La question européenne divise particulièrement les deux candidats qualifiés pour le second tour de l'élection présidentielle. Emmanuel Macron veut plus d'intégration et une Europe plus forte, notamment en matière de défense. Marine Le Pen ne plaide plus pour une sortie de l'Union européenne, mais défend un programme largement incompatible avec la législation et le fonctionnement de l'UE.
Le 24 avril prochain, en choisissant entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen lors du second tour de l'élection présidentielle, les Français feront aussi un choix entre deux visions de l'Europe. La première, celle d'Emmanuel Macron, vise à renforcer l'Union européenne et à se doter d'une défense européenne commune. La deuxième, celle de Marine Le Pen, promet de créer une "Alliance européenne des nations qui a vocation à se substituer progressivement à l'Union européenne".
Emmanuel Macron l'a martelé lors de son discours du 12 avril à Strasbourg : "Cette élection est aussi un référendum sur l'Europe." Comme en 2017, le président de la République fait de la défense de l'Union européenne un des marqueurs de sa campagne. Une tendance d'autant plus forte en pleine guerre entre la Russie et l'Ukraine et alors que la France préside le conseil de l'Union européenne jusqu'au 30 juin. "Notre Europe, c'est la paix", a déclaré Emmanuel Macron devant ses soutiens.
"Nous avons besoin d'une Europe plus forte sur le plan de la défense, de la production énergétique, de la production technologique, de son industrie, et qui ne dépende plus des États-Unis ou de la Chine", avait-il aussi expliqué lors d'un déplacement dans le Finistère, le 5 avril. Devant la presse régionale, le Président-candidat a estimé que l'Europe avait permis à la France de "résister" face aux crises de ces dernières années : "S’il n’y avait pas eu d’Europe, il n’y aurait pas eu de vaccin aussi vite et en aussi grand nombre."
Emmanuel Macron juge donc nécessaire de confier de nouvelles missions à l'Europe : "Je pense qu'aujourd'hui on a besoin de passer un cap supplémentaire", a-t-il expliqué, ajoutant être prêt à "revenir devant le peuple français" pour faire adopter d'éventuels nouveaux traités.
A l'inverse, Marine Le Pen estime qu'"une grande majorité de Français ne veut plus de l'Union européenne telle qu'elle existe aujourd'hui" : elle dénonce une union "qui fonctionne de manière absolument antidémocratique", "qui avance par la menace" et qui "met en place des politiques qui vont à l'encontre des intérêts des peuples".
Lors d'une conférence de presse tenue le 18 janvier, la candidate du Rassemblement national a qualifié son projet européen d'"antithèse" de celui d'Emmanuel Macron. "L'Europe millénaire, berceau de notre civilisation, je ne la confonds pas avec l'Union européenne", a expliqué Marine Le Pen, qui refuse la constitution d'un "Etat unitaire, centralisé, à l'échelle européenne". Elle affirme vouloir "garantir la souveraineté de la France" : "Il n'y a pas et il n'y aura jamais de souveraineté européenne car il n'y a pas de peuple européen."
La candidate du Rassemblement national veut notamment baisser de 5 milliards d'euros la contribution française à l'Union européenne. Elle espère aussi créer une "Alliance européenne des nations" qui se "substituerait progressivement" à l'Union européenne. Le but : "sauver l'Europe" en instaurant des "coopérations" entre les pays sur des sujets précis, à l'instar d'Airbus et d'Ariane.
Si elle est élue Présidente, Marine Le Pen proposera aussi une modification par référendum de la Constitution. Le but : garantir la primauté du droit français sur le droit européen et international. Marine Le Pen veut ainsi mettre en œuvre "des dispositions qu'il était jusqu'alors impossible de faire figurer dans notre droit", notamment en matière d'immigration et de "priorité nationale". Officiellement, la candidate du Rassemblement national ne souhaite plus abandonner l'euro et quitter l'Union européenne, mais le programme qu'elle défend reste largement incompatible avec la législation et le fonctionnement de l'UE.
Marine Le Pen promet de grandement limiter "le dogme devenu religieux" de la libre circulation des personnes et des marchandises : "Les frontières redeviendront un lieu de contrôle effectif des entrées et des sorties du territoire national", affirme dans son programme la candidate du Rassemblement national. Pour lutter contre la fraude, "les effectifs de la douane retrouveront leur niveau de 1990, soit 20.000 agents contre 16.689 pour le budget 2022". Ce contrôle accru supposerait cependant une renégociation des accords de Schengen afin, notamment, d'instaurer une procédure de "franchissement simplifié pour les citoyens des États de l'Union européenne".
Emmanuel Macron veut lui aussi réformer l'espace Schengen, mais en respectant sa fonction initiale d'"espace de libre circulation". Devant le Parlement européen, le 19 janvier, le chef de l'Etat s'est félicité du renforcement annoncé de Frontex et a évoqué la possibilité de créer une "force intergouvernementale d'intervention rapide" pour "protéger nos frontières extérieures". Le Président-candidat est également favorable à l'instauration d'une taxe carbone aux frontières de l'Europe, conformément à la proposition de la Commission européenne et dont le principe a été accepté par les Etats membres en mars.
Dans un discours prononcé avant l'invasion de l'Ukraine par la Russie, Emmanuel Macron a souligné la nécessité de construire "une proposition européenne bâtissant un nouvel ordre de sécurité et de stabilité", c'est-à-dire une "Europe de la défense". Cette proposition doit, selon lui, être construite "entre Européens" afin, dans un second temps, de la partager "avec nos alliés dans le cadre de l'OTAN". Dans ce discours, Emmanuel Macron déclarait vouloir proposer ce nouvel ordre de sécurité "à la négociation à la Russie".
Marine Le Pen n'est pas du tout sur cette ligne. "Le concept d'Europe de la défense n'existe que dans l'esprit d'Emmanuel Macron, a déclaré la candidate lors de sa conférence de presse du 18 janvier. La France est la seule nation avec un modèle d'armée complet et une industrie de défense sur l'ensemble du spectre." Selon elle, le projet d'"Europe de la défense" constitue un "risque majeur pour notre indépendance et notre économie". Marine Le Pen veut "reconfigurer radicalement" les alliances de la France et entend "relancer une politique industrielle dans l'armement". Le 13 avril, la candidate a réaffirmé sa volonté de sortir du commandement intégré de l'OTAN. Une manière selon elle de renforcer le rôle "d'arbitre" de la France ainsi que son indépendance.
La candidate du Rassemblement national souhaite toutefois rester au sein de l'Alliance atlantique et aimerait que celle-ci "devienne une force de lutte contre le fondamentalisme islamiste". C'est notamment pour cette raison que Marine Le Pen envisage un "rapprochement stratégique" entre l'OTAN et la Russie, "dès que la guerre russo-ukrainienne sera achevée et aura été réglée par un traité de paix".
Dans son programme, rédigé avant la guerre contre l'Ukraine décidée par Vladimir Poutine, Marine Le Pen propose de "rechercher une alliance avec la Russie sur certains sujets de fonds" comme "la sécurité européenne qui ne peut exister sans elle" ou "la convergence dans le traitement des grands dossiers régionaux impactant la France". Interrogée sur France Inter, le 5 avril, Marine Le Pen a pris cependant pris ses distances avec le Président russe, qui avait soutenu sa candidature en 2017 : "Les gens qui seraient convaincus d'avoir commis des crimes de guerre ne peuvent pas réintégrer le concert des nations." La candidate du Rassemblement national envisage néanmoins de renouer le contact avec la Russie en tant que nation afin d'éviter la "constitution d'une gigantesque puissance sino-russe qui pourrait représenter demain un danger peut-être cent fois plus important pour la liberté et la sécurité de l'Europe".
De son côté, Emmanuel Macron a indiqué que l'Europe continuerait d'imposer des sanctions à la Russie. Celles-ci pourraient concerner le charbon et le pétrole russes. "L'Europe continuera de se tenir aux côtés des combattants de la démocratie que sont les Ukrainiennes et les Ukrainiens", a déclaré à Strasbourg le Président-candidat. "Le projet que je porte est le seul qui permet à court terme de sortir des énergies fossiles et en particulier de la dépendance aux gaz et hydrocarbures venant de l'est", a encore affirmé Emmanuel Macron.
Marine Le Pen se dit, quant à elle, opposée aux sanctions qui "touchent à l'énergie" : "Je sais quelles conséquences cela peut avoir sur notre économie et sur le pouvoir d'achat des Français." La candidate entend d'ailleurs sortir du marché européen de l'électricité, car elle estime qu'avec ce système la France ne "peut pas bénéficier des avantages qu'elle s'est constituée par le choix du nucléaire à l'époque du général de Gaulle et est obligée d'assumer économiquement les choix idéologiques de l'Allemagne". Une vision jugée "absurde" par Emmanuel Macron, selon qui une telle décision entraînerait "quarante jours sans lumière par an" et ferait perdre "plusieurs milliards d'euros d'export de notre électricité", une manne qui permet de "faire baisser la facture des Français". Lors de la présentation de son programme, le 17 mars, le Président a toutefois promis une réforme du mécanisme.
Marine Le Pen évoque par ailleurs la nécessité de "renégocier" le partenariat avec les Etats-Unis afin de mettre fin aux "dépendances trop souvent tolérées". La candidate promet surtout de "largement remanier" la relation avec l'Allemagne en mettant fin aux "coopérations structurantes engagées depuis 2017" dans le domaine de la défense, notamment sur les avions de combat et les chars du futur. "L'Allemagne a des intérêts divergents des nôtres", a-t-elle estimé le 13 avril, lors de sa conférence de presse.
Les deux candidats ont en revanche un point commun : tous les deux remettent en cause la stratégie "Farm to fork". Cette politique, défendue par la Commission européenne, vise à faire baisser l'usage des pesticides et des engrais et pourrait entraîner une baisse de la production. Emmanuel Macron a déjà défendu une "adaptation" de la stratégie : il refuse que l'Europe produise moins. Marine Le Pen promet la même chose : "Je m'opposerai résolument à cette folle stratégie", a expliqué la candidate dans son programme. "L'Europe d'une production agricole respectueuse de la biodiversité et du climat est le seul espace pertinent", a toutefois expliqué Emmanuel Macron à Strasbourg. Marine Le Pen, pour sa part, promet de "compléter" les aides européennes par des "aides nationales destinées à soutenir les filières en difficulté et à redresser notre balance commerciale agricole".
La candidate du Rassemblement national promet aussi de mettre fin au travail détaché "qui est en réalité une délocalisation déguisée" et souhaite lutter contre les "paradis fiscaux" au sein de l'Union européenne, comme le Luxembourg ou les Pays-Bas. Là encore, Emmanuel Macron défend le bilan de son action au sein de l'Union européenne. "Nous avons réussi à mieux encadrer les choses, à permettre d'éviter cette concurrence déloyale et à mieux protéger les salariés de nombreux pays européens qui travaillaient à bas coût", a-t-il rappelé à Strasbourg. Et il souligne que c'est au niveau européen que la question de "l'optimisation fiscale" peut se résoudre efficacement.