Sociétés autoroutières : Bruno Le Maire veut raccourcir la durée des concessions plus rentables que prévu

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Clément Beaune et Bruno Le Maire à l'Assemblée, mercredi 22 mars 2023
Clément Beaune et Bruno Le Maire à l'Assemblée, mercredi 22 mars 2023
par Raphaël Marchal, le Mercredi 22 mars 2023 à 20:55, mis à jour le Mercredi 3 mai 2023 à 21:43

Auditionné à l'Assemblée nationale mercredi 22 mars, le ministre de l'Économie a présenté sa stratégie pour faire face à la sur-rentabilité des autoroutes. Bruno Le Maire a notamment indiqué qu'il avait saisi le Conseil d'État pour savoir s'il était possible de raccourcir la durée des concessions, expliquant vouloir "éviter toute rente". 

C'est un sujet brûlant, un de plus. Le ministre de l'Économie et des Finances, Bruno Le Maire, et le ministre délégué chargé des Transports, Clément Beaune, étaient auditionnés ce mercredi à l'Assemblée nationale, sur la question de la rentabilité des sociétés autoroutières. Et ils étaient attendus, aussi bien par les députés de la commission des finances que par les journalistes.

Il faut dire que les profits engrangés par ces sociétés au cours des dernières années, plus importants que prévus à l'origine, participent aux bons résultats des groupes auxquelles elles appartiennent (Vinci, Eiffage, ou encore Albertis) et que la question du pouvoir d'achat en cette période d'inflation a relancé le débat à ce sujet, alors même que les tarifs des péages ont augmenté de 4,75 % au 1er février.

Dans ce contexte, la révélation par Le Canard enchaîné, de l'existence d'un rapport commandé en 2020 par Bercy à l'Inspection générale des finances (IGF) sur le renouvellement des concessions autoroutières a suscité la polémique. Ce rapport n'ayant pas vocation à être rendu public, certains y ont vu une volonté de mettre la poussière sous le tapis. Bruno Le Maire s'en est défendu, arguant que la non-publicité de ce document devait apporter des arguments à l'État contre les sociétés autoroutières dans une procédure administrative. Il s'est finalement engagé à rendre le rapport public dans la soirée. Après que Marianne l'a publié in extenso.

"Les calculs n'ont pas été bons"

La décision de concéder la gestion des autoroutes n'est pas récente, puisqu'elle date de 1955, avec la mise en place de sociétés mixtes. En revanche, celle de privatiser ces sociétés concessionnaires a moins de 20 ans. Elle a été actée en 2005, et entérinée l'année suivante. À l'époque, Bruno Le Maire travaillait avec Dominique de Villepin à Matignon, d'abord comme conseiller politique, puis comme directeur de cabinet. 

Devant les députés, le désormais ministre de l'Économie a reconnu que les critères retenus à l'époque ont créé une situation plus favorable que prévue pour les groupes privés. "Nos calculs n'ont pas été bons", a-t-il indiqué, notamment du fait d'une mauvaise anticipation de l'évolution des taux d'intérêt.

"Nous nous sommes trompés, et nous avons sous-évalué l'avantage financier que pouvait en tirer la société concessionnaire", a clairement assumé Bruno Le Maire. "Pas grand monde n'aurait pu anticiper des taux d'intérêt nuls, voire négatifs sur la période", a cependant souligné le ministre.

La stratégie de Bercy

Dès lors, peut-on retirer la poule aux œufs d'or à ces sociétés, ou les forcer à davantage partager le gâteau ? "Nous sommes dans un État de droit, pas en Union soviétique", a rappelé Bruno Le Maire. Interrompre brutalement les contrats donnerait nécessairement lieu à compensation, que les services du ministre évaluent à une somme comprise entre 40 et 50 milliards d'euros.

Pas question d'en passer par cette solution, assure Bruno Le Maire. Devant les élus, il a néamoins mis en avant plusieurs pistes lancées ou envisagées par Bercy pour tenter de récupérer une partie du pactole. L'une d'elle a déjà été mise en œuvre dans le cadre de la loi de finances pour 2020 : la revalorisation automatique - par rapport à l'inflation - de la taxe d'aménagement du territoire, la principale taxe payée par les sociétés concessionnaires.

Ces dernières ont néanmoins contesté la manœuvre auprès du tribunal administratif de Paris. L'État a remporté la première manche. "Nous ne souhaitons pas rendre ce milliard d'euros aux sociétés autoroutes. Nous sommes déterminés à nous battre", a assuré Bruno Le Maire. L'affaire est désormais dans les mains du Conseil d'État.

Raccourcir la durée des concessions

Il a également fait savoir que ses services planchaient sur une autre stratégie : raccourcir la durée des concessions, qui arrivent à échéance entre 2031 et 2036. Pour ce faire, Bruno Le Maire et Clément Beaune vont saisir le Conseil d'État. Charge à la plus haute juridiction administrative de décider si la sur-rentabilité des concessions autoroutières est établie. Dans ce cas, l'État pourra raccourcir de quelques années leur durée. "C'est la voie qui nous paraît juridiquement la plus solide, et économiquement la plus prometteuse", a avancé le locataire de Bercy.

La seconde piste mise en avant devant les députés concerne l'introduction d'une future clause de révision des contrats, dans le cadre des futures concessions autoroutières. "Je souhaite qu'ils soient renégociés, afin que nous puissions prévoir explicitement une clause de révision des tarifs de péage en fonction du niveau de rentabilité", a relevé Bruno Le Maire, qui a déploré l'absence d'une telle option dans les contrats passés.

L'hypothèse d'une nationalisation écartée 

Au-delà de ce constat, le ministre de l'Économie a néanmoins réaffirmé qu'il était positif de confier à une société privée concessionnaire la gestion des autouroutes, un schéma qui permet à l'État, qui reste propriétaire, de récupérer ces infrastructures à l'issue de la concession. La privatisation de 2006 a rapporté 14,8 milliards d'euros aux finances publiques, a-t-il fait valoir.

Selon lui, l'État doit garder des capacités d'investissement pour financer des projets décarbonés qui ne seraient pas encore rentables pour des investisseurs privés, comme c'est le cas pour l'hydrogène vert, pour lequel 9 milliards d'euros de fonds publics ont été versés. "L'État doit amorcer la pompe, comme il l'a fait pour les batteries électriques, et pas continuer à abonder des investissements du passé déjà rentabilisés", a-t-il affirmé. "La solution de la nationalisation des autouroutes est triplement perdante : pour les finances publiques, pour le climat, et pour le contribuable."

Cette vision des choses n'a pas convaincu les députés de l'opposition, échaudés par les profits réalisés par le secteur. "Pourquoi l'État investirait quand il n'y a pas de rentabilité et laisserait ensuite les opérateurs se gaver en se privant d'une telle rentabilité ? Pourquoi continuer à faire des concessions ?", a notamment estimé le président de la commission des finances et député La France insoumise, Éric Coquerel, ajoutant : "Je pense que c'est une très mauvaise affaire".