Auditionné lundi 22 avril au soir par la commission spéciale de l'Assemblée nationale chargée d'examiner le projet de loi sur la fin de vie, le président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), Jean-François Delfraissy, a évoqué la proximité entre le texte gouvernemental et l'avis n°139 publié en septembre 2022 par l'organisme qu'il dirige. Cet avis avait ouvert la voie à l'instauration d'une "aide active à mourir" strictement encadrée.
Le comité consultatif national d'éthique se reconnaît dans le "chemin de crête" retenu par le gouvernement dans son texte sur la fin de vie. La commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi "relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie" a auditionné lundi 22 avril au soir le président du CCNE, Jean-François Delfraissy, ainsi que les deux co-rapporteurs de l'avis n°139 publié par l'institution en septembre 2022, Régis Aubry et Alain Claeys. Dans cet avis nommé "Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité", le CCNE ouvrait pour la première fois la voie à une aide active à mourir strictement encadrée.
Devant les députés, Jean-François Delfraissy a d'abord indiqué qu'il ne ferait "pas de commentaires à titre personnel" sur le texte présenté par le gouvernement : "Le CCNE n'est pas là pour faire des commentaires sur le projet de loi." Mais le président de cet organe consultatif a ensuite expliqué être "quand même frappé du fait [que le projet de loi] est assez proche de l'avis du CCNE". Jean-François Delfraissy estime que le texte du gouvernement propose un "chemin de crête" assez similaire à ce qui existait dans l'avis numéro 139 de l'institution qu'il préside.
Une position partagée par Alain Claeys, l'un des co-rapporteurs de l'avis : "Est-ce qu'il y a une réponse éthique à une demande active à mourir ? Nous avons répondu oui, sous certaines conditions", a expliqué l'ancien député socialiste. Avant d'ajouter : "Je n'ai pas besoin d'énumérer les conditions, elles se retrouvent dans le projet de loi."
L'ex-député est également revenu sur l'insuffisante application de la loi de 2016 qui porte son nom : la loi du 2 février 2016 "créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie" (connue sous le nom de loi Claeys-Leonetti) permet à certains patients "atteints d'une affection grave et incurable", dans des cas très limités, de bénéficier d'une "sédation profonde et continue" pouvant aller jusqu'au décès. Elle tend également au développement des soins palliatifs et renforce le pouvoir des directives anticipées.
"La loi de 2016 n'est pas suffisamment appliquée", a commenté Alain Claeys, qui explique que seulement "12% de nos concitoyens ont rédigé leurs directives anticipées". Et de considérer que "la sédation profonde et continue jusqu'au décès n'est pas suffisamment appliquée dans les unités de soins palliatifs". Pour autant, Alain Claeys estime que la loi de 2016 ne peut résoudre à elle seule tous les problèmes : "Est-ce que [cette loi], même bien appliquée, répondr[ait] à toutes les situations ? La réponse est non."
Au cours de l'audition, Jean-François Delfraissy a évoqué les réticences de certains membres du corps médical : "Une assez large majorité des médecins de soins palliatifs et j'irais même plus loin, des soignants de soins palliatifs (...), sont en retrait vis-à-vis d'une évolution de la loi, en tout cas pour une bonne partie d'entre-eux", a indiqué le président du CCNE. Mais "ce n'est pas le cas si on regarde l'ensemble du corps médical" a-t-il souligné, évoquant les oncologues, les urgentistes ou encore les réanimateurs.
"On ne fait pas une loi contre les médecins, on ne fait pas non plus probablement une loi contre les citoyens, il y a une juste balance à trouver", a-t-il expliqué. "La maladie appartient au patient, elle n'appartient pas au médecin, qui est là pour l'accompagner", a encore déclaré le président du CCNE.
Le médecin est là pour accompagner son patient dans les moments les plus intimes et les plus ultimes. Jean-François Delfraissy
Interrogé sur une éventuelle application de l'aide à mourir aux personnes mineures (ce qui n'est pas prévue par le projet de loi), Jean-François Delfraissy a jugé nécessaire de temporiser, appelant à la "modestie" sur des "sujets aussi difficiles, complexes, humains, intimes" : "Si vous voulez le fond de ma pensée, on a là un projet de loi qui est une étape, je pense qu'il y aura une autre loi sur la fin de vie dans X temps, vous la verrez, moi peut-être pas", a-t-il avancé. "On prendra le temps de réfléchir, d'évaluer", a précisé Jean-François Delfraissy.
Une déclaration qui a fait réagir Annie Genevard (Les Républicains) : "On est à peine à l'aube de l'examen de ce texte qu'on en envisage déjà l'élargissement." Précisant encore ses propos à la fin de l'audition, Jean-François Delfraissy a estimé d'abord et avant tout nécessaire de "constituer des équipes spécialisées de soins palliatifs pour 'aider' les équipes pédiatriques et, en particulier, en oncologie qui sont en difficulté".
La commission spéciale de l'Assemblée nationale sur le projet de loi relatif à la fin de vie poursuivra ses auditions préparatoires à l'examen du texte lui-même jusqu'à la semaine prochaine. A partir du 13 mai, les députés de la commission étudieront les articles du projet, ainsi que les amendements qui seront déposés. Et le texte sera débattu dans l'hémicycle, en première lecture, à partir du 27 mai.