Le principe de la fusion entre l'Autorité de sûreté nucléaire et l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire a été approuvé, lundi 6 mars, par la commission des affaires économiques, malgré de vives oppositions. La commission a, par ailleurs, achevé l'examen du projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires dans le cadre duquel cette fusion est prévue.
C'était l'un des points les plus clivants du projet de loi "relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes". La fusion de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), le "gendarme du nucléaire" responsable des contrôles, et de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), chargé de l'expertise et de la recherche, a été approuvée par les députés de la commission des affaires économiques dans la soirée du lundi 6 mars.
Annoncée par le gouvernement début février à la surprise générale des acteurs du secteur, cette réforme inquiète particulièrement les quelque 1 800 salariés de l'IRSN, qui craignent une perte de leur indépendance et la disparition d'une partie de leurs missions. Consciente du caractère contesté de cette évolution, la ministre de la Transition énergétique a fait preuve de pédagogie ce lundi, au moment de défendre l'amendement qui introduit la fusion. Pendant plus de 7 minutes, Agnès Pannier-Runacher a tenté de rassurer les élus les plus réfractaires.
"Nous réunissons sous la même bannière deux services publics en retenant l'entité la plus sécurisante : l'autorité administrative indépendante", a-t-elle avancé, rappelant que l'IRSN avait pour sa part le statut moins protecteur d'établissement public à caractère industriel et commercial (Epic). La ministre a également mis en avant le besoin d'expertise de l'ASN, mais aussi son faible dimensionnement - 500 personnes -, qui souffre de la comparaison avec l'international.
Agnès Pannier-Runacher a, par ailleurs, assuré que cette fusion était un "gage d'indépendance et de fluidité dans la sûreté nucléaire" et qu'elle comportait de nombreux "garde-fous". "Il s'agit du point de départ d'une réorganisation qui va s'inscrire dans le temps long", a-t-elle aussi souligné. De fait, l'amendement prévoit que la réforme s'applique "au plus tard au 1er juillet 2024".
La longue prise de parole de la ministre de la Transition énergétique n'a pas suffi à convaincre les députés opposés à ce qu'ils considèrent davantage comme un "démantèlement" de l'IRSN. C'est aussi la forme qui irrite fortement l'opposition, heurtée par l'introduction de cette réforme par voie d'amendement, sans étude d'impact, ni analyse du Conseil d'État. "À la hussarde", ont critiqué plusieurs élus.
"Le choix d'un amendement sous-amendé est totalement pathétique et irrespectueux vis-à-vis des autorités, des salariés, des Français qui font confiance en notre régime de sûreté, et du Parlement", s'est agacé Gérard Leseul (Socialistes). "Nous ne comprenons toujours pas le calendrier et la méthode choisie", a relevé Benjamin Saint-Huile (Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires). "Vous êtes incorrigibles. [...] Vous me faites penser à ces enfants qui cassent leur jouet, d'un coup. Il y a une question de méthode ! Quand on légifère, il faut le faire en tremblant !", a sermonné André Chassaigne (Gauche démocrate et républicaine), qui a reproché à l'exécutif de proposer aux députés "d'acheter un âne dans un sac".
La décision d'en passer par des amendements, qui plus est dans un projet de loi technique, est allée jusqu'à questionner des députés ouverts à un tel projet de fusion. "Le gouvernement a décidément un problème de méthode", a observé Olivier Marleix (Les Républicains), qui a obtenu de l'exécutif la publication d'un rapport sur l'impact de la fusion, dans les 6 mois à compter la promulgation de la loi. Pourtant membre de la majorité présidentielle, Philippe Bolo (Démocrate) a lui aussi questionné l'intérêt d'une "réforme qui pose plus de questions qu'elle n'apporte de certitudes".
Sur le fond, plusieurs députés se sont interrogés sur l'impact qu'aura cette réforme. "On n'a aucune garantie que les expertises qui seront rendues le seront de manière indépendante et seront rendues publiques", s'est inquiété Maxime Laisney (La France insoumise). Julie Laernoes (Écologiste) a pour sa part souligné que "tous les syndicats, pas seulement de l'IRSN, mais aussi ceux d'EDF et de Framatome, sont opposés au projet".
"Est ce que cette réforme va renforcer la sûreté nucléaire ? La réponse est non", a tranché Delphine Batho (Écologiste). L'ancienne ministre de l'Écologie a fait part de ses inquiétudes quant au risque de disparition de certaines missions actuellement assurées par l'IRSN, fustigeant une "réforme improvisée dans un coin de table et dangereuse".
"Ce qui nous est présenté ne remet pas en cause les fondamentaux de la sûreté et la qualité avec laquelle on exerce la sûreté en France", a rétorqué la rapporteure du texte, Maud Bregeon (Renaissance). "L'indépendance de l'ASN et la manière dont elle exerce son pouvoir de contrôle n'a pas à être remise en cause", s'est-elle également agacée. "L'ASN n'a jamais été laxiste." "Il ne faudrait pas jeter le discrédit sur 500 personnes à des fins politiques", a abondé Agnès Pannier-Runacher.
Finalement, l'amendement portant le projet de fusion comme celui organisant le transfert de personnels vers l'ASN ont été adoptés. Comme l'avait préconisé l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) dans ses recommandations, des garanties ont été apportées à la réforme, avec la séparation du processus d’expertise des avis et des décisions délibérés par le collège de l'ASN. Sans que cela suffise à répondre aux inquiétudes des députés opposés à la fusion.
Le projet de loi adopté en commission
Les députés de la commission des affaires économiques sont parvenus à adopter le projet de loi "relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires" dans la nuit de lundi à mardi, à 2 heures du matin. Le texte permet notamment d'octroyer des dérogations administratives pour accélérer la construction de nouveaux réacteurs nucléaires, sous conditions et dans des périmètres restreints. Il sera examiné à compter du 13 mars dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale.