Le rapport de la commission d'enquête sur l'agression qui a provoqué la mort d'Yvan Colonna à la maison centrale d'Arles a été rendu public mardi 30 mai. Le président de la commission d'enquête, Jean-Félix Acquaviva (Liot), et le rapporteur, Laurent Marcangeli (Horizons), soulignent les "graves défaillances" qui ont abouti au meurtre du militant indépendantiste corse qui purgeait une peine de prison pour l'assassinat du préfet Erignac.
"Yvan Colonna n’aurait jamais dû mourir en prison de la main d’un de ses codétenus." Telle est la conclusion à laquelle est arrivée la commission d'enquête sur l'assassinat du militant indépendantiste corse qui a rendu public rapport, ce mardi 30 mai, au terme de six mois de travaux demandés par le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoire (Liot).
Le rapport de la commission d'enquête, adopté à l'unanimité des députés qui en sont membres mercredi dernier, analyse méthodiquement les "défaillances" qui ont conduit à l'agression d'Yvan Colonna par Franck Elong Abé, le 2 mars 2022, à la maison centrale d'Arles. L'assassin du préfet Érignac, condamné à une peine de prison à perpétuité, avait succombé à ses blessures après vingt jours dans le coma, provoquant une vague de colère en Corse.
Sans les "défaillances" du système carcéral, notamment dans l'appréciation de la dangerosité de Franck Elong Abé, condamné pour terrorisme, une série de "dysfonctionnements", ainsi que la "rigueur" jugée excessive à l'égard d'Yvan Colonna dont le statut de détenu particulièrement signalé n'a jamais été levé, le rapporteur de la commission d'enquête, Laurent Marcangeli (Horizons), et son président, Jean-Félix Acquaviva (Liot), estiment que le militant indépendantiste ne serait pas mort à la suite de son agression en prison. Une accumulation de failles conduisant le président de la commission d'enquête à évoquer une "affaire d'État" lors de la conférence de presse de présentation du rapport.
La commission d'enquête s'est notamment penchée sur le traitement qui a été réservé à Yvan Colonna au cours de ses 19 années de détention, pointant une gestion "particulièrement stricte" au vu de son "bon comportement" et du faible nombre d'incidents relevés. "Une gestion individualisée de la peine aurait manifestement dû conduire, au fil du temps, à un assouplissement des mesures excessivement contraignantes qui lui ont été appliquées" indique le rapport, les élus estimant que cette situation lui a été réservée en raison de la symbolique que représente l'assassinat d'un préfet, et des conditions de son arrestation après quatre années de cavale.
Le rapport retrace les "multiples changements d’affectation avec des périodes de détention souvent très courtes" d'Yvan Colonna sans rapport avec sa "dangerosité effective". Yvan Colonna a ainsi changé neuf fois d'établissement pénitentiaire au cours de ses dix premières années de détention, ce qui témoignerait d'une "obsession relativement inexplicable à son endroit".
Cette analyse conduit à la principale préconisation du rapport : "l'impérieuse nécessité" de faire évoluer le statut de "détenu particulièrement surveillé" (DPS), auquel était assujetti Yvan Colonna. L'indépendantiste avait demandé, sans succès, la levée de ce classement, qui implique des mesures de surveillance particulières notamment responsables de son éloignement.
Pour Laurent Marcangeli, député de Corse-du-Sud, et Jean-Félix Acquaviva, député de Haute-Corse, le maintien du statut de DPS d'Yvan Colonna "s’est avéré injustifié à la lumière de son parcours carcéral et de l’évolution de sa situation en détention". Les députés pointent, en outre, les "conséquences inacceptables" de l'éloignement pour la vie familiale de l'indépendantiste.
Rappelant qu'à l'heure actuelle, aucun établissement pénitentiaire corse n'est dimensionné pour accueillir des DPS du fait des mesures de surveillance liées à ce statut, les élus plaident pour aménager le centre pénitentiaire de Borgo, afin de permettre le rapprochement familial des prisonniers corses.
En 2022, 235 détenus étaient assujettis à ce statut. Un nombre relativement faible, qui fait dire aux députés que l'administration pénitentiaire doit réserver ce traitement aux "profils de détenus très particuliers et dont la dangerosité est avérée". Soulignant, par ailleurs, la dimension "politique" qui peut exister lors de l'attribution de ce statut et de son maintien au fil du temps, les élus préconisent de mieux le définir et de s'assurer de la transparence de sa mise en œuvre, précisant également nécessaire de rappeler dans la loi que ce statut n'a pas de caractère a priori définitif.
Enfin, le rapport propose de renforcer le contrôle juridictionnel du statut de DPS. Si elle juge délicat de confier la gestion de cette mesure administrative à l'autorité judiciaire, la commission d'enquête estime nécessaire de l'accompagner de garanties procédurales renforcées, tant concernant les motivations du placement sous statut de DPS, qu'en matière de durée, afin de garantir un réexamen régulier.
Autre axe du rapport : la prise en charge des détenus radicalisés, qui nécessiterait également des ajustements. La commission part de la différence de traitement entre Yvan Colonna et son agresseur présumé, Franck Elong Abé, réputé nettement plus dangereux et pour lequel l'administration pénitentiaire a pourtant fait preuve d'une "mansuétude incompréhensible".
Le parcours carcéral du détenu condamné pour association de malfaiteurs terroriste est notamment détaillé dans le rapport, tout comme le choix de ne pas l'orienter en quartier d'évaluation de la radicalisation (QER). Pour les auteurs du rapport, les nombreux incidents qui ont émaillé la détention de Franck Elong Abé, sa radicalisation comme ses troubles psychiques n'auraient jamais dû lui permettre d'intégrer la détention ordinaire, et encore moins se voir confier un poste de nettoyage au sein de l'établissement d'Arles, qui lui conférait une autonomie de déplacement.
Pour les élus, l'appréciation erronée de la dangerosité de Franck Elong Abé illustre "la défaillance plus générale de la gestion de [son] parcours carcéral". De fait, entre 2016 et 2022, neuf demandes d'évaluation ont été relevées, sans qu'elles débouchent sur un résultat concret. Pire, le refus de l'orienter en QER en 2019, justifié par son état psychique, aurait dû aboutir à son hospitalisation, estiment les députés. Or, c'est à ce moment que le détenu a été transféré à la maison centrale d'Arles. Tous ces éléments attestent d'une "faillite manifeste de l’administration pénitentiaire", concluent-ils.
Afin de resserrer les mailles du filet, la commission propose notamment de rendre obligatoire l'évaluation d'un détenu condamné pour terrorisme avant son intégration en détention ordinaire. Au-delà de la seule question de la radicalisation, elle préconise,en outre, d'évaluer davantage le risque de passage à l'acte violent. Par ailleurs, la commission déplore que la prison soit un cache-misère de la déréliction des instances psychiatriques. "Beaucoup de détenus n'ont pas leur place en prison", a relevé le rapporteur.
La situation et le fonctionnement de la maison centrale d'Arles ont joué un rôle indéniable dans les événements qui ont conduit à la mort d'Yvan Colonna, notent pour le regretter les députés. Y sont concentrés une forte majorité de détenus condamnés à de lourdes peines criminelles, souffrant parfois de troubles psychiques. L'établissement est, en outre, touché par un déficit de personnel, un lourd taux d'absentéisme, et un climat social dégradé sous l'autorité de l'ancienne directrice, largement critiquée dans le rapport.
Le jour même de l'agression, une série de dysfonctionnements permet à Franck Elong Abé de commettre l'agression contre son co-détenu, pendant près de dix minutes, sans intervention du personnel. Sans réussir à lever toutes les zones d'ombre, le rapport revient sur la situation des personnels dépassés, sur le matériel de vidéosurveillance inopérant et sur la "légèreté" du circuit de remontée de l'information.
Comme ils l'avaient évoqué lors d'un point d'étape en mars dernier, plusieurs éléments relevés par une surveillante auraient dû alerter sur un éventuel passage à l'acte imminent de Franck Elong Abé, soulignent les élus. Ils déplorent tout particulièrement que le logiciel de suivi de l'ancien djihadiste, Genesis, ne fasse pas état de ces éléments, alors qu'il est censé répertorier les éléments les plus anodins concernant un tel détenu.
Jean-Félix Acquaviva et Laurent Marcangeli comptent désormais sur la justice, qui a mène une enquête judiciaire, pour lever les zones d'ombre identifiées par la commission. Ils envisagent, en outre, d'effectuer un signalement au titre de l'article 40 du code de procédure pénale qui prévoit que "toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs".