La mission d'évaluation de la loi du 2 février 2016 dite "Claeys-Leonetti" a auditionné les représentants des grands cultes monothéistes, qui ont unanimement vanté "l'équilibre" de la loi actuelle. Un peu plus tôt, les loges maçonniques, également auditionnées, ont quant à elle plaidé pour une évolution législative en matière de fin de vie.
Le principe de liberté se heurte-t-il à celui de fraternité ? C'est en tout cas ce qui semble ressortir des auditions menées, jeudi 2 février, par la mission d'évaluation de la loi "Claeys-Leonetti" relative à la fin de vie.
Deux visions assez contrastées, bien que se rejoignant sur certains points, se sont dessinées au travers des propos des représentants des religions abrahamiques d'une part, guidées par le caractère sacré de la vie, et des loges maçonniques d'autre part, qui placent l'individu et les conditions de son émancipation parmi leurs valeurs structurantes.
Les quatre cultes auditionnés (catholicisme, protestantisme, islam, judaïsme) se sont tous accordés sur le fait que la loi Claeys-Leonetti "créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie", était une loi d'équilibre.
"Pour le protestantisme le cadre juridique actuel français est satisfaisant", a ainsi indiqué Jean-Gustave Hentz, président de la commission "Éthique et société" à la Fédération protestante de France. Faisant part de ses réserves quant à l'instauration d'une aide active à mourir, il a pointé du doigt les risques de dérives, ainsi que le fait qu'une telle possibilité entre en conflit avec l'interdit de donner la mort.
Jean-Gustave Hentz a néanmoins évoqué un "tourisme de la fin de vie", qui concerne des Français qui se rendent le plus souvent en Belgique ou en Suisse, où l’Église protestante accompagne d'ailleurs certaines personnes qui ont recours à une aide active à mourir. Si Jean-Gustave Hentz ne s'est pas opposé fermement à une ouverture en faveur d'un droit en la matière, il l'a conditionnée à une certain nombre de pré-requis, dont un développement des soins palliatifs à la hauteur des enjeux.
Il n'y a pas une quelconque approche rédemptrice, doloriste, il n'y a pas une exaltation de la souffrance pour en quelque sorte se laver de ses péchés, bien au contraire, il faut tout faire pour que l'être humain n'ait pas à pâtir de quelque douleur que ce soit. Ghaleb Bencheikh
Du côté des trois autres religions, la position s'est avérée plus tranchée. Si toutes se sont accordées sur le fait que la souffrance ne revêtait aucun caractère expiatoire, et qu'elle devait être soulagée, elles ont aussi toutes réaffirmé avec force le caractère intouchable de la vie humaine.
"Couper la vie ne peut pas être un acte de fraternité", a ainsi considéré l'archevêque de Rennes, Pierre d’Ornellas, évoquant le "principe civilisateur du 'tu ne tueras pas'". "Je pense que sa relativisation est dangereuse", a ajouté le représentant de l'Église catholique, rejoint par le président de la Fondation de l’islam de France, Ghaleb Bencheikh, qui a réaffirmé la nécessité de "respect absolu, scrupuleux, non négociable de la vie".
Si Ghaleb Bencheikh a indiqué qu'une "profonde sédation", qu'il a également appelée "dormition" pouvait être "envisagée", il a aussi martelé que l'octroi d'un "produit létal" n'était de fait "pas conforme à l’idée même du bien précieux qu’est la vie".
Haïm Korsia, Grand rabbin de France, a pour sa part qualifié la loi Claeys-Leonetti de "parfaite", et comme ayant trouvé son point d'équilibre grâce à la sédation profonde et continue, dont il a rappelé qu'au moment des débats autour du texte, il s’était battu pour qu'elle soit réversible. Par ailleurs, il a considéré que l'évaluation de la loi était réalisée alors même qu'elle "n’a même pas été mise en place", au regard des manques en matière d'unités de soins palliatifs.
Au-delà de la nécessité de généraliser ces unités, Pierre d'Ornellas a estimé nécessaire une meilleure "formation universitaire à la science palliative", avant d'inviter la société à "sortir de l’idée que la vulnérabilité atteint la dignité".
Auditionnées un peu plus tôt dans la journée de jeudi, les représentants des différentes loges maçonniques ont dressé un bilan beaucoup plus réservé de la loi Claeys-Leonetti. "C’est avec un regard laïque que nous abordons ces réflexions, en remettant toujours l’humain au centre", a souligné en préambule de son propos la Grande Maitresse de la Grande loge féminine de France, Catherine Lyautey.
Partant d'un état de la loi qui "génère une profonde inégalité entre les citoyens et citoyennes", elle a comparé cette situation avec celle vécue par les femmes avant la légalisation de l’IVG. "L’aide active à mourir existe de fait et se pratique dans l’illégalité", a-t-elle aussi fait valoir, évoquant à son tour les Français qui se rendent à l'étranger.
Après les batailles pour ne plus enfanter dans la douleur, pour choisir d’avoir ou non un enfant, c’est peut-être la dernière liberté que nous ayons à conquérir en tant que franc-maçonnes, en tant que femmes et citoyennes. Catherine Lyautey
"Les conditions de fin de vie sont un marqueur fort de civilisation", a insisté Catherine Lyautey, déclinant là-aussi, la correspondance relevée notamment par Simone de Beauvoir entre droits des femmes et état général d'une société humaine. Le Grand Maître du Grand Orient de France, Georges Serignac, a pour sa part estimé que la possibilité de choisir sa fin de vie s'inscrivait dans "la voie laïque, humaniste, universaliste que trace notre modèle républicain".