Fin de vie : le projet de loi passé au crible des Conseils de l'ordre des professionnels de santé auditionnés à l'Assemblée

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François Arnault, président du Conseil national de l’ordre des médecins, LCP 23/04/2024
Le docteur François Arnault, président du Conseil national de l’ordre des médecins, lors de son audition à l'Assemblée, le 23 avril 2024 (© LCP)
par Raphaël Marchal, le Mardi 23 avril 2024 à 17:05, mis à jour le Mardi 23 avril 2024 à 17:07

Auditionnés ce mardi 23 avril par la commission spéciale de l'Assemblée nationale chargée d'examiner le projet de loi sur la fin de vie, les représentants des ordres des professionnels de santé ont salué une réforme qui répond aux attentes de la société. Ils ont toutefois fait part de leurs préoccupations sur plusieurs points du texte présenté par le gouvernement. 

Au lendemain de l'audition de la ministre de la SantéCatherine Vautrin, et du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), la commission spéciale de l'Assemblée nationale chargée d'étudier le projet de loi "relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie" a poursuivi ses travaux en recevant les ordres des professionnels de santé, ce mardi 23 avril. Toujours dans l'objectif de nourrir les réflexions des députés, en vue de l'examen du texte lui-même en commission d'abord, puis dans l'hémicycle. 

Devant les élus, les représentants des ordres ont rappelé que la réforme sur la fin de vie répondait à une demande forte d'une majorité de Français. "C'est une évolution sociétale très attendue par nos concitoyens", a déclaré la présidente du Conseil national de l’ordre des pharmaciens, Carine Wolf-Thal. "La société attend que quelque chose change. L'ordre des médecins et les médecins n'ont pas vocation à ne pas tenir compte de ça", a expliqué le président du Conseil national de l’ordre des médecins, François Arnault. Tout en rappelant que, selon les statistiques de l'organisme professionnel, les deux-tiers des praticiens étaient contre l'aide à mourir, et un quart se prononçait pour, le différentiel n'étant cependant pas aussi important qu'il l'aurait été il y a quelques années, a-t-il précisé.

"Faire vivre son malade"

François Arnault comme la présidente du Conseil national de l'ordre des infirmiers, Sylvaine Mazière-Tauran, ont témoigné à quel point la mise en place d'une aide à mourir venait, en tant que telle, directement "percuter" le code de déontologie des professionnels de santé. De ce fait, ils ont insisté sur la nécessité de parfaitement encadrer cette possibilité qui sera ouverte à certains malades. "Plus ce sera déontologiquement encadré, plus des médecins la pratiqueront", la vivront comme "quelque chose d'exceptionnel, comme une réponse déontologique à leurs patients", a résumé François Arnault.

L'ancien ORL a rappelé que "spontanément, un médecin ne doit pas orienter vers une aide à mourir automatique", l'élément "principal et majeur" pour un médecin étant d'essayer de "faire vivre son malade". Le serment d'Hippocrate prévoit d'ailleurs que le médecin ne doit "pas donner délibérément la mort". Confronté à un patient qui souhaiterait cesser de vivre, dans le respect des conditions prévues par le projet de loi, le médecin doit être "présent jusqu'au terme du procédé", a indiqué le président du Conseil de l'ordre.

De ce fait, afin que l'aide à mourir soit acceptée par une majorité de praticiens, il a appelé à un effort conséquent pour développer les soins palliatifs, comme le prévoit la stratégie décennale annoncée par le gouvernement. Il a également jugé nécessaire de décorréler fin de vie et accompagnement. "C'est un problème qui doit être différencié. Dans la période d'accompagnement, les soignants sont là pour faire vivre le patient. La fin de vie doit être séparée dans son analyse, dans sa prise en charge", a-t-il développé, jugeant que l'administration d'un produit létal ne pouvait être considérée comme un acte médical.

C'est le patient qui demande à bénéficier de l'aide à mourir. Il faut que les choses soient claires : cela ne fait pas partie du soin. François Arnault, président du Conseil national de l'ordre des médecins

François Arnault a également appelé à combler quelques lacunes du texte, pour éviter que certains médecins ne recourent à la clause de conscience, davantage par crainte que par conviction. "Il n'y a rien de prévu sur l'aspect des poursuites disciplinaires sur le plan déontologique", a-t-il regretté, rappelant que lorsqu'une plainte est déposée, elle est obligatoirement transmise par le Conseil départemental de l'ordre. De manière similaire, il souhaite que la procédure soit plus précise lorsque le médecin rejette la demande d'aide à mourir d'un patient. Par ailleurs, l'ORL à la retraite a bien souligné la nécessité qu'un praticien ne puisse exercer sa clause de conscience sans apporter une autre solution au patient.

Interrogé sur l'opportunité de créer des listes de médecins opposés à l'aide à mourir, François Arnault y a, en revanche, opposé une vive désapprobation. "Je suis opposé aux listes. Les cas ne sont pas suffisamment fréquents pour créer une organisation comme ça", a-t-il indiqué, plaidant pour "garder de l'humain". "Il faut empêcher les établissements de se spécialiser, soit dans un sens, soit dans l'autre", a-t-il également considéré.

Le flou du "moyen terme"

Autre observation soulevée par François Arnault et Carine Wolf-Thal : le flou, selon eux, d'une des conditions nécessaires pour pouvoir bénéficier de l'aide à mourir. Actuellement, le projet de loi implique qu'un patient soit atteint "d’une affection grave et incurable engageant son pronostic vital à court ou moyen terme". "Il est difficile de se prononcer sur le 'moyen terme', qui enlève un paramètre d'appréciation au cas par cas, alors que chaque patient va être différent et requérir des attentes particulières", a pointé le médecin.

De son côté, Sylvaine Mazière-Tauran a alerté sur la nécessité d'une formation spécifique à l'aide à mourir pour les infirmiers. Elle a également appelé à réaffirmer la clause de conscience au sein de la profession et a fait part de son souhait de revaloriser la place des proches et des aidants dans la prise en charge et l'accompagnement des patients en fin de vie. Par ailleurs, Carine Wolf-Thal a questionné le circuit actuel d'élimination des produits létaux qui ne seraient pas (ou seulement partiellement) consommés, peut-être pas tout à fait dimensionné pour la réforme prévue. 

La commission spéciale sur le projet de loi relatif à la fin de vie poursuivra ses auditions préparatoires à l'examen du texte jusqu'à la semaine prochaine. A partir du 13 mai, les députés de la commission étudieront les articles du projet et les amendements déposés sur celui-ci. Puis, le texte du gouvernement sera débattu, en première lecture, à partir du 27 mai dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale.