Le ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau, a annoncé ce vendredi 24 mai qu'il ne tenterait pas de réintroduire, à ce stade, les "groupements fonciers agricoles d'investissement" (GFAI), qui avait été supprimés du projet de loi d'orientation agricole lors de l'examen du texte en commission. Une mission d'information sera créée à l'automne prochain par la commission des affaires économiques pour travailler sur la question du foncier agricole.
Le gouvernement renonce - au moins temporairement - à son projet de créer des "groupements fonciers agricoles d'investissement" (GFAI). La disposition, initialement inscrite dans le projet de loi "d’orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture", avait été supprimée par la commission des affaires économiques. Ce vendredi 24 mai, lors du dernier jour d'examen du texte, en première lecture, dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, Marc Fesneau a annoncé qu'il ne déposerait pas d'amendement proposant de réintégrer ce dispositif vivement contesté par les oppositions.
Les groupements fonciers agricoles d'investissement avaient pour objectif d'acheter des terres agricoles, afin de les louer à des agriculteurs. Ces GFAI auraient eu la possibilité de lever des fonds auprès de personnes physiques, mais aussi auprès d'épargnants et de fonds d'investissements. De La France insoumise au Rassemblement national, toutes les oppositions ont rejeté ce dispositif, craignant une "financiarisation" de l'agriculture française. Selon Dominique Potier (Socialistes) les GFAI, "forcément gérés par une banque ou une assurance", "port[aient] le danger d'accélérer une dérégulation" du secteur. "Les Françaises et les Français ne comprendront pas que des acteurs privés parfois étrangers investissent dans des terres agricoles avec pour seule fin la rentabilité économique" avait, quant à elle, considéré Lisa Belluco (Ecologiste).
La question de l'accès au foncier agricole a été plusieurs fois abordée lors des débats en commission et en séance publique, sans qu'une solution puisse être trouvée dans le cadre de l'examen du projet de loi. Dans les dix années qui viennent, "un grand nombre de surfaces agricoles vont se libérer, vont changer de main", avait expliqué le ministre de l'Agriculture lors de l'examen du texte en commission. Avec le risque d'une concentration des terres libérées au sein de très grandes exploitations, ce qui aurait pour conséquence de mettre en péril le modèle français de l'exploitation familiale. Ce mécanisme risquerait en effet de limiter l'installation de nouveaux agriculteurs, dont une part de plus en plus importante ne provient pas du milieu agricole.
Le sujet est d'autant plus sensible que les députés ont inscrit dans le projet de loi l'objectif de compter en 2035 au moins 400 000 exploitations agricoles et 500 000 exploitants, soit des chiffres équivalents à ceux constatés ces dernières années. L'Assemblée nationale a d'ailleurs adopté un amendement socialiste fixant à l’Etat l'"objectif de contrôler les phénomènes d’agrandissement par la régulation de l’ensemble des marchés fonciers afin de permettre le renouvellement des générations en agriculture".
Le renouvellement des générations repose sur un outil majeur : la régulation du marché foncier. Amendement 1956
Pour atteindre cet objectif, la mobilisation des 400 millions d'euros d'argent public du fonds "Entrepreneurs du vivant" ne suffira pas, a expliqué Marc Fesneau, jeudi 23 mai. "Il va falloir des fonds privés", a martelé le ministre.
Une position qui n'a pas été partagée par une majorité de députés. Jeudi, ils ont modifié l'article 8 du texte, qui fixe à l’Etat des objectifs en matière de portage foncier agricole. Le portage foncier agricole permet à un agriculteur d'acquérir les terres nécessaires à son installation de façon progressive. Ainsi, un établissement public peut directement acquérir des terres dans le but de les mettre à disposition d'un agriculteur.
Le portage permet donc à l'agriculteur de financer en premier lieu les investissements liés à l'installation comme l'achat de matériel ou de cheptel. De plus, le coût du loyer est en général moins élevé que les intérêts dus en cas de financement à crédit. Cette technique permet aussi de lutter contre l'inflation puisque l'agriculteur rachète les terres au prix auquel la société de portage l'a acquis.
Dans sa version issue de la commission, le projet de loi donnait à l’Etat comme objectif "d’accroître progressivement la mobilisation de fonds publics au soutien du portage du foncier agricole" aux côtés "des collectivités territoriales volontaires ainsi que d’investisseurs privés". Mais l'Assemblée a adopté des amendements identiques des groupes La France insoumise, Ecologiste et Rassemblement national qui supprimant la mention des "investisseurs privés". Une façon d'éviter tout risque de "spéculation", a expliqué Marie Pochon (Ecologiste).
Le ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau, a dénoncé un vote qui empêcherait l’Etat "d'intervenir auprès de la foncière agricole d'Occitanie" puisque celle-ci dispose d'actionnaires "qui sont des coopératives, des banques" ou encore auprès de Terre de liens, qui dispose "d'investisseurs privés". Selon lui, "la quasi totalité des fonds de portage, y compris [ceux portés par] des établissements publics" comportent des fonds privés. "Je ne doute pas que le Sénat va remettre de l'ordre dans les idées", a affirmé le ministre, qui compte sur les élus du Palais du Luxembourg pour modifier à nouveau cet article lorsqu'ils examineront le texte.
Vendredi, lors des débats en séance publique, Annie Genevard (Les Républicains) a rappelé l'hostilité de son groupe aux GFAI : "Il faut réfléchir à la question du portage du foncier dans une loi ad hoc." Les groupes de gauche restent, eux aussi, hostiles au dispositif. Dans leur amendement de suppression des GFAI en commission, les députés écologistes justifiaient leur opposition par le fait que les groupements fonciers agricoles d'investissement auraient "permis le portage du foncier par des apporteurs de capitaux non agricoles", intéressés par une rentabilité à court terme.
Le président de la commission des affaires économiques, Stéphane Travert (Renaissance), a proposé aux députés de lancer, à l'automne, une mission d'information qui sera chargée d'élaborer des propositions transpartisanes sur la question du foncier. Une "bonne nouvelle", a salué Dominique Potier (Socialistes).
"Il faudra remettre l'ouvrage sur le métier", a confirmé vendredi Marc Fesneau, qui a expliqué qu'il ne souhaitait pas déposer "à la dernière minute" un amendement de réécriture de l'article 12 sur les GFAI. Le ministre de l'Agriculture a toutefois mis en garde contre les "conservatismes" puisque, sur le sujet du foncier agricole, "tout le monde dit qu'il faut y travailler et à la fin tout le monde prêche pour le statu quo". Et de conclure : "Ça fait 20 ans que ça dure, il va falloir que chacun se mette face à ses responsabilités."