Influenceurs : l'Assemblée nationale adopte une proposition de loi pour réguler le secteur

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par Léonard DERMARKARIAN, le Jeudi 30 mars 2023 à 17:13, mis à jour le Vendredi 31 mars 2023 à 11:20

L'Assemblée nationale a adopté jeudi 30 mars, en première lecture, une proposition de loi transpartisane, soutenue par le gouvernement, visant à "encadrer l'influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux". 

Une grande première. En adoptant en première lecture et à l'unanimité la proposition de loi transpartisane portée par les députés Arthur Delaporte (Socialistes) et Stéphane Vojetta (apparenté Renaissance), l'Assemblée nationale a ouvert la voie à une première régulation du "marketing d'influence" en France. Le texte, sur lequel le gouvernement a engagé la procédure accélérée, doit désormais être examiné par le Sénat.

Fruit de différentes initiatives parlementaires, notamment d'une proposition de loi défendue durant la journée d'initiative parlementaire des députés socialistes en février dernier, la proposition de loi vise à "encadrer l'influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux" - un secteur qui s'est considérablement développé ces dernières années, entraînant parfois pratiques controversées (voir ici ou ) et procédures judiciaires.

Amendée par les députés, coconstruite avec le gouvernement et les acteurs du secteur, la proposition de loi définit juridiquement l'activité d'"influence commerciale par voie électronique" et l'activité "d'agent d'influenceur". Le texte comporte également des dispositions relatives à l'interdiction de la promotion de certains types de produits ou services (chirurgie esthétique, jeux d'argent et de hasard...), des mesures de sensibilisation en milieu scolaire contre les dérives du marketing d'influence et des sanctions financières et pénales en cas de manquement (six mois d'emprisonnement, 30 000 euros d'amende).

"Mettre fin à la loi de la jungle"

A l'ouverture des débats, les corapporteurs ont successivement défendu une proposition de loi nécessaire, notamment pour "mettre fin à la loi de la jungle", selon le député socialiste Arthur Delaporte. Cette proposition de loi, a-t-il ajouté, "soutenue par un grand nombre d'influenceurs", afin de lutter contre les dérives d'une "minorité d'influenceurs peu scrupuleux". Un constat partagé par le corapporteur Stéphane Vojetta, qui a défendu un texte "au nom [des] victimes", afin de "faire en sorte que l'influence commerciale ne soit plus un moyen de contourner la loi."

L’autorégulation a fait les preuves de ses incapacités. Arthur Delaporte, député (socialistes) corapporteur de la proposition de loi

Si l'examen du texte s'est fait dans une ambiance très éloignée des débats sur la réforme des retraites, la discussion générale, précédant celle des articles et des amendements, a été l'occasion pour certains groupes politiques d'émettre quelques critiques. 

Pour le Rassemblement national, Hervé de Lépinau a dénoncé des "mesures lacunaires", critiquant notamment la baisse des effectifs en quinze ans de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) - un élément déjà mis en avant par le président du groupe "Gauche démocrate et républicaine", André Chassaigne, en commission, ainsi que par le député écologiste Aurélien Taché.

Par ailleurs, Yannick Monnet (Gauche démocrate et républicaine) a critiqué la majorité présidentielle, qui a selon lui "tenu à laisser son empreinte, en transformant en droit mou un cadre à l'origine plus contraignant". Le député communiste a également appelé l’État à "ne pas se défausser" de ses responsabilités.

Publicité et influence commerciale : maintenir un "principe de cohérence"

Tout en soutenant un "texte qui vise juste, car il se concentre sur l'essentiel", Guillaume Kasbarian (Renaissance) a appelé dans son propos liminaire à maintenir un "principe de cohérence". Le président de la commission des affaires économiques a appelé à ne pas mettre en place une législation pour le marketing d'influence, principalement présent sur les réseaux sociaux, différente de celle existant pour la publicité sur d'autres types de médias (radio, presse, télévision).

Cela n'a pas empêché les débats de revenir très fréquemment, lors de l'examen d'amendements, sur la nécessité de renouveler la lutte contre différents enjeux de santé publique : obésité, diabète, addiction aux jeux d'argent et de hasard, consommation excessive d'alcool et malbouffe ont ainsi concentré les expressions de nombreux députés de tous bords, inquiets face aux contenus promotionnels pouvant être diffusés à travers des contenus d'influenceurs.

S'agissant par exemple de la lutte contre la consommation d'alcool, objet de plusieurs amendements défendus, le co-rapporteur Stéphane Vojetta a refusé des dispositions spécifiques pour l'influence commerciale en défendant le fait que la loi Evin de 1992 s'appliquait pleinement aux influenceurs et créateurs de contenus - une position soutenue également par les députés Les Républicains et Rassemblement national. Après des débats âpres et malgré les réticences des co-rapporteurs et du gouvernement, l'Assemblée a adopté un amendement du député socialiste Dominique Potier visant à une interdiction de "la promotion de boissons avec ajouts de sucres, de sel ou d’édulcorants de synthèse, ainsi que de produits alimentaires manufacturés".

Au-delà des questions de régulation analogues à la publicité, l'examen de cette proposition de loi visant à réguler le secteur de l'influence commerciale a également donné lieu à des débats en prise avec l'actualité : alors que les conditions d'utilisation de certains réseaux sociaux peuvent évoluer en cas de changement d'actionnariat (notamment Twitter), le député du groupe "La France insoumise" Antoine Léaument a souhaité, en vain, défendre des "règles claires pour les certifications" de comptes sur les réseaux sociaux.

"Bulle de paix"

Alors que la situation politique et sociale autour de la réforme des retraites reste particulièrement conflictuelle, l'examen de cette proposition de loi transpartisane s'est effectuée avec une volonté de parvenir à un consensus, conformément au souhait des co-rapporteurs, désireux d'instaurer depuis les débats en commission une "bulle de paix". Ségolène Amiot (LFI) comme Violette Spillebout (Renaissance) ont, par exemple, retiré plusieurs amendements après discussion pour favoriser la quête d'un compromis.

Le travail transpartisan, salué par tous les acteurs, des députés de l'opposition à ceux de la majorité en passant par le gouvernement, ont favorisé la tenue de débats apaisés, ainsi que l'adoption de 51 amendements enrichissant le texte préalablement adopté en commission, notamment sur la protection des mineurs, la propriété intellectuelle, la connaissance et l'information des règles juridiques et légales ou la mise en valeur des promotions dans les contenus.

C'est un Texte important non seulement pour nos compatriotes, mais aussi pour les influenceurs eux-mêmes. Franck Riester, ministre des relations avec le parlement

Après son adoption à l'unanimité par 49 voix pour et 0 contre en première lecture à l'Assemblée nationale, le texte doit désormais être examiné par le Sénat. L'enclenchement de la procédure législative accélérée qui réduit le nombre de lectures par les deux Chambres parlementaires, devrait rendre possible une adoption définitive du texte dans les prochains mois pour une entrée en vigueur avant la fin de l'année.