Auditionné à l'Assemblée nationale, Lilian Thuram a fait le constat d'un racisme persistant dans le football, devant la commission d'enquête sur les défaillances au sein des fédérations françaises de sport, ce jeudi 9 novembre. L'ex-footballeur et champion du monde 1998 a plaidé pour l'éducation des joueurs et des supporters, tout en appelant les fédérations et les dirigeants de clubs à lutter plus activement contre le racisme et l'homophobie.
Le football arrivera-t-il à se débarrasser de ses vieux démons ? Hasard du calendrier, quelques jours après l'ouverture d'une enquête pour provocation à la haine raciale visant des supporters lyonnais, Lilian Thuram a été auditionné, jeudi 9 novembre, par les députés de la commission d'enquête sur les défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport et du monde sportif.
Premier constat délivré par l'ancien recordman de sélections de l'équipe de France de football : en ce qui concerne le racisme, il estime que les choses n'ont "pas beaucoup évolué" depuis ses premiers pas sur un terrain. "Mais à l'image de la société", ajoute-t-il. Didactique tout au long de son audition, l'ex-international français, président de la fondation Lilian Thuram-Éducation contre le racisme, a tenté d'expliquer les raisons de cette subsistance, alors même que l'environnement de ce sport a notoirement évolué au cours des 30 dernières années.
Et un mot est souvent revenu dans sa bouche : "éduquer". Sensibiliser les supporters, mais aussi les éducateurs, les entraîneurs, les dirigeants et les joueurs. "Nous sommes dans un pays où ça reste tabou de discuter de ces sujets-là. Alors qu'il faudrait au contraire en parler", a-t-il souligné, s'opposant aux tentatives de minorer les comportements qui gangrènent le football, au prétexte fallacieux que les auteurs d'agissements racistes ne seraient "pas des vrais supporters",
La neutralité dans la dénonciation du racisme n'existe pas. Lilian Thuram
"C'est un mépris très profond" pour les victimes, a-t-il assuré. Même chose quand les dirigeants du football, à l'image de Noël Le Graët, ex-président de la Fédération française de football, "nient" l'existence du racisme. "C'est une violence d'entendre qu'il n'y a pas de racisme. Cela veut dire que les personnes qui dénoncent le racisme sont des menteurs", a-t-il développé. "Si tout en haut, le président qui doit mettre en place des choses pour lutter contre le racisme, lui-même nie le racisme, c'est très compliqué."
Pour Lilian Thuram, il est nécessaire de comprendre le racisme et ses racines pour le combattre efficacement. "C'est culturel, de mépriser les Noirs", a-t-il soutenu. "Si les personnes noires sont stigmatisées et violentées dans un stade, et si la majorité des personnes blanches se sent déconnectée, cela veut dire qu'on est encore dans ces catégories liées à la couleur de la peau", a-t-il considéré, appelant à déconstruire cette catégorisation. Sans cette éducation, la lutte contre le racisme restera superficielle, et donc vouée à l'inefficacité. "Vous pouvez être une personne noire, subir le racisme et ne rien comprendre au racisme", a d'ailleurs jugé l'ancien joueur de la Juventus de Turin.
"Si vous dites 'non au racisme, non à l'homophobie', c'est très bien, il faut le faire, mais ça ne va pas avancer très vite", a poursuivi l'ancien international, jugeant que cet affichage, sans conscience de ce qu'est le racisme, ne pourra répondre au problème. A contrario, il encourage les clubs, les fédérations, les dirigeants, à aller voir les victimes pour leur dire "nous sommes de votre côté", et à parler ouvertement des problèmes rencontrés. "Reconnaître le racisme, c'est dire aux personnes qui le subissent : nous sommes conscients de ce que vous vivez et vous avez le droit de dénoncer le racisme."
Alors qu'un débat existe quant à l'opportunité d'arrêter les matchs en cas de survenue d'un agissement raciste, Lilian Thuram a fait mine de s'interroger : "Qui veut vraiment que les matches s'arrêtent ? Le foot c'est un business." Avant de témoigner de la violence ressentie par un joueur visé par des cris de singe ou des jets de banane. Et de décrire des situations ubuesques où des victimes, révoltées d'être ainsi agressées, risquaient l'expulsion. "La société ne veut pas être confrontée au racisme. Donc il faut éliminer celui qui subit le racisme pour continuer", a-t-il déploré.
L'ancien joueur passé par le FC Barcelone a souligné la symbolique de l'arrêt d'un match. "Quand vous êtes une personne blanche, que le match s'arrête ou pas, ce n'est pas très grave. Mais si vous êtes une famille noire, devant la télévision, et que le match s'arrête, vous êtes soulagés. Enfin, le match s'arrête", a-t-il témoigné.
Questionné par Stéphane Buchou (Renaissance) sur le rôle que pourraient jouer les grands noms du football, comme Kylian Mbappé, en prenant position fermement contre l'homophobie et le racisme, Lilian Thuram s'est quelque peu agacé : "C'est d'une grande hypocrisie de dire que ce sont les joueurs qui ont la solution. [...] La responsabilité de l'arrêt des matchs ne peut pas être la responsabilité d'un seul joueur." Pour l'ancien défenseur, d'autres acteurs seraient plus à même d'intervenir, comme l'arbitre, les présidents de club, les chaînes de télévision. "C'est à la grande majorité des joueurs blancs qu'il faut demander pourquoi ils ne disent rien, pourquoi ils continuent à jouer."
Lilian Thuram a également révélé la pression qui pouvait peser sur les joueurs qui commençaient à parler, indiquant que la dénonciation du racisme pouvait in fine se retourner contre eux. "Quand j'ai commencé à prendre position, des dirigeants, des entraîneurs sont venus me voir pour me dire d'arrêter de parler de ça", a-t-il déclaré. "Si vous relevez trop souvent les actes racistes, vous finissez par devenir le problème."
Lilian Thuram est également revenu sur l'un des autres fléaux qui pourrissent le monde du football, à savoir l'homophobie, en dehors et sur les terrains. "Beaucoup de personnes ne se rendent pas compte de la violence de leurs propos, car c'est ancré. On a toujours fait comme ça. D'où l'importance de l'éducation", a-t-il relevé.
Avant de revenir sur les polémiques ayant entouré le port, une fois par an, d'un maillot floqué aux couleurs de l'arc-en-ciel par les équipes de Ligue 1, à l'occasion de la journée nationale de lutte contre l'homophobie. Plusieurs joueurs avaient notamment refusé de le porter, dont l'ex-milieu de terrain du Paris Saint-Germain, Idrissa Gueye. "Les joueurs participent, mais ne connaissent pas la gravité de l'homophobie. Si vous demandez à des gens de participer à un truc qu'ils ne comprennent pas, ils ne saisissent pas la gravité des choses", a-t-il souligné, fustigeant notamment la sortie "surréaliste" d'un entraîneur qui s'était plaint de devoir se passer de plusieurs joueurs à quelques matchs de la fin de saison, "alors que le maintien se joue à un ou deux points".
"Le mec te parle d'un point ou deux, alors qu'il y a des gens qui sont en prisons, [...] des enfants qui se suicident. C'est d'une telle violence ! Il ne sait pas ce que c'est l'homophobie. Or, c'est ça qu'il faut dire aux gens", s'est ému Lilian Thuram, appelant à la mise en place de modules obligatoires de sensibilisation au racisme, au sexisme, à l'homophobie auprès des jeunes joueurs, pour les éduquer tout au long et dès le début de de leur parcours sportif. Et le champion du monde 98 de marteler : "Comprendre, çe ne prend pas forcément longtemps. Mais quand on comprend, c'est pour la vie."