La Première ministre a fait usage de l'article 49.3 de la Constitution, mercredi 18 octobre, sur le volet "recettes" du projet de loi de finances pour 2024. Le gouvernement a décidé de retenir 358 amendements dans la version du texte qui sera considéré comme adopté en première lecture, si aucune des deux motions de censure déposées n'est votée. Revue de détail.
Un budget "largement enrichi par le dialogue parlementaire". C'est ce qu'a assuré le ministre délégué aux Comptes publics, Thomas Cazenave, quelques minutes après l'annonce du 49.3 par Elisabeth Borne dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, avant même que l'examen des articles du texte n'ait été entamé. Sur les 5 236 amendements déposés sur la première partie du projet de loi de finances pour 2024, Bercy en a retenu 358. Lorsque le gouvernement engage sa responsabilité sur un texte, c'est en effet l'exécutif qui décide d'intégrer ou pas à sa copie finale, tel ou tel amendement proposé par les députés.
Parmi les 358 amendements retenus dans la version actuelle de la partie "recettes" du budget de l'Etat pour l'an prochain, près de la moitié émanent du groupe Renaissance. Parmi ceux-ci figure notamment la mesure portée par Mathieu Lefèvre et Louis Margueritte, relative au rachat de leurs propres actions par les entreprises.
Ces opérations de rachat de leurs propres titres par les sociétés s'étant largement développées, permettant notamment aux acteurs concernés de rémunérer leurs actionnaires, l'amendement retenu prévoit que les actions distribuées aux salariés à l'issue d'une opération de rachat bénéficient de dispositifs fiscaux allégés. Il crée également, en cas d'augmentation exceptionnelle du bénéfice de l'entreprise, l'obligation de mener une négociation avec les partenaires sociaux à des fins de redistribution au profit des salariés.
Sur les meublés de tourisme, le gouvernement retient un dispositif réduisant l'abattement fiscal de 71 à 50% pour toutes ces locations dans les zones tendues, également applicable aux zones dites "détendues" en fonction d'un chiffre d’affaires abaissé à un seuil de 50 000 euros par an. Sur ce sujet, le gouvernement avait été poussé à agir par la gauche, mais aussi par sa propre majorité, l'alertant sur une crise du logement en partie nourrie dans un certain nombre de villes par le système de locations de courte durée.
En revanche, Bercy ne retient pas l'amendement porté par le président du groupe Démocrate, Jean-Paul Matteï, qui avait été voté en commission des finances, visant à appliquer un prélèvement forfaire unique (PFU), communément appelé flat tax, sur les revenus issus du foncier, en contrepartie d’un engagement de location du bien immobilier de plus d’un an, avec encadrement du loyer et diagnostic de performance énergétique au minimum de catégorie D.
Sur cette même question du logement, dont il avait longuement été question en commission, le gouvernement retient l'amendement de David Amiel (Renaissance) portant prorogation jusqu'en 2028, plutôt que 2027, du dispositif "éco-PTZ", permettant d'emprunter sans intérêts pour effectuer des travaux de rénovation. Sur ce sujet, suite à une annonce du ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, dans le cadre d'un crédit immobilier, le PTZ sera même augmenté avec un plafond fixé à 100 000 euros et étendu à plus de ménages et à plus de villes.
Sans revenir sur la décision de conditionner l'octroi d'un prêt à taux zéro au classement en zone tendue, qui avait suscité critiques et inquiétudes jusqu'au sein de la majorité, l'exécutif a en outre publié un arrêté au Journal officiel du 3 octobre, modifiant le classement de 209 communes françaises selon le degré de tension de leur marché immobilier locatif. 154 communes supplémentaires sont ainsi passées en "zones tendues", dont un certain nombre situées sur la façade atlantique ou dans les territoires de montagne, ainsi que plusieurs villes dites "moyennes", devenant donc éligibles au PTZ.
Par ailleurs, le gouvernement a retenu la mesure notamment portée par Christine Pirès Beaune (Socialistes) prolongeant de trois années supplémentaires, jusqu'au 31 décembre 2026, le plafond majoré à 1 000€, au lieu de 552€, de réduction d’impôt sur le revenu au titre des dons aux organismes venant en aide aux plus démunis. Ce dispositif dit "Coluche" permet une défiscalisation à hauteur de 75 % des versements effectués à ces associations.
Autre amendement de l'opposition validé, cette fois porté par Les Républicains : celui prévoyant la poursuite au-delà de 2024 du doublement du plafond d’exonération fiscale et sociale de l’indemnité carburant, ou "prime de transport", versée par les employeurs.
Si des amendements des oppositions - Rassemblement national et La France insoumise exceptés -, ont ainsi été intégrés à son projet par le gouvernement, l'ensemble des groupes d'opposition de l'Assemblée dénoncent néanmoins un déni du travail parlementaire mené en commission des finances, durant lequel de nombreux amendements, non retenus ceux-là, avaient été adoptés contre l'avis du rapporteur général du budget, Jean-René Cazeneuve (Renaissance). C'est notamment le cas de l'amendement qui visait à taxer davantage les superdividendes.
Le président de la commission des finances, Eric Coquerel (La France insoumise), a qualifié les amendements retenus par le gouvernement de "mesurettes", déplorant que ne figure, selon lui, "rien qui puisse refléter le débat qui a eu lieu commission". Suite au 49.3 déclenché par la Première ministre mercredi, les deux motions de censure déposées par le Rassemblement national et La France insoumise seront examinées vendredi soir dans l'hémicycle. Si elles échouent, c'est donc cette nouvelle version de la partie "recettes" du projet de loi de finances qui sera considérée comme adoptée. La première partie du budget 2024 sera ensuite examinée au Sénat.