Malgré une coalition des oppositions, la proposition de loi "portant diverses mesures de justice sociale" a été adoptée sans son article 3, qui proposait de déconjugaliser l'allocation aux adultes handicapés.
L'Assemblée nationale a adopté, jeudi 2 decémbre en troisième lecture, la proposition de loi "portant diverses mesures de justice sociale". Les députés n'ont toutefois pas rétabli l'article 3 du texte, qui proposait de "déconjugaliser" l'allocation aux adultes handicapés (AAH).
Cette allocation, dont le montant maximal est de 904 euros par mois, est une aide financière attribuée en fonction de critères d'incapacité, d'âge, de résidence et de ressources. La somme versée aux 270.000 bénéficiaires de l'AAH en couple est modulée en fonction des revenus du conjoint : c'est cette prise en compte que les soutiens de la proposition de loi entendaient supprimer.
"Si les revenus du couple dépassent un certain plafond, l'AAH est amputée proportionnellement voire n'est plus perçue", a expliqué jeudi Stéphane Peu (Gauche démocrate et républicaine), le co-rapporteur du texte. Les personnes handicapées sont, selon lui, "soumises à un choix sinistre" : "Renoncer à [leur] indépendance financière ou renoncer à vivre en couple."
Le député communiste estime que cette dépendance financière "nourrit la dépendance psychologique" et que l'absence de "ressources propres" rend "plus difficile de s'extraire des situations d'abus et de violences". C'est pour cette raison que le groupe "Gauche démocrate et républicaine" a décidé de défendre lors de sa journée d'initiative parlementaire ce texte initialement rédigé par Jeanine Dubié (Libertés et Territoires).
La proposition de loi de l'élue des Hautes-Pyrénées a vécu un parcours législatif mouvementé. Elle a été adoptée en première lecture, en février 2020, contre l'avis du gouvernement. Lors du retour du texte à l'Assemblée nationale en juin 2021, la majorité et le gouvernement ont réussi, lors d'une séance houleuse, à inverser la tendance en retirant les dispositions relatives à la déconjugalisation de l'AAH.
Le 12 octobre, le Sénat, majoritairement à droite, a une nouvelle fois voté en faveur de la mesure. Mais la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a supprimé la disposition le 24 novembre en adoptant un amendement de Véronique Hammerer (La République en marche).
"Nous ne lâcherons pas ce combat si essentiel", a répondu jeudi Jeanine Dubié. L'élue a reçu le soutien du député "Les Républicains" Aurélien Pradié, qui avait porté sans succès une proposition similaire en octobre 2021. "Nous ne lâcherons pas cette bataille", a-t-il lui aussi affirmé, dénonçant "l'entêtement politicien du gouvernement et de la majorité".
Michèle Victory (Socialistes), Agnès Firmin Le Bodo (Agir ensemble), Paul Molac (Libertés et Territoires) et Caroline Fiat (La France insoumise) ont également défendu le texte. "Nous non plus, nous ne lâcherons pas", a également déclaré Yannick Favennec-Bécot (UDI et indépendants), qui était le rapporteur du texte en première lecture.
Face à cette coalition, la majorité et le gouvernement ont fait bloc : "Nous pensons que l'individualisation de l'AAH remettrait en cause l'ensemble de notre système socio-fiscal qui est fondé sur la solidarité familiale, conjugale et nationale", a expliqué Véronique Hammerer (La République en marche). "La déconjugalisation est une situation dont nous avons hérité, construite depuis 1975 et qui est celle de tous les minimas sociaux de notre pays", a ajouté la secrétaire d'Etat chargée des personnes handicapées, Sophie Cluzel, qui a notamment cité le RSA, l'allocation de solidarité spécifique et l'allocation de solidarité aux personnes âgées.
"[La déconjugalisation] peut conduire de facto à individualiser de nombreuses autres allocations sociales avec des conséquences qui se chiffreront en dizaines de milliards d'euros", a abondé Nicolas Turquois (MoDem).
Sophie Cluzel a par ailleurs rappelé que l'AAH a été "augmentée de 100 euros" depuis le début du quinquennat. La ministre et la majorité valorisent aussi le nouveau calcul de l'allocation prévu par le projet de loi de finances pour l'année 2022. A compter du 1er janvier de l'année prochaine, un abattement forfaitaire de 5000 euros sur les revenus du conjoint "permettra à 120.000 personnes de bénéficier d'une augmentation mensuelle de 110 euros en moyenne, pouvant aller jusqu'à 186 euros". Ce changement, qui coûtera 185 millions d'euros, permettra, selon les députés de la majorité, à "60% des bénéficiaires en couple de conserver l'allocation à taux plein".
Les députés n'ayant pas adopté conforme le texte issu du Sénat, la proposition de loi doit continuer son parcours législatif : "Vous avez voté un texte qui, de toute façon, est enterré", a déclaré Jeanine Dubié à l'issue du vote. L'élue estime que sa proposition de loi ne sera jamais adoptée définitivement : "Elle va repartir au Sénat et nous sommes en fin de mandature", a-t-elle déploré.