Assemblée nationale : la première année de la législature vue par les députés

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L'hémicycle de l'Assemblée nationale, le 28 juin 2022
L'hémicycle de l'Assemblée nationale, le 28 juin 2022 (Christophe ARCHAMBAULT / AFP)
par Soizic BONVARLETRaphaël Marchal, Maxence Kagni, le Mercredi 28 juin 2023 à 15:57, mis à jour le Vendredi 7 juillet 2023 à 16:48

C'était il y a un an, jour pour jour... Le 28 juin 2022, la XVIe législature s'ouvrait avec l'élection de Yaël Braun-Pivet à la tête d'une Assemblée nationale dépourvue de majorité absolue pour la première fois depuis 30 ans. Quel regard les députés des différents groupes politiques portent-ils sur cette première année de la législature ? Enquête dans les couloirs du Palais-Bourbon. 

"La configuration de notre Assemblée nationale est inédite, les Français nous enjoignent de travailler ensemble". Le 28 juin 2022, la toute nouvelle présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, inaugure les travaux de la 16e législature dans un "moment particulier de notre vie politique". Pour la première fois depuis 30 ans, le président de la République et le gouvernement ne disposent pas d'une majorité absolue pour soutenir leur action.

La coalition présidentielle, composée par les partis "Renaissance", "MoDem" et "Horizons", réunis pendant la campagne des élections législatives sous la bannière "Ensemble !", ne dispose que d'une majorité relative : 250 députés sur 577. Avec des oppositions à la fois diverses et nombreuses, cette nouvelle Assemblée ressemble davantage au pays que lors des précédentes législatures au risque, estiment certains à l'époque, d'être rapidement confrontée à une situation de blocage. Fait marquant du second tour des législatives, le Rassemblement national a fait élire 89 députés, ce qui fait du parti de Marine Le Pen le premier groupe d'opposition.

Sur les bancs opposés, La France insoumise est représentée par 75 députés, auxquels il faut ajouter les élus des autres groupes de la Nupes (socialistes, écologistes et communistes) pour un total de 151 députés. Les Républicains, avec 62 élus, ainsi que le groupe Libertés, indépendants, Outre-mer et territoires, alors inconnu et composé de 16 élus, complètent l'hémicycle composé de dix groupes politiques.  

La majorité met son bilan en avant 

D'emblée, l'exécutif prend acte de cette configuration : lors de son discours de politique générale, prononcé le 6 juillet, la Première ministre, Elisabeth Borne, promet d'"entrer dans l'ère des forces qui bâtissent ensemble". Une méthode qui s'est avérée plutôt fructueuse, selon les députés de la coalition présidentielle : "On est loin de la pagaille promise par certains observateurs. On arrive à trouver des consensus", se félicite ainsi Erwan Balanant (MoDem), qui souligne que de nombreux textes - projets et propositions de lois - ont été adoptés en un an, dont certains à l'unanimité. 

On arrive à trouver des consensus. Erwan Balanant (Démocrate)

"Nous avons voté plus d’une trentaine de projets de lois, notamment sur le pouvoir d’achat, sur le bouclier tarifaire, le nucléaire, les énergies renouvelables", ajoute Mathieu Lefèvre (Renaissance), qui souligne que "la majorité n'est pas restée passive".

"Sur beaucoup de sujets, nous avons trouvé des compromis", abonde Frédéric Valletoux (Horizons), qui prend en exemple sa proposition de loi "visant à améliorer l'accès aux soins". Elu à l'Assemblée pour la première fois l'an dernier, Frédéric Valletoux dit découvrir une "institution loin de l'image qu'elle a parfois pu donner cette année". "On traite de sujets au coeur des politiques publiques", explique-t-il, ajoutant que "ceux qui veulent travailler sur le fond des sujets peuvent le faire à l'Assemblée nationale".

Les oppositions expriment leur déception

Sans surprise, beaucoup moins enthousiastes, les oppositions parlent d'une "occasion manquée". "Les espoirs ont été déçus", résume le président de la commission des finances, Eric Coquerel (La France insoumise), qui effectue son deuxième mandat. "On avait l’occasion de redonner à l’Assemblée un poids plus important dans notre République", estime le député, qui dit regretter le manque d'ouverture de la majorité. 

"On n'a eu que des miettes. J'ai l'habitude de dire aux gens de Renaissance que pour un parti jeune ils ont des pratiques d'un autre temps", renchérit Marie-Charlotte Garin (Ecologiste). "Honnêtement, on ne se faisait pas beaucoup d'illusions. On savait qu'on avait affaire à un exécutif qui avait pour habitude de passer en force", tacle l'élue qui a fait son entrée au Palais-Bourbon pour la première fois l'an dernier. 

Il y avait la possibilité de subvertir un peu la cinquième République, la minorité présidentielle n’a pas saisi cette opportunité. Eric Coquerel (La France Insoumise)

Des critiques qui ne viennent pas seulement de la Nupes. "La majorité relative croit encore qu'elle peut décider seule", regrette par exemple également Benjamin Saint-Huile (Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires). 

Le recours à répétition au 49.3 critiqué 

Véronique Louwagie (Les Républicains) est moins sévère : "Le Parlement a retrouvé une certaine classe, les initiatives parlementaires ont plus de poids", analyse la vice-présidente de la commission des finances, qui effectue son troisième mandat. Selon elle, la nouvelle donne politique a changé la façon de travailler : "Actuellement, tout le monde est encore en phase d'apprentissage", estime-t-elle. Véronique Louwagie regrette cependant l'utilisation répétée du 49.3 par le gouvernement, qui n'est pas un bon "réflexe".

En réponse aux critiques, la majorité pointe du doigt la "posture" des oppositions, qui voteraient contre le projet de loi de finances, pour certaines d'entre elles en tout cas, par principe. Le vote du budget de l'Etat démarquant traditionnellement l'appartenance à la majorité ou à l'opposition. "Le recours au 49.3 sur le budget est avant tout de la responsabilité de ceux qui disent - avant même de l'avoir vu - qu'ils ne le voteront pas", affirme Mathieu Lefèvre.

Les mains tendues doivent pouvoir être saisies. Mathieu Lefèvre (Renaissance)

Eric Coquerel (LFI) reconnaît que la majorité a pu, à l'automne 2022, être réceptive à certaines mesures portées par les oppositions, mais l'usage du 49.3 par le gouvernement est, selon lui, venu "réduire à néant" ce début de dialogue transpartisan. Le recours au 49.3 est un "outil démocratique", répond Erwan Balanant (MoDem), qui estime par ailleurs que le budget n'est pas éloigné de ce que pourraient proposer Les Républicains.

En outre, Erwan Balanant souligne qu'aucune des 17 motions de censure déposées par les oppositions n'a été adoptée : "Dès lors qu'il n'y a pas de majorité alternative, on suit les règles institutionnelles", explique-t-il. Sans cacher son souhait de voir évoluer les choses pour la suite de la législature : "On pourrait changer les méthodes de travail, les améliorer. Il faut qu'on développe la culture du parlementarisme, avec plus de travail en amont, de co-construction."

Des déclarations qui laissent Marie-Charlotte Garin (Ecologiste) sceptique : "Ils sont d'accord pour co-construire exclusivement si on est d'accord avec eux", affirme la députée qui dit, par ailleurs, avoir "la désagréable impression de mettre beaucoup d'énergie en circonscription sur la transparence de la vie politique, afin de recréer le lien de confiance entre les élus et les électeurs, pour que tout cela soit finalement balayé par le gouvernement et ses passages en force".

Le Parlement "attaqué" par l'exécutif 

La réforme des retraites, qui a constitué l'acmé de cette première année de la législature, reste bien sûr dans toutes les têtes. Alors qu'Elisabeth Borne a eu recours au 49.3 pour faire adopter la réforme, plusieurs groupes d'opposition - Nupes et Liot - estiment en substance que le gouvernement leur a volé le débat sur ce texte majeur. "C'est une année noire pour la démocratie, pour les droits de l'opposition", déclare Christine Pirès Beaune (Socialistes).

La bataille autour de la recevabilité financière de la proposition de loi du groupe Liot - qui proposait d'abroger la réforme, a encore accentué ce sentiment. "On a un gouvernement qui a énormément de mal à accepter que les oppositions existent", commente Eric Coquerel (LFI). Selon le président de la commission des finances, le recours au 49.3 est "le symbole d’un gouvernement qui passe en force et vide de sens l’Assemblée nationale".

"Ce qui m'afflige, c'est que nous ne prenons pas ou plus de décisions", regrette quant à lui Marc Le Fur (Les Républicains), élu député de 1993 à 1997, puis de 2002 à aujourd'hui. Depuis le débat sur les retraites, il n'y a eu que des textes très médiocres qui sont venus à l'Assemblée" critique-t-il estimant que, malgré un regain de visibilité, l'institution est affaiblie. 

Le niveau baisse, mais l'audience augmente. Marc Le Fur (Les Républicains)

"Parce qu'il est plus dans son rôle, le Parlement est plus attaqué par le pouvoir qui utilise les vices initiaux de la Ve République", considère Elsa Faucillon (Gauche démocrate et républicaine). "Aujourd'hui, la majorité relative est toujours en tension et sous la pression de l'exécutif avec un accaparement du pouvoir par le président de la République", regrette l'élue communiste, qui évoque une "déformation institutionnelle", tandis que Benjamin Saint-Huile (Liot) dénonce même "le blocage de la majorité et du gouvernement" lors de la journée parlementaire de son groupe, les accusant d'avoir "étiré les débats pour éviter d'avoir des votes qui leur seraient défavorables".

Sur les retraites, Les Républicains ciblés par la majorité

La séquence des retraites a également été mal vécue par la majorité, qui dénonce l'attitude des Républicains : "Ils avaient défendu quelques mois plus tôt un recul de l'âge de départ à la retraite, comme certains élus du groupe Liot, mais ils ont adopté une posture très politicienne, ils ont voulu épouser certaines causes pour faire plaisir...",  fustige Frédéric Valletoux (Horizons). Et de lâcher : "Les Républicains ne sont rien d'autre que des auto-entrepreneurs qui agissent en fonction des jeux internes de leur parti et en fonction de leurs territoires. 

"Les Républicains ont changé d'avis en six mois", souligne également Mathieu Lefèvre (Renaissance). "Le gouvernement essaie de se rapprocher des LR qui sont pourtant en train de se désagréger au fil des mois", analyse de son côté Benjamin Saint-Huile (Liot). Des critiques sans fondement selon Véronique Louwagie (LR), pour qui les députés de son groupe sont au contraire "très soudés". Seule la bataille des retraites ayant, selon elle, laissé transparaître des divisions. 

Le groupe LR a montré qu'il était un groupe constructif, mais aussi d'opposition. Véronique Louwagie (Les Républicains)

Véronique Louwagie explique que son groupe assume de définir clairement ses lignes rouges, comme il a pu le faire au sujet de l'immigration, afin de pousser l'exécutif à davantage prendre en considération ses propositions. Consciente du rôle pivot des Républicains à l'Assemblée, Véronique Louwagie appelle désormais à mieux anticiper les textes en amont pour la suite de la législature. "Nous avons intérêt à ne pas rester à la remorque", reconnaît-elle. 

La Nupes critiquée pour son "outrance"

Alors que la XVIe législature a marqué la naissance de l'intergroupe de la Nupes, qui réunit les députés insoumis, écologistes, socialistes et communistes, l'heure est aussi à un premier bilan pour l'alliance de gauche à l'Assemblée. "La Nupes doit incarner une alternative vers l'espoir qui ne soit pas alimentée par le terreau de la désespérance", explique Elsa Faucillon (GDR). La députée communiste explique, par ailleurs, que la configuration actuelle du Palais-Bourbon, où les votes se jouent parfois à quelques voix près, oblige à une "présence très active" dans l'hémicycle, ce qui entraîne parfois une forme de "déséquilibre entre la présence à l'Assemblée nationale et en circonscription".

La Nupes est une forme de "contrat passé avec les électeurs", analyse Marie-Charlotte Garin (Ecologiste), qui estime que désormais "l'enfant doit grandir" en dehors de son "berceau", c'est-à-dire au-delà des murs de l'Assemblée. Elle relativise, au passage, les dissensions internes, estimant que "90% à 95% du temps, ça se passe bien". Des points de clivages persistent pourtant, par exemple sur la question du nucléaire : "On accepte nos différences, parce que l'on sait que c'est aussi notre force", indique-t-elle, tandis qu'Elsa Faucillon prône une "articulation plus grande entre les groupes et les différentes forces de la Nupes".

La Nupes doit incarner l'opposition mais aussi incarner une alternative. Elsa Faucillon (Gauche démocrate et républicaine)

Les élus de la coalition présidentielle portent, quant à eux, un regard critique sur l'alliance de gauche en général, et sévère sur La France insoumise en particulier. "LFI veut bordéliser au maximum le système", dénonce Frédéric Valletoux (Horizons), ajoutant que cette façon de faire revient à "se tirer une balle dans le pied". "Ils n'ont pas montré ce qu'ils pouvaient apporter au débat", tacle-t-il. "Il faut distinguer LFI de ses partenaires (...) On peut travailler avec les autres membres de la Nupes", juge Mathieu Lefèvre (Renaissance). 

Frédéric Valletoux affirme avoir observé, au sein de l'hémicycle, un certain malaise chez les députés communistes, écologistes ou encore socialistes : "Souvent, ils regardent leurs chaussures en attendant la fin des outrances de La France insoumise. Au lieu de dire stop, ils attendent que ça passe." Les députés communistes étant, selon lui, "ceux qu'on sent les plus gênés". En février, le président du groupe GDR, André Chassaigne, s'était publiquement dit "humilié" par l'attitude d'Aurélien Saintoul (LFI), qui avait qualifié le ministre du Travail, Olivier Dussopt, d'"assassin".

"Je regrette que la Nupes radicalise de manière trop brutale la gauche derrière Jean-Luc Mélenchon", indique pour sa part l'ancien socialiste Benjamin Saint-Huile (Liot), qui espère que l'influence de l'ancien candidat à l'élection présidentielle "aura vocation à diminuer". Selon Erwan Balanant (MoDem), les "effets de manche, de dramatisation" de la Nupes ont eu pour conséquence de recentrer les débats "sur le bruit médiatique aux dépens du parlementarisme, qui consiste à trouver des consensus".

"L'Assemblée a atteint son paroxysme en matière d'outrance", regrette elle aussi Véronique Louwagie (LR), qui déplore un niveau sonore particulièrement élevé dans l'hémicycle. L'élue Les Républicains dit cependant observer des excès sur les bancs dans l'opposition, mais aussi sur ceux de la majorité. "Chaque groupe politique cherche à se démarquer", pointe Véronique Louwagie, qui espère que le phénomène s'amenuisera au cours des prochains mois.

Des députés du Rassemblement national jugés en retrait

En revanche, tous les députés interrogés s'accordent pour dénoncer l'extrême discrétion des députés Rassemblement national. "Sur le fond, ils se planquent beaucoup", commente Frédéric Valletoux (Horizons). "En dehors de leur tentative d'apparaître comme des gendres idéaux, ce sont essentiellement des trolls", estime Erwan Balanant (MoDem), qui déplore un manque de propositions issues des rangs du groupe de Marine Le Pen. Et le député de la majorité de considérer, en s'appuyant sur l'affaire de Fournas, que derrière la stratégie de la cravate, les idées du RN n'ont pas changé. 

"Les députés RN se comportent comme des passagers clandestins, ils sont affables, ont mis des costumes, mais ils sont plus dans la récupération politique que dans la proposition", rénchérit Mathieu Lefèvre (Renaissance), qui estime que Marine Le Pen enjambe son mandat de député, en se projetant sans cesse en 2027.

Des critiques repoussées Edwige Diaz (Rassemblement national) qui affirme que les élus de son groupe ont "voté sans sectarisme" l'ensemble des amendements et des textes qu'ils jugeaient positivement. Une attitude qui est, selon elle, saluée sur le terrain. Edwige Diaz évoque particulièrement le vote par le RN de la motion de censure déposée par la Nupes en octobre 2022 :  "Les députés de la Nupes étaient médusés, ils n'étaient pas contents. Cela a permis à la France entière de se rendre compte qu'ils étaient des opposants de pacotille."

Elue pour la première fois à l'Assemblée l'an dernier,  Edwige Diaz dénonce, par ailleurs, "l'ostracisme de façade" des autres groupes politiques. "Nos adversaires politiques appellent à la préservation du 'cordon sanitaire'. Mais dès qu'on rentre dans des discussions de couloirs, le 'cordon sanitaire' disparaît", soutient-elle, considérant que cela confirme l'institutionnalisation du Rassemblement national. Elle note aussi, pour s'en féliciter, que dans certaines configurations, le vote des députés RN peut s'avérer décisif.  

La réalité est qu'ils veulent tous nos voix. Sébastien Chenu (Rassemblement National) sur Twitter

"Je regrette que l'on assiste à une étape supplémentaire de leur normalisation", commente Elsa Faucillon (GDR). L'élue communiste pointe du doigt l'attitude de la majorité qui "a permis l'élection de vice-présidents RN de l'Assemblée nationale" (Sébastien Chenu et Hélène Laporte, ndlr), conformément à ce que prévoit le règlement de l'institution qui établit une répartition des responsabilités au Palais-Bourbon en fonction du nombre de députés de chaque groupe politique. Benjamin Saint-Huile (Liot) estime cependant, lui aussi, que l'élection de vice-présidents issus des rangs du Rassemblement national est une "erreur politique majeure de la majorité relative".