Auditionnée à l'Assemblée nationale, ce jeudi 7 mars, la présidente de France Télévisions a soutenu le projet de holding de l'audiovisuel public, récemment relancé par la ministre de la Culture, Rachida Dati. "On ne vas pas assez vite sur certains sujets", a déclaré Delphine Ernotte Cunci, estimant qu'il s'agit de permettre aux médias publics "d'avancer" dans un secteur audiovisuel en forte mutation.
Verra-t-on bientôt l'apparition d'une "BBC à la française" ? Le mois dernier, la ministre de la Culture, Rachida Dati, a clairement exprimé sa volonté de relancer le projet de création d'une holding regroupant les quatre groupes de médias de l'audiovisuel public - France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA. Une idée notamment portée par Quentin Bataillon (Renaissance) et Jean-Jacques Gaultier (Les Républicains) dans leur rapport sur l'avenir de l'audiovisuel public, présenté en juin dernier.
Auditionnée ce jeudi 7 mars par la commission d'enquête parlementaire sur l'attribution et le contrôle des fréquences de la TNT (télévision numérique terrestre), la présidente-directrice générale de France Télévisions, Delphine Ernotte Cunci, a défendu ce projet aux contours encore à préciser. "Je soutiens intégralement ce qu'a proposé la ministre", a-t-elle déclaré, estimant notamment que certains projets de synergie entre les différents médias publics mettent "trop de temps à se faire" à l'heure actuelle. "On se retrouve avec parfois, moi qui dis rouge, ma collègue de Radio France [Sibyle Veil] qui dit vert, on a toutes les deux raisons de notre point de vue. Et je pense que ce serait bien qu'il y ait quelqu'un qui tranche. Cela permettrait d'accélérer vraiment les décisions, et de se concentrer sur l'offre pour le public."
Je ne pense pas que l'enjeu de la holding soit en premier lieu un enjeu d'économies. Delphine Ernotte Cunci (France Télévisions)
Relancée par le rapporteur de la commission d'enquête, Aurélien Saintoul (La France insoumise), sur les motivations d'ordre financier que sous-tendrait un tel projet, la dirigeante du groupe France TV a répondu qu'il ne s'agissait pas de la motivation première. "La holding devrait permettre de faire des économies", a-t-elle cependant reconnu, jugeant qu'il n'était anodin "d'utiliser l'argent public au mieux". Et de citer notamment les économies que pourrait dégager la mise en œuvre d'une direction des achats unique. "Mais ce n'est pas l'objectif. On a besoin d'être regroupés", a-t-elle insisté.
Devant les députés, Delphine Ernotte Cunci, ainsi que la présidente de France Médias Monde, Marie-Christine Saragosse, et le directeur général chargé des ressources d'Arte France, Frédéric Béreyziat, eux aussi auditionnés, ont livré un plaidoyer pour la TNT. "Le modèle de régulation adossé à la TNT permet à la France d'avoir l'une des offres audiovisuelles les plus qualitatives en Europe", s'est félicité la patronne de France Télévisions, qui a par ailleurs souligné le caractère démocratique et écologique de la télévision numérique terrestre, "réellement gratuite" et "dix à vingt fois plus sobre que les contenus en streaming".
"La TNT continue à être un moyen essentiel de diffusion des médias traditionnels et engendre à ce titre des responsabilités particulières", a pour sa part déclaré Marie-Christine Saragosse, qui a déploré l'asymétrie existant entre les médias traditionnels et les plateformes numériques, alors que ces dernières captent "60 % du marché publicitaire". Frédéric Béreyziat a pour sa part insisté sur la nécessité de proposer davantage de services sur la TNT, évoquant notamment la possibilité de basculer à tout moment sur le "non-linéaire" en revenant au début d'un programme ou en poursuivant le visionnage d'une série.
Au fil des questions posées par les députés, plusieurs échanges plus ou moins vifs ont eu lieu entre les certains élus et les dirigeants des groupes de l’audiovisuel public. Entre le Rassemblement national et Delphine Ernotte Cunci, sur l'épisode de "Complément d'enquête" consacré à Jordan Bardella, notamment, et sur la suspension d'investigations sur Rachida Dati et Gabriel Attal décidée par le directeur de l'information de France Télévisions, en raison du calendrier des élections européennes et des règles en matière de temps de parole entre les partis politiques dans le cadre de la campagne, a-t-elle répondu.
Entre le Rassemblement national et Marie-Christine Saragosse, Laurent Jacobelli ayant reproché à France 24 d'employer plusieurs journalistes ayant tenu des propos "antisémites". L'une d'entre eux a depuis été licenciée, et des actions de formation ont été mises en place, a précisé la dirigeante de France Médias Monde. Avant de rapporter que France 24 apporte des "nuances bien rares" sur le conflit opposant Israël au Hamas, entraînant d'ailleurs une perte d'audience pour la chaîne et menaces pour ses journalistes arabophones, taxés d'être pro-Israël dans le monde arabe.
Entre Aurélien Saintoul (LFI) et Delphine Ernotte Cunci, au sujet de Nathalie Saint-Cricq, récemment visée, ainsi que d'autres personnalités dans une campagne d'inscription sur les listes électorales lancée par le parti de Jean-Luc Mélenchon. Venant au soutien "sans réserve" de l'éditorialiste, la présidente de France Télévisions a évoqué une "grande journaliste" et a rappelé que la justice avait été saisie.
Entre Mounir Belhamiti (Renaissance) et Delphine Ernotte Cunci enfin, l'élu Renaissance ayant cité le compte X (ex-Twitter) "Médias citoyens", qui se présente comme un "collectif citoyen pour des médias intègres, déontologiques et non populistes". "Ils sont sur les réseaux sociaux, ils sont peut-être manipulés. Je ne sais pas qui c'est [...] et dans cette Assemblée, vous les mettez au même niveau que l'Arcom", a regretté la dirigeante de France TV. "Moi je veux bien faire un compte 'Médias citoyennes' qui balance des trucs prouvés par pas grand-chose", a-t-elle poursuivi sans cacher son mécontentement.
Par ailleurs, Delphine Ernotte Cunci a considéré devant les députés que la récente décision du Conseil d'Etat, qui a demandé un contrôle renforcé du pluralisme des chaînes, va être "assez compliquée" à mettre en œuvre. La semaine dernière, auditionnés par la commission d'enquête, les dirigeants du groupe Canal+ et les responsables de CNews avaient clairement critiqué cette décision, s'estimant particulièrement visés par celle-ci.
"Je comprends l'enjeu du pluralisme, néanmoins, je m'interroge sur la manière dont tout ça va se mettre en place", a-t-elle indiqué, ajoutant : "Il me semble, par exemple, impossible de demander à un éditorialiste quelle est sa couleur politique du moment" et estimant "qu'un individu peut voter d'une certaine manière mais avoir sur un autre sujet un avis qui diffère du parti politique pour lequel il a voté".
"Tout ça me semble assez compliqué", a résumé la dirigeante du groupe audiovisuel public, soulignant que France TV avait déjà à cœur de faire respecter un "équilibre" sur ses antennes. Elle a toutefois dit faire "confiance à l'Arcom" (le régulateur de l'audiovisuel) pour "mettre en œuvre ceci dans le respect de l'essence de la loi de 1986" sur l'audiovisuel, qui est une "loi de liberté d'expression".
Interrogée pour savoir si elle approuverait quelqu'un qui demanderait "la fermeture de CNews", Delphine Ernotte Cunci elle a répondu : "Non, je ne veux pas la mort de CNews. Mais il est normal qu'elle respecte les règles, comme tout le monde". La semaine prochaine, la commission d'enquête présidée par Quentin Bataillon (Renaissance) auditionnera Vincent Bolloré et Cyril Hanouna.