Les députés ont adopté jeudi soir, en première lecture, le projet de loi visant à prolonger jusqu'en avril 2021 le régime transitoire adopté à la fin de l'état d'urgence sanitaire. Celui-ci permet au Premier ministre de restreindre certaines libertés en vue de lutter contre l'épidémie de Covid-19.
Les députés ont adopté jeudi en séance publique le projet de loi prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire. 26 parlementaires ont voté pour, 17 ont voté contre, 3 se sont abstenus.
Le texte a pour objectif d'éviter de "laisser se reproduire la catastrophe sanitaire que nous avons connue en mars dernier", a expliqué le ministre des Solidarités et de la Santé Olivier Véran.
Déclaré le 23 mars 2020 pour faire face à l'épidémie de coronavirus, l'état d'urgence sanitaire a pris fin le 10 juillet. Mais pour continuer à disposer de l'arsenal nécessaire à la lutte contre le Covid-19, le Parlement a voté en juillet un "régime transitoire" : celui-ci permet au Premier ministre de restreindre certaines libertés, de fermer provisoirement certains établissements et de réglementer les rassemblements de personnes.
Ce régime devait prendre fin le 30 octobre : pour faire face à la résurgence de l'épidémie, le texte adopté jeudi par l'Assemblée nationale prolonge ce régime jusqu'au 1er avril 2021.
Tout en reconnaissant un "manque d'enthousiasme" vis-à-vis du texte, la rapporteure du projet de loi, Alice Thourot (La République en marche), a énergiquement défendu le dispositif : "Il est hors de question de laisser le pays désarmé au 1er novembre prochain."
Autre mesure prévue : la prolongation "pour la même durée de la conservation de données pseudonymisées" conservées dans les systèmes numériques dédiés à l'épidémie (SI-DEP et Contact-Covid) "aux seules fins de surveillance épidémiologique et de recherche sur le virus".
"Nous nous serions bien passés de ce texte, mais la situation est telle que nous devons faire preuve de courage, de responsabilité, et restreindre certaines libertés auxquelles nous sommes toutes et tous attachés", a expliqué Olivier Véran devant les députés.
Ces prolongations devraient être les dernières : le ministre de la Santé a rappelé jeudi que le Parlement examinera en janvier prochain un projet de loi instaurant un dispositif pérenne de gestion de l'urgence sanitaire.
Cette volonté d'inscrire des mesures transitoires de façon permanente dans la loi a été fraîchement accueillie, y compris par certains au sein de la majorité. "A priori la pérennisation de ces mesures (d'urgence) n'est pas justifiée", a estimé Isabelle Florennes (MoDem).
Une inquiétude qui a entraîné une mise au point de la présidente de la commission des lois, Yaël Braun-Pivet (LaREM) : "Certains ont évoqué le fait que le gouvernement envisageait d'inscrire dans le droit commun des mesures d'exceptions, cela n'est, dans ce que j'ai compris, pas du tout le cas."
L'opposition a vivement contesté le bien-fondé du texte : "Nous pensons que ce qui est proposé va trop loin et pour trop longtemps", a critiqué Philippe Gosselin (Les Républicains), qui a néanmoins reconnu que "les risques épidémiologiques sont réels".
Le député LR, qui a défendu une motion de rejet préalable, aimerait trouver un "juste équilibre entre restrictions et protection de nos libertés".
Nous trouvons que c'est long et trop attentatoire aux libertés publiques et individuelles. Philippe Gosselin
Plusieurs députés ont tenté de réduire la durée de la prorogation, afin de contraindre le gouvernement à consulter plus régulièrement les parlementaires. La méthode de l'exécutif a ainsi été qualifiée "d'absence totale de respect du Parlement et de ses droits" par Pascal Brindeau (UDI et indépendants).
"Notre groupe est résolument opposé à cette prorogation", a également affirmé la socialiste Marietta Karamanli, qui a évoqué "une absence objectivée de proportionnalité des mesures".
Il n'y a pas besoin de ces lois d'exception, je le dis, je l'ai déjà dit et je le redis. Paul Molac (Libertés et Territoires)
"Nous n'avons pas entendu d'arguments fondés justifiant cette demande de prorogation", a ajouté Danièle Obono (La France insoumise). Le député communiste Stéphane Peu a, lui aussi, mis en cause un texte qui offre selon lui un "confort de gouvernance qui n'a rien à voir avec l'efficacité de la lutte contre la pandémie".
Même point de vue du côté de Hubert Julien-Laferrière (Ecologie Démocratie Solidarité), qui voit dans le projet de loi une "mise en péril de l'état de droit".
"Il ne faudrait pas que ce projet de loi soit utilisé à d'autres fins que celles de la lutte contre le virus", a quant à elle souligné la députée MoDem Isabelle Florennes, ajoutant que son groupe, qui a voté le texte, sera "extrêmement vigilant sur la question des libertés individuelles".
"La [prorogation pour une] période de six mois engloberait aussi les élections départementales et régionales, nous ne voudrions pas qu'elles soient perturbées", s'est par ailleurs inquiété Philippe Gosselin (LR).
Le communiste Jean-Paul Lecoq a lui aussi exprimé ses craintes quant au déroulement d'élections prévues en mars alors que le régime transitoire sera maintenu jusqu'en avril. L'élu du groupe Gauche démocrate et républicaine (GDR) redoute les conséquences d'une campagne électorale organisée "avec des départements, voire des régions, voire des métropoles" subissant des mesures sanitaires "à géométrie variable".
D'autres parlementaires ont essayé d'obtenir, en vain, une réouverture des boîtes de nuit, comme Christophe Blanchet (MoDem) et Thierry Benoit (UDI et indépendants).
De son côté, le député La République en marche Sacha Houlié a tenté d'instaurer des jauges locales d'accueil du public dans les stades et les salles de spectacles. Une façon, notamment, de répondre à l'Union des associations européennes de football (UEFA), qui propose une jauge égale à 30% des stades lors de ses compétitions. Ainsi, le Stade de France pourrait accueillir 24.000 personnes, le stade Vélodrome de Marseille 19.000 spectateurs.
"Il nous faut des règles simples", a répondu Olivier Véran, qui a prôné le maintien de jauges forfaitaires nationales : "Pas plus de 5.000 personnes quand le virus ne circule pas, 1.000 personnes quand le virus circule", a expliqué le ministre de la Santé.
Mardi 22 septembre, lors du passage du texte en commission, le ministre des Solidarités et de la Santé a alerté les députés, affirmant que la France était "à la croisée des chemins" face à l'épidémie.
Et lors de la séance des questions au gouvernement de mardi, le Premier ministre, Jean Castex, en a appelé "au rassemblement" et à "l'unité" : "La situation du pays est grave", a affirmé le chef du gouvernement devant l'Assemblée nationale.
Jeudi, alors que l'examen du projet de loi avait lieu dans l'hémicycle, Olivier Véran a quitté un moment les débats pour tenir une conférence de presse sur la progression de l'épidémie et les mesures envisagées : le ministre a annoncé que la ville de Paris pourrait basculer lundi en zone d'alerte maximale et qualifié la situation de "préoccupante" à Lille, Lyon, Grenoble, Toulouse et Saint-Etienne.