Législatives 2024 : les programmes économiques des blocs en lice passés au crible par trois experts

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Les programmes à la loupe des économistes, illustration
Les programmes à la loupe des économistes, illustration.
par Soizic BONVARLET, le Jeudi 27 juin 2024 à 13:20, mis à jour le Jeudi 27 juin 2024 à 17:22

Alors que les trois principaux blocs en lice pour les élections législatives rivalisent de mesures pour convaincre, notamment sur le pouvoir d'achat, les retraites, ou encore la fiscalité, LCP a consulté trois spécialistes de l'économie et des finances - François Ecalle, Michaël Zemmour et Nicolas Bouzou - afin de nous livrer leurs visions respectives des programmes d'Ensemble pour la République, du Nouveau Front populaire et du Rassemblement national.

Trois blocs en concurrence pour les législatives, trois programmes pour convaincre. Et trois économistes d'obédiences différentes qui, pour LCP, ont accepté de commenter les orientations économiques avancées par Ensemble pour la République, qui regroupe les partis de la coalition présidentielle, le Rassemblement national et le Nouveau Front populaire.

Pour passer au crible les programmes économiques des principales forces politiques qui briguent les suffrages des Français :  

  • François Ecalle, ancien haut fonctionnaire passé par Bercy et la Cour des comptes. Fondateur de Fipeco, il a aussi bien été consulté au cours des derniers mois par le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno le Maire, qu'auditionné par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur la croissance de la dette française depuis 2017.
  • Michaël Zemmour, enseignant-chercheur à l'université Lyon 2 Lumière. Spécialiste de la protection sociale, il soutient publiquement le Nouveau Front populaire.
  • Nicolas Bouzou, enseignant au sein de l'école de droit et de management de l'Université Paris II-Assas et directeur du cabinet d’études Asterès. Essayiste spécialisé en économie, il défend un point de vue libéral sur l'économie. 

Ensemble pour la République 

Si François Ecalle qualifie de "libéralela politique économique du gouvernement prolongée par le programme de la coalition présidentielle, il note que la confiance placée dans l'économie de marché par l'exécutif est régulée par "des interventions de l’État justifiées". Parmi les grandes orientations à l’œuvre depuis 2017, il souligne la volonté d'augmenter les capacités de production, qui repose notamment sur une politique de l'offre, traduite ces dernières années par des baisses d'impôts, la réforme des retraites ou encore les réformes de l'assurance chômage.

Sur le plan des finances publiques, le programme de la coalition présidentielle est certes plus sérieux que ceux des deux autres. Cela ne signifie pas qu'il soit suffisamment sérieux dans l'absolu. François Ecalle

Michaël Zemmour critique, pour sa part, une trajectoire de baisse des recettes et des dépenses publiques, à quelques exceptions près, qu'il apparente à "une forme d'austérité". Estimant que le projet de la majorité présidentielle sortante s'avèrerait moins coûteux celui du Nouveau Front populaire et celui du Rassemblement national, François Ecalle remarque qu'"on n’entend plus parler d’économies". Sur le plan des finances publiques, le conseiller maître honoraire à la Cour des comptes juge le programme de la coalition emmenée par le Premier ministre, Gabriel Attal, "plus sérieux" que ceux de ses concurrents - qu'il apparente à "une surenchère de promesses démagogiques" -, sans considérer pour autant que ce programme soit "sérieux dans l'absolu". 

De son côté, Nicolas Bouzou met en avant "de vrais résultats sur l'emploi et la croissance" grâce à la politique menée depuis 2017, déplorant cependant une action insuffisante en matière de finances publiques. Il évoque en cette période de campagne "un programme minimaliste qui joue surtout la contre-programmation par rapport aux deux monstres incarnés par le RN et le NFP", et y voit "la droite ligne de ce qui été fait depuis 2017".

"On nous promet un peu de rigueur, avec une baisse de 20 milliards des dépenses publiques, mais on ne sait jamais vraiment trop comment", juge aussi le directeur d'Asterès. Et de pointer en particulier la mesure consistant à exonérer les primo-accédants de frais de notaire pour les biens immobiliers allant jusqu'à 250 000 euros, qui priverait les départements d'une ressource importante. Nicolas Bouzou évoque "un vrai sujet budgétaire", malgré "un programme de gouvernement globalement sérieux, d'inspiration sociale-libérale".

Rassemblement national 

Les orientations économiques du Rassemblement national s'avèrent, selon François Ecalle, "beaucoup plus difficiles à appréhender" que celles défendues par les deux autres blocs. "Une chose est sûre, c'est qu'elle s'inscrivent dans un programme anti-environnemental", considère-t-il cependant, au regard de la mesure phare consistant en une baisse de 20 à 5,5% de la TVA sur l’énergie, et de la confirmation par Jordan Bardella de décréter "un moratoire sur toute nouvelle construction de chantier éolien", sans évoquer à ce stade le photovoltaïque pour lequel le RN nourrissait la même intention en 2022 . "Ils disent qu'ils veulent compenser avec plus de nucléaire, mais il faudra au moins dix ans pour que cela porte ses fruits, en attendant, on va se rendre à nouveau dépendants du pétrole et des énergies fossiles", alerte l'économiste.

Pour le reste, François Ecalle évoque "un mélange de relance keynésienne et de dimensions qui relèvent de la politique de l’offre". La formation de Marine Le Pen a notamment annoncé la poursuite de la baisse des impôts de production, avec la suppression totale de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), qui participe au financement de l'assurance vieillesse. Une perte de recettes pour l’État - en plus de celle qui serait générée par la baisse de la TVA sur l'énergie -, en dépit d'un programme non dénué de dépenses, notamment en matière de retraites. Globalement, le président de Fipeco qualifie le programme économique du Rassemblement national d'"inclassable, parce qu'incohérent".

Les dernières orientations formulées par le Rassemblement national s'avèrent plutôt néo-libérales, pour rassurer les milieux financiers, la dimension xénophobe en plus. Michael Zemmour

Constat partagé par Michaël Zemmour pour lequel aucune source de recettes crédible ne fait contrepoint à l'abrogation annoncée de la dernière réforme des retraites. Jordan Bardella s’est engagé à ce que dès l’automne, ceux qui ont commencé à travailler avant 20 ans et sont en mesure de justifier de 40 années de cotisations, puissent partir à la retraite dès 60 ans. Pour les autres, "une progressivité" sera mise en place avec "un âge légal [de départ] à 62 ans" et "un nombre d'annuités allant jusqu'à 42 années de cotisation" pour une retraite à taux plein. Le Rassemblement national a indiqué que la suppression de l'aide médicale d'Etat (AME), remplacée par la seule prise en charge des "urgences vitales", serait une source de financement de sa réforme des retraites.

"Je ne pense pas que les ordres de grandeur soient les mêmes", remarque Nicolas Bouzou, qui s'étonne d'une forme de mélange des genres et "de tuyauteries qui n'ont rien à voir les unes avec les autres". "La question de la réforme des retraites, c’est une question financière, mais aussi la question de qui travaille en France", poursuit-il. "Le recul de l'âge de départ fait mécaniquement monter l’emploi des seniors, ce qui conduit à ce que plus de gens travaillent, et à ce que plus de ressources soient dégagées".

Des ressources qui pourraient, par ailleurs, être impactées par les baisses d'impôts prônées par le Rassemblement national, Michaël Zemmour pointant une stratégie "périlleuse", avec des conséquences potentielles non négligeables sur les services publics. Nicolas Bouzou qualifie, quant à lui, d'"absurde" la mesure consistant à exonérer d'impôt sur le revenu les actifs de moins de 30 ans, évoquant "une rupture d'égalité devant l'impôt, et l'ouverture d'une boîte de Pandore".

Alors que Jordan Bardella a indiqué lors de la présentation de son programme qu’il souhaitait "ramener le pays à la raison budgétaire", les principales coupes ayant trait à l’immigration et à la baisse des dépenses sociales, Michaël Zemmour qualifie les orientations récentes du RN de "plutôt néo-libérales pour rassurer les milieux financiers, la dimension xénophobe en plus".

Nouveau Front populaire

Pour François Ecalle, le programme du Nouveau Front populaire "va beaucoup plus loin que le keynésianisme", dans "une stratégie de rupture avec l’économie de marché".  Il évoque notamment la réforme de l’impôt sur l’héritage, le NFP souhaitant le rendre plus progressif, en ciblant les plus hauts patrimoines et en instaurant un héritage maximum. "Les grandes fortunes françaises consistant essentiellement en actions, rien qu’avec cette mesure, on aboutirait à une nationalisation de dizaines d’entreprises familiales françaises", alerte le président de Fipeco. Pour lui, les mesures de l'alliance de gauche vont plus loin que le "programme commun" de 1981, "qui s'était contenté de nationaliser quelques banques et grandes entreprises", le jugeant "beaucoup plus raisonnable".

Le message envoyé à la société est de ne pas s'élever au-dessus des classes moyennes. 4 000 euros sera le maximum de ce que vous pourrez, et devrez gagner. Surtout ne réussissez pas. Nicolas Bouzou

Du côté des recettes escomptées par le NFP, si François Ecalle admet que la réforme de l'impôt sur le revenu et l'instauration d'une CSG progressive seront en mesure d'en générer, il estime cependant difficile d'en chiffrer le montant total. Tout en estimant que la réforme du barème avec l'instauration de 14 tranches d'impôt risque "de faire partir beaucoup de gens".

Nicolas Bouzou évoque également "un transfert de capital, de tout ce qui est le plus innovant en France". "Il n'y aura plus d’incitation à produire", estime aussi l'économiste. En imposant davantage les actifs qui perçoivent plus de 4 000 euros nets pas mois, il juge que "le message envoyé est de ne pas s’élever au-dessus des classes moyennes. 4 000 euros sera le maximum de ce que vous pourrez et devrez gagner. Pour moi c’est un message de désespérance sociale. Surtout ne réussissez pas".

Contrairement à François Ecalle, Michaël Zemmour définit le programme du Nouveau Front populaire comme fidèle à la tradition keynesienne, panachant "des mesures sociales et d'autres pour l'investissement et la relance de l’activité". Il évoque l'ambition de "préparer la production de demain, dans une forme de volontarisme économique" qui s’apparente selon lui à une concession à la politique de l’offre.

L'économiste n'hésite aussi pas à se prononcer sur un pilotage des finances publiques du NFP qui serait "plus sensé" que celui du gouvernement, dans une conjoncture de "bas de cycle économique", se caractérisant notamment par une production en dessous de son niveau potentiel, durant laquelle "baisser les dépenses s'avère plus dommageable que les augmenter". Selon lui, le programme de la gauche aurait "des effet de relance, mais aussi d’offre", en ce qu'il vise à stimuler le pouvoir d'achat (SMIC à 1 600€ net, indexation des salaires sur l’inflation, hausse de 10% du point d’indice des fonctionnaires).

Sur le plan budgétaire, "le procès sur la ruine ne me semble pas fondé", juge aussi Michaël Zemmour. "Le gouvernement veut maîtriser puis fermer le déficit, le Nouveau Front populaire veut d’une certaine manière faire la même chose, mais à une échéance différente et dans une stratégie alternative", estime l'enseignant-chercheur, qui met en évidence "des dépenses publiques très mobilisées les premières années, puis de moins en moins". En cas de victoire, le NFP annonce 100 milliards d'euros de dépenses nouvelles d'ici à 2025, pour une enveloppe globale de 150 milliards d'euros d'ici à 2027. Un chiffrage qui ne tient cependant pas compte de "l'objectif commun du droit à la retraite à 60 ans", figurant dans le programme de l'alliance de gauche, mais dont les contours font encore débat entre les partis qui la composent.