A l'occasion de l'examen de la proposition de loi visant "à améliorer l'accès aux soins", une majorité de députés s'est opposée aux propositions de certains de leurs collègues qui voulaient restreindre la liberté d'installation des médecins dans les territoires déjà suffisamment dotés.
"Une occasion manquée." Philippe Vigier (Démocrate) n'a pas caché sa déception après le rejet d'une série d'amendements identiques, qui visait à limiter fortement la liberté d'installation des médecins généralistes et spécialistes, mais aussi des chirurgiens-dentistes. La disposition a été défendue en premier lieu dans l'hémicycle par Guillaume Garot (Socialistes), qui avait déposé il y a quelques mois une proposition de loi transpartisane sur le sujet, avec près de 200 députés.
"Ce que nous disons, c'est : 'n'allez plus vous installer là où les besoins sont déjà pourvus, mais allez là où vos patients vous attendent", a expliqué l'élu mayennais, lors de la présentation de son amendement. Concrètement, sa proposition revenait à soumettre l'installation des médecins et des chirurgiens-dentistes à l’Agence régionale de santé. Dans les "zones sous-dotées", c'est-à-dire dans les déserts médicaux, cette autorisation aurait été accordée de droit.
En revanche, elle aurait été très fortement limitée dans les zones où "l’offre de soins est au moins suffisante". Dans les territoires qui ne sont pas des déserts médicaux, les médecins n'auraient eux la possibilité de s'installer qu'à la condition de la cessation d'activité ou du départ d'un autre praticien.
Les amendements demandaient aussi au gouvernement de remettre, six mois après la promulgation de la loi, un rapport au Parlement "qui formule des propositions afin de cibler des aides à l’installation vers les zones où l’offre de soins est la plus dégradée".
Tour à tour, des élus de tous bords ont défendu bec et ongles la mesure. "Ce que nous proposons, ce n'est pas une régulation drastique. Ce n'est pas de la coercition", a défendu Philippe Vigier. "Par rapport à d'autres professions réglementées, je ne pense pas que l'effort soit considérable."
"Ce n'est pas une punition pour les médecins, mais une solution pour les Français", a appuyé Yannick Favennec-Bécot (apparenté Horizons). "Il n'y a rien de scandaleux ni de honteux à orienter l'installation des médecins là où on a vraiment besoin d'eux." Cette solution est devenue un "impératif", a estimé Jérôme Nury (Les Républicains), tandis que Mathilde Hignet (La France insoumise) a démenti son caractère "coercitif".
Ce moment assez rare d'union transpartisane dans l'hémicyle a été salué par plusieurs députés, dont Jérémie Patrier-Leitus (Horizons) et Hadrien Clouet (La France insoumise). "Nous vivons un moment extraordinaire", a relevé ce dernier.
Le ministre des Solidarités et de la Santé n'a pas eu la même lecture que l'insoumis. François Braun a mis en garde les députés contre les risques qu'emporterait un tel mécanisme de régulation : "C'est un écran de fumée, qui va dégrader l'offre de soins dans les heures qui viennent si les amendements sont votés."
Le médecin urgentiste de profession a égrainé l'ensemble des risques que fait courir la restriction de l'installation des médecins : refus d'installation, départs en retraite précoces, déconventionnement, salariat, disparition de la médecine libérale... C'est une mesure de "stigmatisation des professionnels, qualifiés d'irresponsables, d'enfants gâtés à qui nous payons des études et qui ne donnent rien en retour", a-t-il tonné, alertant contre le risque de conflit social avec les praticiens. "Ne jouons pas à pile ou face avec notre système de santé. La refondation du système de santé ne se fera pas sans les professionnels."
Le rapporteur de la proposition de loi, Frédéric Valletoux (Horizons), moins alarmiste, s'est dit ouvert à ouvrir, à l'avenir, une réflexion sur un système qui permet d'assurer une meilleure répartition des médecins sur le territoire. Mais il a, lui aussi, affiché ses craintes de voir l'attractivité du métier réduite à peau de chagrin, notamment pour la profession de généraliste, qui "attire de moins en moins". "L'enjeu, c'est de garder nos soignants. Si nous perdons nos soignants, nous n'aurons pas réussi à améliorer l'accès aux soins."
"Ce n'est pas une proposition magique, mais une proposition qui risque d'aggraver la situation", a appuyé la présidente du groupe Renaissance, Aurore Bergé, prenant ses responsabilités pour tenter de rassembler la majorité présidentielle. "Est-ce qu'un seul parlementaire peut lever la main et dire 'j'ai trop de médecins généralistes dans mon département ?", a-t-elle questionné ses collègues.
Finalement, la série d'amendements a été largement rejetée, par 168 voix contre 127. A de rares exceptions près, les députés Renaissance ont voté contre, tandis que les deux autres groupes de la majorité, Démocrate et Horizons, se sont partagés entre vote pour, contre et abstention. Lors du scrutin, tous les députés du Rassemblement national présents en séance se sont opposés à cette mesure, comme une majorité des députés Les Républicains qui se sont prononcés sur le sujet.