La proposition de loi du Rassemblement national, qui entendait rétablir un âge légal de départ à la retraite à 62 ans, a été vidée de sa substance par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale. Le texte est inscrit au programme de la journée d'initiative parlementaire du RN jeudi 31 octobre. Mais le vote qui a eu lieu en commission risque d'empêcher le groupe de Marine Le Pen de défendre véritablement sa proposition d'abrogation.
La commission des affaires sociales a repoussé l'abrogation de la réforme des retraites, proposée par le Rassemblement national. Les députés du groupe présidé par Marine Le Pen présentaient, ce mercredi 23 octobre, leur proposition de loi "visant à restaurer un système de retraite plus juste en annulant les dernières réformes portant sur l’âge de départ et le nombre d’annuités".
Le texte a été adopté, mais sans ses deux mesures phares : les députés n'ont adopté ni l'article 1er du texte, qui fixe à 62 ans l'âge légal de départ à la retraite, ni l'article 2 du texte, qui fixe à 42 annuités la durée de cotisation requise pour une retraite à taux plein. Le texte finalement retenu par les députés ne contient plus que l'article 3, qui était censé garantir l'équilibre financier du dispositif, et des amendements demandant au gouvernement de remettre une série de rapports.
Un résultat qui pourrait empêcher le Rassemblement national de défendre véritablement l'abrogation de la réforme des retraites, lors de sa journée d'initiative parlementaire du 31 octobre dans l'hémicycle. Le fait que le texte ait été vidé de sa substance en commission va obliger les députés RN à déposer des amendements de rétablissement qui risquent d'être déclarés irrecevables financièrement.
Pour tenter de mettre toutes les chances de son côté, le député Thomas Ménagé (Rassemblement national) avait affirmé en ouverture des débats que sa proposition de loi n'était "pas un texte partisan" mais bien "un texte de concorde dans l'intérêt supérieur des Français" : "Si cette proposition de loi est votée, ce ne sera absolument pas la victoire d'un quelconque groupe politique, mais bien la victoire des Français."
Une façon d'inviter les députés du Nouveau Front populaire à voter en faveur du texte : "Soyons cohérent devant nos électeurs", a déclaré Thomas Ménagé. "Sur la base des programmes que nous avons présenté lors des élections législatives de juin et juillet derniers, nous savons qu'une majorité absolue existe en faveur de ce texte dans notre hémicycle", a encore déclaré le député du Loiret.
Cette main tendue a aussitôt été repoussée par Gabrielle Cathala (La France insoumise) et Sandrine Runel (Socialistes), qualifiant respectivement la proposition du RN "d'arnaque" ou encore d'"escroquerie". Les deux députées ont estimé que le Rassemblement national, s'il avait vraiment voulu abroger la réforme des retraites, aurait choisi de voter la censure du gouvernement Barnier et aurait voté en faveur des amendements du NFP qui propose cette abrogation dans le cadre de l'examen du budget de la Sécurité sociale.
Lundi, lors de l'examen en commission du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025, les députés de l'alliance de gauche ont en effet présenté des amendements visant à "abroger la réforme des retraites" et à "convoquer une conférence nationale de financement". Les députés du RN ont refusé de voter ces amendements, arguant que le meilleur moyen d'abroger effectivement la réforme était... de voter leur proposition de loi.
A l'instar de Jérôme Guedj (Socialistes), le NFP considère au contraire que le RN n'a absolument aucune chance de voir son texte être définitivement adopté, puisqu'il n'a pas de groupe au Sénat et ne pourra donc pas l'inscrire à l'ordre du jour du Palais du Luxembourg.
Ce mercredi, Benjamin Lucas-Lundy (Ecologiste et social) a qualifié Marine Le Pen de "Tartuffe sur les questions sociales", tandis que le communiste Yannick Monnet (Gauche démocrate et républicaine) a jugé que les membres du parti de Jordan Bardella étaient des "fossoyeurs de la question sociale". Mais ces critiques virulentes n'ont pas réussi à masquer des divergences d'approche au sein du Nouveau Front populaire, qui est en outre embarrassé depuis le début par ce texte présenté par le Rassemblement national.
Lors du vote sur l'article 1er, qui prévoyait de fixer à 62 ans (contre 64 aujourd'hui) l'âge légal de départ à la retraite, 19 députés du Nouveau Front populaire se sont abstenus, les insoumis martelant qu'ils "refus[aient] de participer à cette arnaque". Jérôme Guedj (Socialistes), Sandrine Rousseau (Ecologiste et social) et Arnaud Simion (Socialistes) ont choisi de voter contre, tandis que Yannick Monnet (Gauche démocrate et républicaine) a voté pour.
"Pour ma part, je n'aurai pas de pudeur d'initié, je considère que c'est l'intérêt supérieur [du pays qui est en jeu] et en plus j'ai toujours apporté quelques vertus à voler les voleurs", avait prévenu Yannick Monnet. L'élu communiste tient ainsi la même position que le président du groupe GDR André Chassaigne, qui a toutefois reconnu mardi, lors d'une conférence de presse, que son groupe était "partagé" sur la question. "C'est du 50-50", a déclaré le député du Puy-de-Dôme, reconnaissant que "certains ne souhaitent pas faire sauter la digue" en votant "pour la première fois" un texte du RN.
Reste maintenant à savoir si le débat aura véritablement lieu lors de la journée d'initiative parlementaire du groupe de Marine Le Pen qui aura lieu le 31 octobre dans l'hémicycle. La proposition de loi ayant été vidée de sa substance, les élus du Rassemblement national devront déposer des amendements visant à rétablir l'article 1er, sur l'âge légal de départ à la retraite, et l'article 2, sur le nombre d'annuités nécessaires pour obtenir une retraite à taux plein.
Sauf que, ces amendements pourraient être déclarés irrecevables au titre de l'article 40 de la Constitution, qui interdit aux députés de créer une "charge supplémentaire" pour les finances publiques. Dans le même cas de figure, c'est la décision qui avait été prise par la présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, en juin 2023, alors que le groupe Libertés, indépendants, Outre-mer et territoires, voulait abroger la réforme des retraites.
A l'époque, les députés LIOT avaient maintenu leur texte à l'ordre du jour pour provoquer un débat, tout en sachant qu'ils ne pourraient défendre le rétablissement de son contenu, avant de le retirer après deux heures de séance. A leur tour, si l'irrecevabilité financière est déclarée, les députés RN pourront donc faire le choix d'utiliser une partie de leur ordre du jour du 31 octobre comme tribune politique sur la question des retraites, ou retirer cette proposition de loi, afin d'avoir plus de temps pour discuter de leurs autres textes (peines planchers, expulsions d'étrangers condamnés, etc.)
Quoi qu'il en soit, le débat sur la réforme des retraites ne sera pas clos pour autant. Les députés du Nouveau Front populaire espèrent revenir à la charge avec leur propre proposition de loi, qui doit être examinée dans le cadre de la journée d'initiative parlementaire du groupe La France insoumise, le 28 novembre prochain.