Depuis plusieurs jours, les opposants à la réforme des retraites attaquent la communication de l'exécutif sur la revalorisation des petites retraites, allant jusqu'à accuser le gouvernement de "colporter un mensonge". Interrogé à plusieurs reprises sur le sujet, Olivier Dussopt précise que "grâce à cette réforme (...), 1,8 million de retraités [actuels] vont voir leur pension revalorisée" et que parmi les futurs retraités, "40.000 personnes de plus chaque année" passeront le cap des 85% du Smic.
Brandie comme "la" mesure de justice sociale du projet de réforme des retraites, la revalorisation des petites pensions a 85% du Smic a été conditionnée dès l'origine à un certain nombre de critères qui ont parfois été oubliés dans la communication gouvernementale, au risque de donner l'impression que la pension minimale à 1.200 euros bruts (qui correspond à 85% du Smic net, actuellement de 1.353 euros par mois) serait un droit ouvert à tous. Un sujet sur lequel la Nupes et le RN ont mis en difficulté le gouvernement ces derniers jours en multipliant les interventions dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale.
Lors de la séance de questions au gouvernement du mardi 14 février, Emmanuel Fernandes (La France insoumise) a, par exemple, cité pêle-mêle Bruno Le Maire, Marlène Schiappa, Gabriel Attal ou encore Franck Riester, les accusant de "colporter [un] mensonge". Le député de l'opposition a surtout évoqué le porte-parole du gouvernement Olivier Véran qui avait déclaré que "deux millions de retraités actuels verront leur retraite majorée à 1.200 euros brut".
Ces mots sont bien ceux du porte-parole du gouvernement, invité de FranceInfo le 11 janvier dernier. Confronté à ses propos lors de l'émission dominicale "Questions politiques", sur France Inter le 12 février, Olivier Véran a tenté de rectifier le tir en indiquant que "c'est vraiment pour une carrière complète au niveau du SMIC, je pense l'avoir dit un nombre incalculable de fois, pardon s'il y a eu une phrase qui n'allait pas dans ce sens-là". Volontaire ou pas, cette communication parfois imprécise a aussi été dénoncée par le Rassemblement national. Le 14 février, sur BFMTV, le député Jean-Philippe Tanguy a ainsi parlé d'"escroquerie politique".
Quoi qu'il en soit, soumis à la question à répétition dans l'hémicycle par des oppositions lui demandant combien de retraités pourront effectivement bénéficier de la pension minimale, le gouvernement a semblé avoir du mal à répondre, donnant parfois l'impression de botter en touche. "Le Président a pris un engagement, que nous tenons : pour tout assuré qui aurait une carrière complète au Smic, il y aura une garantie de retraite à 85 % du Smic", a d'abord redit le ministre du Travail, Olivier Dussopt, ajoutant qu'"un retraité sur quatre aura une meilleure pension grâce à la réforme."
À nouveau sommé de donner des chiffres précis sur les retraités qui seront concernés par la retraite minimale à 1.200 euros par Emeline K/Bidi (Gauche démocrate et républicaine), le ministre du Travail a fait la même réponse sans pouvoir aller au bout de son propos, interrompu par les députés de la Nupes qui lui reprochaient de ne pas être suffisamment précis.
Invité de la matinale de France Inter, ce mercredi 15 février, Olivier Dussopt a finalement précisé les prévisions du gouvernement concernant la pension minimale, indiquant que parmi les futurs retraités : "40.000 personnes de plus chaque année" passeront le cap des 85% du Smic. "Grâce à cette réforme (...), 1,8 million de retraités [actuels] vont voir leur pension revalorisée", dont la moitié "auront une revalorisation comprise entre 70 et 100 euros" et "vous en avez même 125.000 qui vont aller jusqu'au maximum des 100 euros de revalorisation", a-t-il aussi détaillé. Et de conclure : "Cela signifie que nous avons au total 250.000 retraités supplémentaires dans notre pays qui vont franchir le cap des 85% du Smic parmi les retraités actuels".
La veille au soir, lors de la reprise des débats sur la réforme dans l'hémicycle, Olivier Dussopt avait de nouveau été sommé à de nombreuses reprises de répondre quant au fameux chiffre. Il avait alors évoqué "plusieurs dizaines de milliers de personnes [de plus] chaque année", avant de redire la difficulté d'estimer un chiffre plus précis, en raison notamment des potentielles interruptions de carrières futures, par nature imprévisibles, des cotisants actuels.
Lors de la présentation de la réforme par Élisabeth Borne, le 10 janvier dernier, et avant même qu'elle ne soit soumise au Conseil des ministres, les propos de la Première ministre avaient été clairs : "Les salariés et les indépendants, notamment les artisans et les commerçants, qui ont cotisé toute leur vie avec des revenus autour du SMIC, partiront désormais avec une pension de 85% du SMIC net, soit une augmentation de 100 euros par mois". L'équivalent de "près de 1.200 euros par mois, dès cette année", mais sous certaines conditions strictes précisées par la cheffe du gouvernement.
Entre annonce, communication et calibrage, la portée de la mesure a en tout cas été relativisée par l'économiste Michaël Zemmour, largement cité par des responsables politiques ces derniers jours. Le professeur d'économie à la Sorbonne indique que "les seules" personnes qui seront concernées par les 1.200 euros, touchaient déjà "plus de 1.100 euros". Et il estime dans un tweet qu'au maximum 5% des retraités bénéficieront pleinement de cette mesure.
L’article 10 du projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale dispose bel et bien que ce sont uniquement les salariés ayant effectué une carrière intégralement cotisée sur la base d’un Smic qui pourront partir en retraite avec une pension d’au moins 85 % de ce Smic net, soit près de 1.200 euros à compter du 1er septembre 2023.
Or, cette hausse passe par l'augmentation de 100 euros du minimum contributif (MICO) prévue par la réforme, et ce pour les carrières complètes. Certains verront donc leur retraite seulement revalorisée "de 20 à 30 euros par mois", a précisé le ministre du Travail sur l'antenne de FranceInfo le 12 février, expliquant que : "c’est forcément proratisé". D'où le fait que dans la réforme, les travailleurs aux carrières incomplètes, n'ayant donc pas cotisé 43 ans ou ayant occupé des emplois à temps partiel, ne puissent pas accéder à une retraite minimale à 1.200 euros.