Auditionné par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, mercredi, le Haut-Commissaire au Plan, François Bayrou, a tiré les premières leçons de la crise sanitaire. Selon lui, l'épidémie de Covid-19 a notamment servi de "révélateur" aux carences de l'Etat en matière de politique économique et industrielle depuis 20 ans.
Relancé par Emmanuel Macron en 2020, quatorze ans après sa suppression, le Haut-Commissariat au Plan a pour mission de "coordonner les travaux de planification et de réflexion prospective pour le compte de l'Etat". Présidée par François Bayrou, cette instance a pour but de proposer au gouvernement une réflexion de long terme. Selon le Haut-Commissaire au Plan, la crise sanitaire actuelle a été un "révélateur" montrant que suite aux choix faits depuis de nombreuses années, l'Etat avait davantage été dans une dynamique de "réaction" plutôt que d'anticipation.
En mars, au début du premier confinement, la France s'est rendue compte que ses stocks de masques ne seraient pas suffisants pour répondre à la situation. Plus largement, la gestion des stocks stratégiques a été très critiquée depuis le début de la pandémie. Début décembre, Damien Abad, le président du groupe Les Républicains, estimait à la sortie du rapport de la commission d'enquête sur la gestion de l'épidémie de Covid-19 que le pays était "mal préparé." "Hélas, la dynamique des décisions gouvernementales, a longtemps été une dynamique de la réaction", commente le Haut-Commissaire au Plan qui pointe des carences qui viennent de loin.
Et François Bayrou prévient : plusieurs centaines de milliards d'euros ont été mis sur la table pendant la crise. La mobilisation d'argent public a été sans précédent. "Un tel effort de solidarité sociale ne peut pas être soutenu sans un appareil productif qui permette de le financer", met en garde le Haut-Commissaire au Plan.
Or, "l’appareil productif français, ces 20 dernières années, a été sur une pente désastreuse", déplore François Bayrou. "La part de l'industrie allemande dans le PIB allemand est de 25%. La part de l'industrie française dans le PIB français est de 13%. Au niveau du commerce extérieur, ça donne la catastrophe que vous savez : un déficit de 80 milliards pour l'économie française et un excèdent de 250 milliards pour l'économie allemande", poursuit-il.
L'intérêt général ne peut pas être réduit à la somme des intérêts particuliers François Bayrou, Haut-Commissaire au Plan, le 16 décembre 2020
Comment expliquer une telle situation ? "On a pendant des années laissé faire", répond François Bayrou. "On a respecté les décisions d'intérêts particuliers des entreprises qui sont des acteurs de l'économie", poursuit-il. Si le maire de Pau "comprend très bien" que des entreprises fassent "des choix de gestion", il explique qu'il "devrait y avoir une autorité de l'Etat, qui dise 'Attention ! Là, on ne peut pas laisser faire'."
Surtout, c'est tout le mode de pensée qui doit être redéfini, suggère François Bayrou. "On nous disait qu'il était inéluctable que les productions s'en aillent en raison du coup de la main d'œuvre, qui est jusqu'à cinq fois moins chère à l'Extrême-Orient", dit le Haut-commissaire au Plan. Il assure que cette question doit être "considérée d'une manière différente".
François Bayrou avance qu'avec les progrès technologiques et les talents dont dispose la France dans le registre scientifique et algorithmique, "on peut envisager des productions qui hier nous étaient interdites". Et d'expliquer qu'il faut avoir en tête "une notion de reconquête des productions que nous avions abandonnées. On nous disait hier que c'était impossible. Probablement que ce sera possible."
Je ne pense pas que faire confiance aux décisions internes des entreprises suffira François Bayrou, Haut-Commissaire au Plan, le 16 décembre 2020
Mais là encore, François Bayrou ne veut pas laisser le champ libre aux entreprises. "Est-ce que ça se fera si on fait confiance seulement aux décisions internes des entreprises ? Je ne le crois pas", avertit le Haut-Commissaire au Plan. "Je voudrais que ça suffise, mais ça ne suffira pas", assure-t-il, souhaitant la mise en place d'un "organisme d'initiative de l'Etat."
Cet organisme aurait pour but d'identifier des domaines de reconquête et de "fédérer les acteurs" pour qu'ils travaillent ensemble s'ils "acceptent l'effort partagé dans les domaines sélectionnés."
A propos de la dette, l'ancien candidat à l'élection présidentielle plaide pour son "étalement." "Il faut que nous ayons une démarche différente sur la dette Covid, différente de la réflexion que nous avons sur les autres dettes. La plupart des dettes sont décidées par un Etat", explique François Bayrou. Mais là, "personne n’est la cause de ce tsunami que nous avons dû affronter. Même la Chine l’a subi, comme le reste du monde", continue-t-il.
Le Haut-Commissaire au Plan - bien que François Bayrou précise qu’il s’exprime en tant que "citoyen" sur cette question - propose, de "définir précisément le périmètre de cette dette et définir un assez long différé d’amortissement (…) le temps de se redresser". Ensuite, "on sera obligé sur cette dette quasiment à taux zéro de l’étaler sur une longue période pour qu’elle soit supportable", estime-t-il.
Au passage, François Bayrou pointe les limites du couple franco-allemand, qui a porté la relance européenne durant l'été. Selon lui, la France doit se rappeler que "l'Europe, ce n'est pas que le couple Franco-allemand" avant de conclure : "Je pense que c’est dans le cadre européen qu’il faut poser les questions".