Les 56 propositions des députés pour que la lutte contre le racisme "redevienne une priorité politique"

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Manifestation contre le racisme à proximité de l'Assemblée nationale, le 6 juin 2020. Crédits : KARINE PIERRE / HANS LUCAS / HANS LUCAS VIA AFP
par Ariel Guez, le Mardi 9 mars 2021 à 13:25, mis à jour le Mardi 9 mars 2021 à 18:51

Caroline Abadie (LaREM) a présenté mardi 9 mars le rapport final de la mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme. Il dresse une cinquantaine de propositions pour lutter de façon "universaliste et déterminée" contre le racisme. 

Racisme, antisémitisme, xénophobie : de nombreuses affaires ont éclaté dans tous les champs de la société française ces derniers mois. En juin 2020, des dizaines de milliers de personnes ont défilé dans les rues contre le racisme et les violences policières en France, après l'onde de choc provoquée par la mort de George Floyd aux États-Unis. Fin novembre, l'affaire Michel Zecler a suscité une très forte indignation dans l'hexagone. Mais que faire face à cette situation ? "La question du racisme et de l’antisémitisme est centrale, non seulement pour eux, mais pour la République dans son entier. Laisser perpétrer des infractions racistes et discriminatoires serait une faute", explique Caroline Abadie (La République en marche), rapporteure de la mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme, dont le rapport a été rendu public ce mardi. 

"Renouveler le discours de la lutte contre le racisme dans toutes ses dimensions doit redevenir une cause nationale", affirme Robin Reda (Les Républicains), qui a présidé la mission d'information. Pour ce faire, le rapport que les élus du Palais Bourbon ont adopté compte 56 recommandations, tant au niveau réglementaire que législatif. Il faut "redonner à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations sa portée de politique générale et en faire une priorité politique de premier plan", plaident les députés, avec une vigilance particulière sur le racisme anti-Roms, de loin le plus banalisé dans la société française. 

Passer le budget de la Dilcrah à dix millions d'euros, améliorer la réponse pénale

Les parlementaires proposent d'abord de renforcer le rôle de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah) en relevant sa dotation annuelle à dix millions d'euros, contre un peu moins de sept millions aujourd'hui. Les moyens de Pharos (la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de regroupement et d’orientation des signalements) doivent également être accrus, selon les députés. Et le dispositif permettant de déposer une plainte en ligne étendu aux victimes de racisme, d’antisémitisme et de discrimination.

Dans la police, une meilleure formation et la présence d’un représentant du Défenseur des droits au sein de l'IGPN

Que ce soit dans la prise en charge des victimes ou le traitement des plaintes, plusieurs raisons expliquent que "la réponse pénale doit être améliorée", écrivent les députés. Toutefois, assurent les élus, il "n'existe pas de 'racisme policier institutionnel'." "Les témoignages des policiers et gendarmes entendus par la mission d’information ainsi que les chiffres communiqués par l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) et l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) conduisent à nuancer l’idée que les comportements racistes seraient répandus au sein de ces institutions", souligne même le rapport.

Il n'existe pas de "racisme policier institutionnel."

Reste que le nombre de signalements de comportements racistes de certains membres des forces de l'ordre a augmenté ces dernières années dans la presse, sur les réseaux sociaux et auprès de l'IGPN. Il faut donc, écrivent les députés, "encourager la formation par les pairs et les initiatives internes pour lutter contre les préjugés racistes, et renforcer la formation initiale et continue" des policiers et gendarmes. 

Dans le même temps, les parlementaires plaident pour une augmentation des moyens humains "dont disposent les 'référents égalité diversité' pour se consacrer à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations." Les élus du Palais bourbon recommandent également de "renforcer le rôle de l'IGPN et de l’IGGN en matière de prévention et de maîtrise des risques" et de prévoir au sein de leurs équipes "la présence d’un magistrat et d’un représentant du Défenseur des droits."

"Mener une large concertation en vue d’une réforme du cadre légal applicable aux contrôles d’identité"

Quant aux contrôles d'identité, dont les jeunes d'origine africaine ou maghrébine sont 20 fois plus susceptibles de faire l'objet, Caroline Abadie et ses collègues estiment que le cadre juridique, "excessivement souple et pourtant inefficace, devrait être réformé." Jusqu'à mettre en place des récépissés de contrôle d'identité, comme le proposaient notamment Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon lors de la campagne présidentielle en 2017, et plus récemment la Défenseure des droits, Claire Hédon ? Ce n'est pas que propose le rapport. 

"Il conviendrait  de renforcer l’obligation pour les équipages procédant aux contrôles de 'rendre compte' à la hiérarchie, par exemple, en imposant la saisie systématique des informations relatives aux contrôles dans l’application utilisée pour noter les actes de police effectués", écrivent plutôt les députés. En revanche, ils recommandent de "mener une large concertation en vue d’une réforme du cadre légal applicable aux contrôles d’identité, afin d’améliorer leur efficacité et de réduire les risques de contrôles discrétionnaires."

Dans les entreprises, "un autodiagnostic relatif au racisme" et une concertation entre l'État et les partenaires sociaux

Que ce soit lors du recrutement des salariés ou au quotidien, les discriminations restent présentes dans le monde du travail et nécessitent "un effort particulièrement important à faire dans les entreprises", estime Caroline Abadie. L'élue propose d'imposer, aux grandes entreprises et administrations, "un autodiagnostic réalisé deux fois au cours des cinq prochaines années, relatif au racisme, à l’antisémitisme et aux discriminations raciales." Dans le même temps, la députée LaREM propose d'étendre les obligations de formation à la non-discrimination dans les entreprises de plus de 300 salariés aux entreprises de plus de 50 salariés, ciblant précisément les cadres participant au processus de recrutement et de suivi de la carrière. 

Prônant "une approche de partenariat et non de défiance", Caroline Abadie recommande de "mettre en place une concertation entre l’État et les branches professionnelles sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations en fonction de l’origine".

Dans les lycées, une modification des programmes et un renforcement du nombre d'heures d'histoire-géographie

"La remobilisation contre toutes les formes de racisme conduit enfin à repenser nos structures éducatives, pour que dès le plus jeune âge se forge une société française apaisée", explique Robin Reda. Ainsi, les députés proposent notamment de faire évoluer les programmes d’histoire du lycée, "en y ajoutant un thème qui permette de traiter de la question du racisme et de l’antisémitisme de manière diachronique." Les parlementaires souhaitent également "renforcer le nombre des heures consacrées à l’histoire-géographie ainsi qu’à l’enseignement moral et civique dans l’enseignement primaire et secondaire" et de "promouvoir une mise à jour des manuels scolaires aux programmes adaptés aux histoires locales."

Caroline Abadie et ses collègues proposent aussi d'entreprendre "une ambitieuse politique de révision de la carte scolaire, qui associe les collectivités territoriales, le ministère de l’Education nationale et les parents d’élèves."

Du côté de l'enseignement supérieur, les députés plaident pour une augmentation du nombre de postes "de professeurs et de maîtres de conférences dédiés aux sujets des génocides, de l’esclavage et de la colonisation." Enfin, il est recommandé de "développer une offre de formation spécifique destinée aux adjoints aux maires en charge des questions culturelles, des affaires scolaires et de la jeunesse afin de les sensibiliser à leur rôle essentiel en matière d’histoire et de lutte contre le racisme."

Ne pas déboulonner des statues, en ériger de nouvelles

Toutefois, "la lutte contre le racisme et l’antisémitisme ne doit pas générer une concurrence des mémoires et une fragmentation victimaire de la société française", alertent les députés, quelques semaines après le vote en première lecture du projet de loi renforçant les principes de la République. La réponse doit être "universaliste et detérminée", insistent-ils : 

La politique de lutte contre le racisme et l’antisémitisme doit demeurer fondée sur les principes universels de la République

"La mémoire collective n’a pas à être effacée ou refaçonnée a posteriori par des déboulonnages, elle doit au contraire être durablement enrichie et réorientée par de nouvelles statues et de nouvelles perspectives fondées sur la science actuelle", justifie la rapporteure Caroline Abadie.

Ainsi, les députés préconisent de "traduire l’évolution des politiques mémorielles en érigeant des statues ou stèles ou en choisissant des noms de rues et de bâtiments qui prennent en compte la diversité et commémorent la résistance à l’esclavage ou à la colonisation." Une recommandation identique aux vœux d'Emmanuel Macron exprimés en novembre 2020 et dont le gouvernement a reçu une liste de 315 personnalités mi-février. Les parlementaires recommandent par ailleurs de "porter une attention accrue à l’évolution de la présentation des collections dans les musées afin de renforcer la place de l’histoire de l’esclavage et de la colonisation" et de "créer un musée d’histoire de la colonisation." "Aucun musée de ce type n'existe à ce jour", relève Caroline Abadie.