Rejet du budget 2025 à l'Assemblée : les députés entre bilan et perspectives à l'issue de la première séquence budgétaire

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par Soizic BONVARLET, le Jeudi 14 novembre 2024 à 14:45, mis à jour le Jeudi 14 novembre 2024 à 15:29

Fait inédit, l'Assemblée nationale a rejeté, mardi 12 novembre, la partie "recettes" du projet de loi de finances pour 2025. Conséquence : l'ensemble du budget de l'Etat va être examiné au Sénat dans sa version initiale, enrichie par les amendements acceptés par le gouvernement. Les députés auront cependant encore leur mot à dire, car le parcours législatif du projet de loi de finances est loin d'être terminé. Quel bilan les élus du Palais-Bourbon font-ils de cette première séquence budgétaire à l'Assemblée ? Et comment envisagent-ils la suite ? 

Alors que la partie "recettes" du budget de l'Etat pour 2025 a été rejetée, mardi 12 novembre, les groupes politiques de l'Assemblée nationale se renvoient la responsabilité de la situation, tout en se projetant déjà sur la suite de la bataille budgétaire qui est encore loin d'être terminée à l'issue de cette première séquence au Palais-Bourbon. Pour l'heure, conséquence de ce rejet, c'est le projet de loi de finances initial, enrichi des amendements acceptés par le gouvernement, qui va être examiné au Sénat, où Michel Barnier dispose d'une véritable majorité.

Fragilité du socle gouvernemental à l'Assemblée

Pour Marie-Christine Dalloz (Droite républicaine), le rejet de la partie "recettes" du projet de loi de finances à l'Assemblée ne signe en aucun cas l'échec du gouvernement ou du "socle commun" qui soutient le Premier ministre. Pour la députée, cette issue en première lecture est le résultat concret "d'une absence de majorité, qui fait que l'on voit bien que les institutions sont en panne".

"C'est un échec du gouvernement qui était censé trouver une majorité, dont les troupes ont fui l'hémicycle pendant des semaines" estime, au contraire, la présidente du groupe Écologiste et Social, Cyrielle Chatelain. "A plusieurs reprises, Michel Barnier a été désavoué par ses propres troupes" note, quant à lui, Arthur Delaporte (Socialistes), qui diagnostique de ce fait un "malaise dans la majorité du Premier ministre". "Bien souvent, la droite ne vote pas la même chose que les macronistes, les macronistes votent contre des articles du budget du gouvernement", remarque-t-il, pointant en substance un manque de cohésion au sein du socle gouvernemental.

"On a chacun eu nos propres combats", concède Véronique Louwagie (Droite républicaine). "On n'a pas travaillé ensemble, mais avant tout parce qu'on n'en a pas eu le temps", explique la vice-présidente de la commission des finances, évoquant les conditions de préparation particulièrement contraintes du projet de loi de finances en terme de calendrier, compte tenu de la date de nomination du gouvernement. Elle fait cependant état d'une évolution entre le début et la fin de l'examen de la partie "recettes". "On a finalement appris à se concerter entre les quatre groupes qui composent le bloc central", indique-t-elle aussi, soulignant la nécessité d'un temps de "rodage", et de nouvelles habitudes à prendre dans une configuration parlementaire inédite.

Le rapporteur général de la commission des finances, Charles de Courson (LIOT), met lui aussi en exergue l'absence structurelle de véritable majorité, ainsi que la mobilisation parfois défaillante "des quatre groupes censés soutenir le gouvernement", l'ensemble ayant selon lui contribué a "augment[er] officiellement de 57 milliards les recettes de l’État, donc les impôts". Soulagé par le rejet du texte amendé, il s'inquiète des incertitudes qui planent sur l'issue des discussions budgétaires. "Les sénateurs vont adopter un texte, disons plus raisonnable, après il y a aura la commission mixte paritaire... Ce qui sortira de la CMP, c'est trop tôt pour le dire. Et après il y aura un vote final ici. Qu'est-ce qui se passera ? Dieu seul le sait".

Le RN, point de bascule entre NFP et bloc central

En première lecture, le Rassemblement national a fait figure d'arbitre. Participant au fil des débats à la modification en profondeur du projet du gouvernement, largement initiée par le Nouveau Front populaire, tout en s'opposant à l'adoption de la partie "recettes" telle qu'elle avait été amendée dans l'hémicycle. 

Si pour David Amiel (Ensemble pour la république), cette copie profondément remaniée était "le résultat mathématique de la coalition qu'il peut y avoir entre le RN et le NFP", son rejet a été, selon le président de la commission des finances, Eric Coquerel (La France insoumise), la conséquence de la "coalition entre [le socle commun] et le RN, qui décide une fois de plus d'être la béquille gouvernementale".

"S'il y a une défaite, c'est d'abord celle du 'budget Barnier', qui n'a pas réussi à éviter d'être profondément remanié", juge Eric Coquerel. "La question qui se pose à nous, c'est de savoir comment on évite à l'avenir que ce type de configuration se reproduise", considère David Amiel.

Bien qu'il ait soutenu certaines des mesures portées par les groupes du Nouveau Front populaire, le Rassemblement national renvoie dos à dos les deux versions du budget. "Il y a le budget de Monsieur Barnier, celui-là, il n'y a pas de rupture, on fait comme s'il n'y avait pas eu d'élection européenne, ni d'élections législativesEt puis il y a le budget qui a été rejeté, à juste titre parce que oui, il y avait de la dinguerie fiscale", a déclaré Philippe Ballard (RN), mardi soir, sur le plateau de LCP. 

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Et maintenant, la suite de la procédure budgétaire

Comme le prévoit la procédure en cas de rejet du texte à l'Assemblée nationale, c'est le projet de loi de finances initial du gouvernement qui sera examiné, à partir du 25 novembre, par le Sénat. Le ministre du Budget et des Comptes publics, Laurent Saint-Martin, a cependant indiqué dès mardi soir que le gouvernement déposerait "un certain nombre d’amendements (...) [adoptés] à l’Assemblée nationale".

Alors que la Droite républicaine de Laurent Wauquiez a obtenu satisfaction sur l'indexation partielle des retraites sur l'inflation dès le 1er janvier (mesure qui relève du budget de la Sécurité sociale), Laurent Saint-Martin a également amorcé un geste à l'égard du MoDem. "Tant que la contribution différentielle sur les hauts revenus (CDHR) permettra de réduire le déficit public jusqu'à un certain terme, qui pourrait par exemple être de 4%, alors cette CDHR devra être préservée", a-t-il indiqué alors que la mesure de pérennisation de cette taxe visant les contribuables les plus aisés avait été proposée par Jean-Paul Matteï (Les Démocrates) et adoptée avec les voix de la gauche. Des discussions sont, par ailleurs, en cours pour parvenir à un compromis sur la refonte des allègements de cotisations patronales. Les députés du parti présidentiel,  emmenés par Gabriel Attal, refusant une augmentation du coût du travail dont ils estiment qu'elle aurait des conséquences néfastes pour l'emploi. 

"J'ai confiance dans l'esprit de responsabilité collective du Parlement pour trouver un budget à notre pays, qui permette de redresser nos comptes publics, mais qui ne matraque pas nos concitoyens et nos entreprises par l'impôt", a réagi Laurent Saint-Martin dans la foulée du rejet du projet de loi de finances modifié à l'Assemblée nationale. En outre, si la première phase des débats budgétaires dans l'hémicycle du Palais-Bourbon est terminée, Véronique Louwagie fait valoir que les échanges se poursuivent avec Matignon et Bercy concernant les amendements qui pourraient être retenus dans le texte présenté au Sénat.

La vice-présidente de la commission des finances de l'Assemblée indique, par ailleurs, qu'elle a d'ores-et-déjà pris contact avec le rapporteur général de la commission des finances du Sénat, Jean-François Husson (Les Républicains). "Sur la diminution des dépenses publiques qui reposent sur l'Etat et ses opérateurs, sur le pouvoir d'achat des Français au regard notamment de mesures liées à la taxe sur l'électricité ou au malus automobile, on fera passer des messages et on devrait trouver oreille attentive", avance Véronique Louwagie.

Si cette CMP est conclusive, et que l'on parvient à construire une voûte législative entre l'Assemblée et le Sénat, ce sera malgré tout une belle réussite. Véronique Louwagie (Droite républicaine)

Au-delà des débats qui vont avoir lieu au Sénat, la députée se montre plutôt confiante quant à l'issue de la commission mixte paritaire (CMP) qui sera convoquée après l'examen du texte au Palais du Luxembourg. Le gouvernement disposera en effet d'un rapport de force favorable au sein de cette instance de conciliation entre les deux Chambres du Parlement. "Si cette CMP est bien conclusive, ce que je crois, et que l'on parvient à construire une voûte législative entre l'Assemblée et le Sénat, ce sera une belle réussite", estime Véronique Louwagie, pour qui le véritable échec viendrait de l'incapacité de cette CMP à aboutir.

En cas d'accord, celui-ci devra être validé par le Sénat et par l'Assemblée. C'est à ce moment-là que le gouvernement, sans véritable majorité au Palais-Bourbon, devra avoir recours à l'article 49.3 de la Constitution. Avec le risque, dans un contexte parlementaire et politique particulièrement incertain, d'être renversé si la motion de censure qui ne manquera pas d'être déposée venait à être votée à l'Assemblée nationale