Maine-et-Loire.
A l'origine, les tickets-restaurant ne pouvaient être utilisés que pour l'achat de produits alimentaires directement consommables, que ce soit dans les restaurants, les commerces ou les grandes surfaces. La loi du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat a permis, à titre provisoire et pour une durée d'un an, d'acheter des produits non directement consommables avec les titres-restaurant.
L'an dernier à la même époque, fin 2023, les députés avaient prolongé le dispositif d'un an. Une prolongation qui, sans le vote d'une nouvelle loi, s'éteindrait au 31 décembre 2024. Avec sa proposition de loi, Anne-Laure Blin proposait donc de prolonger le dispositif d'une année supplémentaire, afin de permettre aux acteurs du secteur de se réunir début 2025 pour préparer une réforme "profonde" et "durable" du ticket-restaurant. L'objectif étant d'adapter son usage "aux changements de la société". Une méthode souhaitée, selon la rapporteure du texte, par l'actuelle ministre déléguée chargée de la Consommation, Laurence Garnier.
Une pérennisation reviendrait, en revanche, à "dévoyer" le dispositif, a estimé Anne-Laure Blin. "D'après les derniers chiffres, près d'un tiers des titres-restaurant ont été utilisés dans les grandes et moyennes surfaces au deuxième trimestre 2024" (contre 40% dans la restauration), soit une hausse "de plus de 8 points depuis 2022", a-t-elle indiqué.
Et de souligner qu'au total, ce sont "550 millions d'euros de chiffre d'affaires qui ont été perdus à l'endroit des restaurateurs, au profit des grandes et moyennes surfaces". "La pérennisation n'est pas aujourd'hui souhaitée par l'ensemble des acteurs, y compris ceux qui siègent au sein de la commission nationale des titres-restaurant (CNTR)", a encore argumenté la député Droite républicaine.
Des arguments qui n'ont pas suffi à convaincre une majorité de députés en commission des affaires économiques, puisque l'amendement d'Olivia Grégoire (Ensemble pour la République), qui vise à pérenniser la mesure "dans l'intérêt des salariés" a été adopté. Celui-ci prévoit aussi de fixer par décret une liste de produits ne pouvant pas être achetés avec des tickets-restaurants. Olivia Grégoire a, en outre, précisé qu'elle porterait des amendements visant à sanctionner "les grandes et moyennes surfaces qui n'accepteraient pas ces interdictions" lors de l'examen de la proposition de loi dans l'hémicycle. Cette pérennisation a notamment été soutenue par les groupes La France insoumise et Socialistes.
Au cours de la discussion, Olivia Grégoire a rappelé qu'elle avait travaillé sur une réforme du titre-restaurant "tout au long de l'année 2023" : "L'agenda politique ne m'a pas permis de la mener mais je l'avais ardemment préparée." En réponse, Anne-Laure Blin (Droite républicaine) a accusé sa collègue du parti présidentiel de "convertir l'essai des engagements personnels pris à l'époque en tant que ministre, mais qui n'avaient pas été portés au sein du gouvernement". "Il me semble basiquement intéressant, peut-être, d'entendre le souhait des Français, mais je dois être en décalage", a rétorqué Olivia Grégoire.
Un échange tendu qui s'est poursuivi : "Vous avez tout simplement mis fin au titre-restaurant tel que souhaité par les entreprises et les salariés, c'est la mort du titre-restaurant", a déclaré Anne-Laure Blin. "Il faudra nous expliquer en quoi on tue un ticket-restaurant quand on prend acte du souhait de ceux qui le co-financent" (c'est-à-dire les salariés, ndlr), a réagi Olivia Grégoire.
"Vous êtes aux côtés des grande et moyenne distributions, simplement il suffit de l’assumer", a encore accusé Anne-Laure Blin. Des propos manquant de "nuance", selon Stéphane Buchou (Ensemble pour la République). Et l'élu de dénoncer "l'argument d'autorité" consistant à dire que l'amendement d'Olivia Grégoire "va tuer les restaurateurs" : "Je vous appelle quand même à un peu de mesure dans les propos que vous tenez", a-t-il dit s'adressant à la rapporteure du texte.
Considérant que les sénateurs sont "vraisemblablement sur la ligne [qu'elle] défend", Anne-Laure Blin a en tout cas averti que l'amendement d'Olivia Grégoire mettrait en péril la proposition de loi. La députée Droite républicaine a en effet estimé qu'un bras de fer avec les sénateurs risquerait d'empêcher une adoption avant le 31 décembre prochain, date à laquelle il ne sera plus possible d'acheter des produits non directement consommables avec des tickets-restaurants. "Nous sommes en train de tuer le dispositif et sa prolongation puisqu'en l'état le texte ne pourra pas être adopté par le Sénat et ne sera vraisemblablement pas soutenu par l’exécutif", a renchéri Jérôme Nury (Droite républicaine).
Signe d'un certaine confusion, provoquée par ces échanges tendus, les députés n'ont pas voté en faveur du dernier amendement au texte, qui changeait le titre de la proposition de loi en remplaçant le mot "prolonger" par le mot "pérenniser", plus adéquat depuis le vote de l'amendement d'Olivia Grégoire. "Le titre n'a absolument plus rien à voir avec le contenu du texte", a déploré Anne-Laure Blin, qui a fait part de son "étonnement". La proposition de loi doit maintenant être débattue la semaine prochaine dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale.