Renforcement du droit à l’IVG : après le rejet du Sénat, le texte de retour à l’Assemblée

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Illustr IVG
par Soizic BONVARLET, le Mardi 9 février 2021 à 16:40, mis à jour le Mercredi 10 février 2021 à 15:27

La commission des affaires sociales examine, mercredi 10 février, la proposition de loi visant à renforcer le droit à l’avortement. Il s’agit d’une deuxième lecture à l'Assemblée nationale, après le rejet du texte par le Sénat et avant son examen dans l'hémicycle la semaine prochaine, dans le cadre de la journée d’initiative parlementaire réservée au groupe "Socialistes et apparentés".

Pour les députés qui avaient soutenu le texte et nombre d’associations féministes, cela avait été une journée à marquer d’une pierre blanche. Le 8 octobre dernier, l’Assemblée s’était prononcée pour l’allongement de douze à quatorze semaines, du délai de recours à l’IVG. Une mesure pour laquelle le gouvernement avait fait valoir un avis de sagesse.

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Portée par la députée Albane Gaillot, membre du groupe "Écologie démocratie solidarité", qui faute du nombre requis de parlementaires, a depuis été dissous, la proposition de loi "visant à renforcer le droit à l’avortement", avait fait l’objet d’une alliance de la majorité et de l’opposition de gauche, rejointe par quelques députées "Les Républicains". Adoptée à 86 votes "pour", 59 "contre", le texte défendait, au-delà de l'extension des délais, la suppression de la clause de conscience spécifique à l’IVG, ou encore la possibilité pour les sages-femmes de réaliser des IVG chirurgicales jusqu’à la dixième semaine de grossesse.

L’obstacle dressé par le Sénat

Après avoir été adopté en première lecture à l’Assemblée, le texte s’est heurté à l’hostilité du Sénat, à majorité "Les Républicains". Portée par la sénatrice socialiste et ancienne ministre chargée des Droits des femmes, Laurence Rossignol, la proposition de loi a été rejetée le 20 janvier en séance, et ce par l’adoption d’une motion préalable. Le secrétaire d’Etat chargé de l’Enfance et des Familles, présent ce jour-là dans l’hémicycle du Palais du Luxembourg, avait alors souligné le fait que le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) avait "rendu en fin d’année un avis favorable à l’extension du délai légal de l’IVG". Adrien Taquet avait aussi jugé "essentiel que la PPL poursuive son chemin".

Le groupe "Écologie démocratie solidarité" ayant disparu, c’est le groupe "Socialistes et apparentés", déjà cosignataire en octobre, qui s’est saisi du texte pour l’inscrire à l’ordre du jour de sa journée d’initiative parlementaire, le 18 février prochain.

La majorité parlementaire favorable au texte

Pour Marie-Noëlle Battistel (Socialistes et apparentés), co-rapporteure de la proposition de loi avec Albane Gaillot, le soutien du groupe "La République en marche" au texte qu’elle défend ne fait pas vraiment de doute. "Je n’ai pas de crainte sur la majorité", indique-t-elle, "ils seront totalement à nos côtés pour que le texte puisse aboutir". Elle se réjouit qu’il puisse arriver de "stopper la politique politicienne au nom du bien commun, et en l’occurrence de celui des femmes".

Au Canada, 90% des avortements ont lieu avant la douzième semaine alors qu’il n’y a pas de délais. Cela montre bien que la femme, lorsqu’elle souhaite avorter, le fait au plus vite. Marie-Noëlle Battistel

Pour ce qui est du gouvernement en revanche, la députée de l’Isère indique que, "probablement", "le Premier ministre n’est pas très enclin à voir aboutir ce texte", mais espère "que les choses seront portées avec un peu plus de conviction par les membres de l’exécutif qui seront présents" à l’occasion de la deuxième lecture, en tout cas sur la question des délais. "Au Canada, 90% des avortements ont lieu avant la douzième semaine alors qu’il n’y a pas de délais. Cela montre bien que la femme, lorsqu’elle souhaite avorter, le fait au plus vite", répond la députée socialiste à l’argument selon lequel le taux d’avortements tardifs exploserait avec l’adoption de la proposition de loi.

Pour Cécile Muschotti, oratrice de "La République en marche" sur le texte, si son groupe, et notamment son président Christophe Castaner, "soutient pleinement et entièrement la proposition de loi", elle doute que l’appui du gouvernement puisse être inconditionnel. "Logiquement il devrait se prononcer pour l’allongement des délais puisque dans sa position de sagesse [du mois d’octobre], il évoquait l’avis du CCNE", qui n’avait alors pas encore été remis, note-t-elle cependant. 

La députée du Var confie, en revanche, être moins optimiste à propos de la clause de conscience spécifique à l’IVG, craignant l’influence des organisations de gynécologues sur la position de l’exécutif. "Tout le monde dit ‘les’ gynécologues, mais ce sont ‘des’ gynécologues, qui appartiennent à des instances représentatives. Et en l’occurrence ils sont représentatifs des gynécos-obstétriciens qui ne font pas d’IVG". "C’est leur droit, et on n’y touche pas", ajoute-t-elle en référence à la clause de conscience générale, qui pourra continuer d’être brandie par les médecins afin de refuser de pratiquer un avortement, "mais il faut aussi écouter les autres". Pour Marie-Noëlle Battistel, la double-clause de conscience "n’a de sens que pour stigmatiser l’acte d’IVG". Selon les informations du quotidien La Croix, le gouvernement ne devrait ni s'opposer à la mesure, ni lui apporter son soutien explicite, s'en remettant à la "sagesse" des députés.

Enfin, sur la possibilité pour les sages-femmes de réaliser des IVG chirurgicales jusqu’à la dixième semaine de grossesse, que Cécile Muschotti considère comme la "mesure-phare" du texte pour élargir l’offre de soins et faciliter l’accès des femmes à l’IVG, la députée ne cache pas son incompréhension suite à l’inscription in extremis via un amendement soutenu par le gouvernement d’une expérimentation du dispositif au sein du dernier projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). "C’est une petite avancée qui n’est pas à la hauteur", l’expérimentation en lieu et place de l’adoption de la mesure au sein d’une proposition de loi allongeant considérablement les délais de sa mise en œuvre.

Vers un vote favorable des députés

Si Cécile Muschotti pense que la proposition de loi a toutes les chances d’être votée en deuxième lecture, jeudi prochain, elle met en garde : "Il faut qu’on soit très vigilants, et que le groupe soit présent". Par ailleurs, Marie-Noëlle Battistel reconnaît que son examen, qui ne manquera pas de soulever des débats passionnés dans l’hémicycle comme à chaque loi sur l’IVG, pourrait se prolonger toute la journée, empêchant celui des autres textes prévus dans le cadre de la "niche" PS, qui n’a lieu qu’une fois par an. Et ce alors qu’une autre proposition de loi "renforçant la protection des mineurs victimes de violences sexuelles", est notamment inscrite à l'ordre du jour. 

Marie-Noëlle Battistel a cependant bon espoir que l’ordre du jour du 18 février reste inchangé, avec l’inscription prioritaire de sa proposition de loi, en ce qu’il s’agit d’une deuxième lecture, et donc de la possibilité de franchir une nouvelle étape dans le parcours législatif, déjà bien avancé, de ce texte. Elle souligne également l’urgence de faire adopter la loi, alors que la crise sanitaire actuelle est une embûche supplémentaire dans le parcours de soin des femmes qui souhaitent avorter.