L'Assemblée nationale a adopté, dans la nuit du mardi 16 au mercredi 17 novembre, le projet de loi "pour la confiance dans l'institution judiciaire". Le texte, résultat d'un accord entre députés et sénateurs, a été adopté par 66 voix contre 11. Une dernière modification cependant a été apportée, par rapport à la version issue de la commission mixte paritaire, concernant la protection du secret professionnel des avocats, alors que ceux-ci protestaient contre des exceptions qui étaient prévues par le texte.
Sept mois après sa présentation en Conseil des ministres, le projet de loi "pour la confiance dans l'institution judiciaire" — et son pendant organique — a franchi une nouvelle étape à l'Assemblée nationale ce mardi. Charge au Sénat de l'adopter dans une rédaction conforme dans deux jours, pour que la réforme achève son parcours parlementaire. Sénateurs et députés étaient en effet parvenus à un accord sur un texte commun, fin octobre, en commission mixte paritaire.
Mais une modification de dernière minute, assez inhabituelle à ce stade — et critiquée à ce titre par l'opposition de gauche — a toutefois été adoptée, concernant l'une des mesures phares du texte, via un amendement gouvernemental. Cet amendement porte sur l'article 3, qui vise à renforcer et à revisiter le secret professionnel des avocats, mais qui a mobilisé la profession contre lui, notamment les cabinets d'affaires.
Concrètement, le projet de loi reconnaît l'existence du secret professionnel pour les activités de conseil, mais introduit plusieurs exceptions précisément listées, notamment pour les infractions de corruption et de fraude fiscale. "Une atteinte à l'État de droit" pour le barreau de Paris, qui avait appelé à manifester devant l'Assemblée mardi 16 novembre. D'autres rassemblements ont eu lieu sur le territoire.
Pour tenter de calmer les organisations d'avocats, le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, a décidé de réviser une partie de l'article 3, en précisant que cette exception pourrait s'appliquer uniquement lorsqu'il existe des preuves que l'avocat a sciemment commis ou facilité de telles infraction. "Le secret du conseil est enfin consacré et protégé dans le code de procédure pénale, il ne l'avait jamais été et c'est une avancée incontestable", a-t-il précisé, au terme d'une longue présentation. "Mais il faut préciser que ce secret du conseil ne bénéficie pas de la même protection constitutionnelle et conventionnelle que celle qui existe pour le secret de la défense." L'amendement insiste également sur la présence du bâtonnier lors des perquisitions.
Pas sûr que cela soit suffisant pour apaiser les relations entre l'ex-avocat star et ses anciens confrères. Vendredi dernier, le ministre de la Justice s'était fendu d'une missive de trois pages à la profession, publiée sur son compte Twitter, évoquant un "malentendu" portant sur un texte mal compris. Le garde des Sceaux avait évoqué trois scénarios, dont l'amendement adopté ce soir. Il avait également suggéré une adoption conforme du texte... Voire, de manière plus menaçante, la suppression pure et simple de l'article 3, ce qui aurait annihilé le renforcement de la protection du secret de la défense porté par le projet de loi.
Dans une motion interne adoptée à 65 % et rendue publique sur Twitter, le Conseil national des barreaux (CNB) avait tranché pour la suppression de l'article incriminé, prenant ainsi le ministre au mot. "Inacceptable", a jugé le rapporteur Stéphane Mazars (LaREM). "Nous ne laisserons pas des postures partisanes corporatistes mettre en péril des avancées qui n'appartiennent pas aux avocats mais aux justiciables", a poursuivi l'élu. L'Exécutif n'aura donc finalement cédé à l'avis du CNB.
Par rapport à la version adoptée par l'Assemblée en première lecture, plusieurs points ont été modifiés pour permettre le compromis avec les sénateurs. C'est le cas de la présence systématique des avocats lors des perquisitions, non désirée par les forces de l'ordre et qui n'a pas été retenue dans le texte final.
Une position intermédiaire a été atteinte concernant l'expérimentation des cours criminelles départementales, qui permettent de juger des crimes punis de quinze à vingt ans de réclusion, sans jury populaire. Leur généralisation a été fixée au 1er janvier 2023, un an après la date initialement retenue, et malgré les doutes des sénateurs. Les parlementaires se sont toutefois accordés sur la création d'un comité de suivi de la réforme, auquel participeront deux députés et deux sénateurs, afin de garantir son efficacité.
Un compromis a également été trouvé sur le remplacement du rappel à la loi par un "avertissement pénal probatoire", souhaité par le ministre de la Justice et introduit lors de l'examen au Sénat. "Il n'était plus compris de personne", a jugé le garde des Sceaux. Il s'agira de rappeler les "obligations résultant de la loi ou du règlement", sauf pour les personnes déjà condamnées ou autrices de violences. Cet avertissement sera revu si une personne commet un nouveau délit dans un délai de deux ans.
Comme prévu dans le projet de loi, les enquêtes préliminaires seront bien limitées à deux ans, à l'exception des cas de demande d'entraide internationale. Aucune dérogation n'a finalement été retenue en matière économique et financière, au grand dam de certains élus. "Dans un monde idéal, réduire le délai des enquêtes préliminaires à deux ans serait parfait. Mais nous ne vivons pas dans un tel monde", a ainsi déclaré le sénateur Philippe Bonnecarrère (UC) lors de la réunion de la commission mixte paritaire. Et de faire part de sa crainte de voir "des classements sans suite massifs ou à des ouvertures d’informations judiciaires, qui encombreront les juges d’instruction" dans les dossiers de fraude fiscale.
Point largement médiatisé du texte, la diffusion d'images de procès a également été conservée, sans trop de retouches par rapport à la version de l'Assemblée. La procédure, déjà largement encadrée, a bénéficié d'apports du Sénat. Ainsi, la notion "d'intérêt public" justifiant l'enregistrement d'un procès a été précisée. En outre, les personnes qui acceptent d’être enregistrées devront nécessairement le faire à titre gratuit. "Il s'agit de faire entrer la justice dans le salon des Français", s'est félicité Éric Dupond-Moretti. "Le 'justice bashing', c'est souvent le tremplin des populistes."