Auditionné par les députés de la commission spéciale sur le projet de loi confortant les principes de la République, le garde des Sceaux est surtout revenu sur les dispositions relatives à la haine en ligne et sur le nouveau délit de mise en danger de la vie d'autrui. Éric Dupond-Moretti a tenté d'effacer certaines critiques portées contre ces mesures.
Sanctionner plus efficacement les personnes qui "bafouent les valeurs et les principes de la République", tout en protégeant davantage ceux qui la servent. Il s'agit du principal objet du projet de loi "confortant le respect des principes de la République", tel que l'a présenté ce lundi le garde des Sceaux devant les députés de la commission spéciale constituée à l'Assemblée nationale pour examiner le texte.
Éric Dupont-Moretti a plus particulièrement défendu le nouveau délit de mise en danger de la vie d'autrui par la diffusion malveillante d'informations privées et les dispositions relatives à la lutte contre la haine en ligne. En l'état, ces mesures sont contenues dans les articles 18 à 20 du projet de loi.
Nous souhaitons que les victimes potentielles ne tremblent plus du fait des valeurs qu'elles transmettent. Éric Dupont-Moretti, garde des Sceaux
L'article 18 introduit un nouveau délit de mise en danger de la vie d’autrui par diffusion malveillante d’informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant son identification, puni de trois ans de prison et de 45 000 euros d'amende. Une mesure "essentielle à l'heure d'Internet, qui rend instantanée la diffusion de tous les messages, y compris ceux qui constituent des appels directs à la haine", a défendu le ministre de la Justice.
Ce nouveau délit a été décidé à la suite de l'assassinat terroriste de Samuel Paty à Conflans-Sainte-Honorine en octobre 2020. L'enseignant avait été identifié par l'assaillant grâce à des informations divulguées sur les réseaux sociaux, notamment par un militant islamiste.
Éric Dupont-Moretti a également profité de son audition pour éclaircir ce qui relève, estime-t-il, d'une confusion entre cet article et l'article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale. Ces deux articles n'ont rien à voir pour le ministre, qui a démenti toute volonté d'un "tour de passe-passe" gouvernemental pour réintroduire une disposition contestée dans le texte sur la sécurité.
Pour rappel, l'article 24 de la proposition de loi visait à sanctionner la diffusion d'images de forces de l'ordre à des fins malveillantes. Devant la gronde suscitée par cette disposition, le gouvernement avait annoncé sa réécriture par une commission indépendante provoquant à son tour une mini-crise institutionnelle au sein de la majorité. Le texte doit être examiné par le Sénat, l'incertitude régnant toujours quant au sort de l'article 24.
Visiblement peu désireux de relancer d'éventuelles polémiques, le garde des Sceaux a affirmé que l'article 18 du projet de loi allait "bien au delà de la caricature qui était faite de l'article 24 de la proposition de loi".
Éric Dupont-Moretti a par ailleurs défendu l'article 20 du projet de loi, qui a, selon lui, fait l'objet d'une "grande concertation" avec les sociétés de journalistes. Cet article vise à permettre de recourir à la comparution immédiate des individus qui provoquent à la haine en ligne, le tout sans modifier la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse, s'est félicité le ministre. "Ça n'éradiquera pas la haine en ligne, mais ça permettra de lutter contre."
Il a déploré que les "haineux professionnels" puissent se "lover dans la protection de la loi de 1881, qui est censée protéger la presse". Le garde des Sceaux a fustigé ce "tas de gamins qui se permettent n'importe quoi sur les réseaux sociaux". "Quand on en chope un, il est jugé un an et demi après, cela n'a plus aucun sens", a-t-il martelé, se prononçant pour que le "haineux du quotidien soit immédiatement interpellé" et passe en comparution immédiate.
Parallèlement au texte, le ministre a été interrogé sur la suspension du compte Twitter du président américain, Donald Trump. Le réseau social a pris cette décision trois jours après les émeutes survenues au Capitole à Washington, dans une après-présidentielle américaine ternie par les accusations de manipulation des scrutins, pourtant rejetées par les instances judiciaires américaines.
S'il n'a pas semblé opposé à cette décision, compte tenu du comportement de Donald Trump, Éric Dupont-Moretti a regretté qu'elle n'ait pas été effectuée dans un cadre légal. "C'est à la loi de le faire. Et pas à Twitter ou à un autre GAFA de décider", a-t-il souligné, rappelant que des travaux sont en cours à l'échelle européenne pour "reprendre la main".
Le ministre a estimé qu'une telle avancée permettrait de restreindre "l'opportunisme" des géants de l'Internet, regrettant notamment que Twitter n'ait pas daigné supprimer rapidement une série de tweets de l'ancien Premier ministre malaisien, Mahathir Mohamad. Ce dernier avait estimé, à la suite du discours d'Emmanuel Macron prononcé lors de l'hommage à Samuel Paty, que les musulmans avaient "le droit d'être en colère et de tuer des millions de Français pour se venger des massacres du passé". Des déclarations abondamment partagées et commentées.