Loi immigration : le texte à l'épreuve du Conseil constitutionnel

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Conseil constitutionnel, image d'illustration. LCP
La façade du Conseil constitutionnel (© LCP)
par Maxence Kagni, le Jeudi 21 décembre 2023 à 15:15, mis à jour le Jeudi 21 décembre 2023 à 15:34

Emmanuel Macron a confirmé mercredi 20 décembre la saisine du Conseil constitutionnel sur la loi relative à l'immigration, tandis que la gauche va déposer un recours. Au sein même du gouvernement, Élisabeth Borne et Gérald Darmanin ont estimé que certaines mesures que la droite a voulu intégrer au projet de loi ne sont sans doute pas conformes à la Constitution. 

Emmanuel Macron a confirmé la saisine du Conseil constitutionnel sur la loi "pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration". Invité mercredi 20 décembre de l'émission C à vous sur France 5, le chef de l'Etat a défendu un texte qui "dit 'on peut beaucoup mieux protéger le pays' par des choses qui peuvent choquer des gens"; mais qui sont "efficaces" notamment en matière de "lutte contre l'immigration clandestine". Emmanuel Macron a aussi salué la possibilité de "régulariser des situations injustes". En tant que "garant des institutions", il a cependant décidé de saisir les Sages de la rue Montpensier : "Je pense qu'il y a des dispositions qui ne sont pas conformes à notre Constitution."

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Emmanuel Macron a expliqué que, lors des négociations avec les dirigeants des Républicains, les ministres avait fait preuve "d'honnêteté" en acceptant des mesures auxquelles "tenaient" les parlementaires LR tout en leur précisant que, selon eux, certaines dispositions n'étaient pas constitutionnelles. "Est-ce parce qu’il y avait des articles qui n’étaient pas conformes à notre Constitution qu’il fallait dire 'on ne fait pas d’accord et donc il n’y a pas de texte' ? Ma réponse est non", a-t-il ajouté. 

Des dispositions inconstitutionnelles selon Yaël Braun-Pivet

Dès mardi, lors de l'examen du texte issu de la commission mixte paritaire au Sénat, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a estimé que "des mesures sont manifestement et clairement contraires à la Constitution". "Le travail du Conseil constitutionnel fera son office, mais la politique, ce n'est pas être juriste avant les juristes", a ajouté le ministre.

Il peut y avoir des dispositions sur lesquelles nous avons alerté sur nos doutes. élisabeth Borne

"Il peut y avoir des dispositions sur lesquelles nous avons alerté sur nos doutes", a confirmé Elisabeth Borne, mercredi matin sur France inter. La Première ministre a notamment évoqué la situation d'un Français épousant une personne étrangère : selon le texte voté, cette personne "ne pourra pas rejoindre la France si [elle] ne parle pas français".

Le même jour, la présidente de l'Assemblée nationale n'a pas dit autre chose : "J'avais décidé, hier, de saisir le Conseil constitutionnel", a expliqué Yaël Braun-Pivet (Renaissance), qui en a elle aussi la possibilité, avant de se raviser puisque qu'Emmanuel Macron lui-même a décidé de s'en charger. La présidente de l'Assemblée a notamment évoqué le délai de carence imposé aux étrangers pour bénéficier de certaines prestations sociales.

Des mesures jugées inconstitutionnelles en commission des lois

Lors de l'examen du texte par la commission des lois de l'Assemblée, la majorité présidentielle avait dénoncé à plusieurs reprises certaines dispositions ajoutées par le Sénat, dominé par la droite et le centre. Le président de la commission des lois, Sacha Houlié (Renaissance), avait évoqué les "boursouflures" de la version sénatoriale du projet de loi qui "ne résisteront sans doute pas à l’œil juridique du Conseil constitutionnel". Or, certaines d'entre-elles ont été réintroduites par la commission mixte paritaire (CMP) qui a permis d'aboutir à un accord entre les deux chambres du Parlement. 

Le texte définitivement adopté par le Sénat et par l'Assemblée, mardi 19 décembre, prévoit ainsi un débat annuel sur la politique d'immigration et des quotas d'immigration fixés par le Parlement. Des mesures qui présentent de "sérieux obstacles constitutionnels" selon le rapporteur général du texte Florent Boudié (Renaissance) : "Aucun Parlement ne peut contraindre son futur ordre du jour ; le Parlement n’a pas pour rôle de déterminer les chiffres de l’immigration", avait estimé le député, lors de la séance du 21 novembre.

Autre mesure qui avait été critiquée en commission des lois et qui figure dans le texte issu de la CMP : la déchéance de nationalité pour les personnes nées à l'étranger "condamnées à titre définitif pour un acte qualifié d’homicide volontaire commis sur toute personne dépositaire de l’autorité publique". "Le code de la nationalité n’a rien à voir avec cette partie du projet de loi, l’article est donc un cavalier législatif", avait expliqué Sacha Houlié. Les dispositions relatives à la naturalisation par droit du sol avaient, elles aussi, été jugées sans lien direct avec le texte par l'une des co-rapporteures thématiques, Elodie Jacquier-Laforge (Démocrate).

L'article interdisant "sauf circonstances exceptionnelles" l'accès au dispositif d'hébergement d'urgence pour les étrangers visés par une OQTF, ou par une mesure d'expulsion, a lui aussi été retenu par la commission mixte paritaire, dans une version réécrite. "Établir une telle discrimination présente un risque constitutionnel", avait affirmé en commission Clara Chassaniol (Renaissance). "En France, l'hébergement d'urgence est un droit fondamental et inconditionnel", avait lui aussi prévenu le co-rapporteur Ludovic Mendes (Renaissance).

Les Républicains dénoncent des "pressions politiques"

En réponse aux déclarations de l'exécutif, les parlementaires de droite dénoncent des "pressions" exercées sur le Conseil constitutionnel. "Attention à ce qu'il ne devienne pas une instance politique", a mis en garde le président des Républicains, Eric Ciottijeudi matin sur France inter.

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"Tout semble indiquer qu’Emmanuel Macron a donné pour consigne de tout faire pour que la loi immigration ne soit pas appliquée", a réagi Bruno Retailleau sur X (ex-Twitter). Le président des sénateurs LR dénonce la "saisine immédiate du Conseil constitutionnel", ainsi que les "annonces par la Première ministre et le porte-parole du gouvernement d’un retour sur certaines mesures pourtant votées". Bruno Retailleau évoque aussi un possible "abus d'autorité inacceptable" et "un grave problème démocratique". Les Républicains considèrent cependant qu'une éventuelle censure des Sages montrerait, selon eux, qu'il faut réformer la Constitution, comme ils ne cessent de le réclamer.  

La gauche déposera un recours devant les Sages

Doutant, plus largement encore que le Président et la majorité, de la conformité à la Constitution de la loi votée cette semaine, l'opposition de gauche a annoncé son intention de déposer un recours devant les Sages. La présidente du groupe La France insoumise de l'Assemblée, Mathilde Panot, l'a indiqué dès mardi soir. "Le ministre Darmanin lui-même a d'ores et déjà expliqué que beaucoup des choses qui étaient dans ce texte étaient anticonstitutionnelles", a-t-elle souligné. 

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Mercredi, au micro de LCP, Iñaki Echaniz (Socialistes) a surenchéri, estimant que le texte allait "être censuré en grande partie par le Conseil constitutionnel" : "C'est plus d'une trentaine d'articles qui risque d'être censurée." Le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, a dénoncé sur Public Sénat l'attitude "pas très responsable" de Gérald Darmanin : "C'est inouï de voir un ministre qui dit 'ma loi est super mauvaise, mais ne vous inquiétez pas, votez-la les yeux fermés parce que de toute façon d'autres feront le travail à notre place'." "Le Conseil constitutionnel n'est pas la lessiveuse des consciences", a ajouté le député devant l'Association des journalistes parlementaires. Le recours des députés de gauche devrait être déposé vendredi 22 décembre.